vendredi 23 novembre 2012

transparaître

Voici, pour ceux qui ne connaissent pas la ville, et pour illustrer cette vision saisissante dont je parlais  (billet du 16 novembre), une des vues "cartepostalesques" que l'on peut avoir sur Marrakech : les immeubles ocre jaune et ocre rouge, baignés de soleil, surmontés du massif montagneux enneigé. Le tout hérissé de palmiers et de minarets.

Cette image est prise depuis la terrasse élevée du musée de la photographie qui s'avère un endroit charmant : petit riad sans prétention, sans décoration arabisante kitsch, animé par un personnel adorable et, du moins lors de ma visite, presque vide. La restauration proposée sur place n'est pas honteuse, loin de là, et profiter tranquillement du panorama sur la ville, au-dessus des toits, à une heure où toutes les mosquées appellent à la prière comme cela m'est arrivé, est vraiment un privilège enchanteur.
La Medersa ben Youssef. À gauche cliché de vacances,
à droite photo venue du petit musée de la photo.
La fontaine Chrob n chouf ("bois et regarde").
La photo de gauche vient aussi du musée.
En regardant ces photos anciennes, on fait le constat réalisé facilement par ailleurs : l'impression qu'ici le temps s'est par endroit figé, sentiment qui vient en collision avec l'effet de flash-back que j'évoquais hier. Similaires, légèrement modifiées ou inédites, les images se superposent alternant l'idée d'un éloignement irréversible et celui d'une proximité éternelle.
En écrivant cela me reviennent en tête les images d'un photographe des années quatre vingt (dont le nom en revanche m'échappe) qui travaillait sur des superpositions de visages, un peu à la manière de Jason Salavon.
La perception des strates ici est d'autant plus troublante qu'elle se redouble d'une forme d'empilement transparent du langage. Moi je croyais naïvement qu'avec la réarabisation de l'enseignement et l'après protectorat, les mots français auraient été grattés des vitrines et des enseignes, recouverts de peinture et abandonnés. Pas du tout. À la bonne grillade voisine l'Hôtel de Nice et le restaurant La cheminée...
Le passé sédimente partout, sans complexe, et parfois en haut de l'affiche. Ainsi, au-dessus de la porte d'un bar surmonté d'un immense drapeau anglais peut-on lire : English Pub, La Daurade. (J'en ris encore).

jeudi 22 novembre 2012

mémoire

J'étais habité, par instant, lors de mon périple au Maroc, de la sensation de la fuite du temps. Mais l'expression est ici une facilité de langage, loin du réel ressenti que j'en avais, où rien de la fluidité qu'évoque pour moi le mot fuite n'avait place. Le rapt du temps ? Le stroboscope du temps ?
Il s'agit en effet beaucoup plus d'un arrêt sur image, d'une opération de flash-back que j'ai vécu à Marrakech.

J'avais déjà mis les pieds à deux reprises dans la ville. Une fois en décembre 1993 — où j'avais accompagné une amie qui participait à une conférence médicale, une autre fois fin janvier 2001, quelques mois après la mort de mon père.
À mon premier séjour j'avais visité peu d'édifices touristiques, principalement les souks et la médina que j'avais véritablement sillonnée de part en part, et les Jardins Majorelle, une agréable parenthèse de calme dans la ville où, alors, les sollicitations des marchands, guides, calèches et autres bénéficiaires du tourisme étaient proprement éreintantes.
De ma deuxième visite, je garde le souvenir des tombeaux saadiens, des cigognes, et de la vie lumineuse dans les rues où les rabatteurs et harceleurs de toutes sortes avaient miraculeusement disparus (ou presque).

C'est en 2003 que la place Jemaa el Fna a été pavée, perdant ainsi son aspect vaguement médieval. Mais plus que les pavés, c'est l'uniformisation des baraques, notamment celle des vendeurs de jus d'orange, qui modifie le visage de la place sans qu'au premier coup d'oeil on sache vraiment ce qui a changé.
J'étais déjà depuis plusieurs jours au Maroc (en fait j'avais quitté Marrakech pour remonter vers Fès, puis étais revenu sur place) quand je découvre un mail de C. (le seigneur des ano-nymes) qui m'exhorte : Un mail en vitesse pour te déconseiller de revoir le jardin Majorelle (Disney Land de cactées)...
 Las! C'était trop tard. Accompagné les premiers jours de mon voyage par un ami qui souhaitait voir ces Jardins, nous nous y étions rendus déjà. 

Très brefs moment de tranquillité dans les Jardins Majorelle.
À éviter.
Des grappes de touristes déambulent appareil photo à la main dans un lieu qui a perdu tout son charme. Par moment on se croit dans le jardin de cactus de l'aéroport de Singapour. Les bambous sont gravés de prénoms du monde entier. Il faut recadrer son regard (un coin de pot de fleur et un vert végétal) et se boucher les oreilles.
Le jardin accueille maintenant un mémorial dédié à Yves Saint Laurent. Pauvre Yves. La stèle devient une attraction comme une autre devant laquelle se photographier, comme on l'aura fait sans doute préalablement devant la Koutoubia, la Tour de Pise, la Tour Eiffel etc. Pause déhanchée, suggestive, la main appuyée sur la colonne de pierre.
Parfois c'est au contraire juste un support pour poser l'appareil qui, en mode retard, va fixer l'image d'une bande de joyeux ricaneurs en short.

- « C'est n'importe quoi, c'est un parfum Yves Saint Laurent !,  » hurle un gamin d'une dizaine d'années.
- « Mais avant d'être un parfum, c'était un monsieur, » explique sa mère qui se paye de sa minute éducative de la journée.

Je n'ose croire, comme on veut bien le dire, que les cendres de Saint Laurent aient été dispersées en ce lieu, mais plutôt dans le jardin de sa propre maison, à quelques mètres de là.

vendredi 16 novembre 2012

défense

Je suis de retour.
Au Maroc, c'était déjà le début de la saison froide et les touristes en tee-shirt se mêlaient dans les rues aux Marocains en doudoune. Mais ces deux derniers jours, lundi et mardi, il faisait vraiment frisquet dans ce "pays froid où le soleil est chaud", phrase que l'on prête à Lyautey et qui a le mérite de décrire assez bien le climat local et l'impression vive, chaque fois ressentie, à la vision de Marrakech sous la barrière des montagnes enneigées du Haut Atlas.

Parmi les "réjouissances" parisiennes, le dentiste. Rien de particulier n'a changé dans la salle d'attente, c'est moi qui doit être légèrement modifié : je m'interroge aujourd'hui sur la présence d'un piano qui est pourtant là depuis toujours. Je regarde différemment les maquettes de molaires disposées sur l'instrument.

Ce qui m'apparaît, c'est la superposition de l'ivoire (comme une composition de Bertrand Lavier), rapport que j'imagine naître dans mon esprit à cause de l'Afrique (Maroc-Afrique-Éléphants-Ivoire), l'ivoire qui constitue les dents et celui dont on faisait les touches de piano.


samedi 10 novembre 2012

abats

Ce qui me frappe lors de ce séjour, c'est la gentillesse des gens. Ils ont, comme on dit, le cœur sur la main. Est-ce une conséquence de leur grande piété?
Un jeune homme barbu rencontré dans la rue qui tente de m'initier au bénéfice de la foi me décrit un double mouvement qui revient à peu près à cela : en étant bon tu rends grâce à dieu qui en échange te promet le paradis. 
Quand, après un premier échange, il comprit que je ne croyais pas en un être suprême, la nouvelle lui paraît tellement inimaginable qu'il en rit comme d'une bonne blague. 
-"Mais le bonheur dans la vie, c'est l'amour de Dieu!" clama-t-il avec joie et assurance. Comment pouvait-on se passer de cela. Son visage s'éclairait en prononçant ces paroles, mais je crois que son plaisir était aussi d'être en contact avec un mécréant de mon espèce que peut-être il pourrait convertir.
C'est à un prosélytisme different que se livre un autre jeune homme qui, s'exhibant et se cachant en même temps dans un bouquet de palmiers, sort de son burnou un sexe rigide et souple dont la taille et l'ondulation pourraient rivaliser avec celles des serpents de la place Jemaa el Fna.
Ni foi ni cœur, plutôt saucisse donc. 

vendredi 9 novembre 2012

séquence

La maison s'enroule autour de l'arbre, toutes les fenêtres à volets verts s'ouvrant vers lui. Les hôtes naturels de l'hibiscus, des oiseaux au plumage couleur terre sur le corps et gris clair au niveau de la tête, trouvent donc légitime de profiter aussi des pièces ouvertes sur la cour et sautillent sans peur dans le salon jusqu'aux banquettes oú l'on bouquine. Ce matin, en me brossant les dents, je m'aperçois que les dernières fleurs de l'arbustre se reflètent dans le miroir au dessus du lavabo. Je pense à ce film de Victor Erice,  el sol del membrillo, documentaire qui retrace le lent travail d'un peintre autour d'un cognassier de son jardin. 

jeudi 8 novembre 2012

Ici

Il pleut sur Marrakech, ce qui n'est pas un événement en Novembre. Depuis que je suis arrivé la météo avait pourtant été clémente, les averses, peu nombreuses et légères (une distribution générale de gouttelettes d'eau plutôt qu'une vraie pluie), semblant advenir à mon insu, derrière mon dos, profitant de mes absences pour rafraîchir les rues de Casablanca, Meknès ou Fès.
La dernière fois que je suis venu au Maroc, c'était en 2001. Est-ce parce que j'avais alors visité des régions du Sud ? Est-ce parce que mon regard s'est modifié ? Je découvre en tout cas un tout autre pays que celui que mon imagination abritait.