jeudi 31 janvier 2013

question turco-kurde (ou kurdo-turque ?)

J'emprunte souvent la vilaine rue La Fayette où j'avoue brûler régulièrement des feux rouges ce qui explique que j'ai développé une acuité particulière à la présence de policiers qui verbalisent parfois fortement. (Une amende peut atteindre presque le prix de votre vélo qui vous avez acheté l'entrée de gamme chez GoSport ou Décathlon, ce que je pratique habituellement.)


On dirait une manif de policiers...
mais ce n'est pas le cas. Quelques militants
kurdes brandissent drapeaux et pancartes.
Tout cela pour signaler que j'ai noté depuis plusieurs jours la présence d'une voiture de police stationnée quotidiennement à un endroit qui me semblait parfaitement digne de non-intérêt. Enfin elle a disparu et a laissé place à une camionnette qui, se garant cette fois de l'autre côté de la rue, a attiré mon attention sur le Centre culturel Anatolie (au 77). 

Vous me voyez venir, je me suis donc demandé si la présence policière était en relation avec ce lieu culturel et en rapport avec les meurtres évoqués dans le précédent billet. Les tensions sont-elles si fortes entre les représentations turques et  le PKK kurde que l'on craint pour la sécurité des uns et des autres ?

J'en étais là de mes interrogations quand remontant aujourd'hui cette rue, je longe de nouveaux cars de police rangés vers la place, la place quoi déjà, devant l'église Saint-Vincent-de-Paul ? Jetant un coup d'œil sur Google Map pour trouver le nom de la place, je découvre que se tient à cet endroit l'Institut kurde de Paris (au 106).
Et pour parfaire cette impression étrange d'être dans un film (Resnais ? Buñuel ? Greenaway?) ou un roman qui jouerait de la répétition (Robbe-Grillet ? Simon ?), une demi-heure plus tard en descendant la rue du Faubourg-Saint-Denis, j'emboîte le pas à une mini manifestation kurde. Là encore, comme samedi, le dispositif des forces de l'ordre égale la mobilisation militante, à ce point que l'on pourrait croire par moment assister à une manif de policiers !

Sans blaguer, si quelqu'un sait ce qui se passe réellement (à part ce qu'on lit ça et là sur les négociations entre le pouvoir et Öcalan) , j'aimerai bien comprendre sur quoi repose cette prévention policière.

mardi 29 janvier 2013

l'espace d'un week-end

Ce week-end, la manifestation qui montrait la proportion la plus importante de forces de l'ordre caparaçonnée par rapport au nombre de manifestants n'était pas le grand défilé pour le "mariage pour tous". C'était un rassemblement, samedi, devant l'immeuble où, récemment (le 9 janvier), trois militantes kurdes ont été abattues. L'événement a suscité déjà des mobilisations d'ampleur.
Cette fois, une poignée de manifestants pour autant de policiers en tenue d'intervention, et de nombreux véhicules en planque, au cas ou, dans le quartier. Au cas ou quoi ? Je ne sais pas quelle violence ou quels affrontements redoutait la police. De la musique, des petites pancartes noires où des lettres blanches clamaient : le peuple kurde exige la vérité. Le soir, des dizaines de bougies colorées étaient allumées devant le porche. On se sait toujours pas s'il s'agit vraiment d'un crime politique ou non.


Le lendemain je dîne avec des amis qui ont courageusement battus le pavé pour tous l'après-midi même. Comme nous sommes dimanche soir, nous tentons La quincaillerie*, d'ordinaire très bruyante, qui ne vend plus de clous depuis un moment (lieu décoré par Laura Gonzalez). Malgré mon a priori défavorable pour les cantines bobo où tous les hommes ressemblent à Nicolas Duvauchelle il y a dix ans et toutes les filles à Tania Bruna-Rosso il y a dix ans, je reconnais que c'était parfait (cuisson de la viande, vin chilien) côté cuisine.

Mais toujours un peu bruyant. Au plafond, un capteur affiche les décibels. Il semble qu'à partir de 68 ça dépasse les bornes. D'ailleurs, ça clignote dans ce cas. Effet paradoxal, certains soirs les Duvau et les Bruna attroupés au bar vocifèrent pour battre des records.

Mes amis bienveillants qui savent que je n'ai plus le temps de lire la presse en ce moment attirent mon attention sur l'excellent article de Monique Hervieu-Léger paru dans Le Monde le 12 qui a fait l'objet d'un tiré à part lors d'une conférence. On ricane en revanche devant le salmigondis signé Nathalie Heinich, dans le même journal, qui ressasse des arguments moyenâgeux (les enfants d'homosexuels seront tous psychotiques...) tout en se plaignant que le débat n'ait pas lieu...
Evidemment, ceux qui s'intéressent à la réalité du projet de loi ont toujours la possibilité de consulter le fameux et indispensable site de "Maitre Eolas" (Du mariage "pour tous", 2e partie notamment). C'est le réflexe à avoir quand il s'agit de comprendre le droit et cela évite d'écouter les sornettes de quelques autres.

Quand je pense que l'Iran envoie un singe dans l'espace alors qu'on aurait pu leur donner Frigide Barjot. En plus, rose et bleu, ce sont ses couleurs. C'est trop bête.

*La quincaillerie se trouve 76 rue du Faubourg-Saint-Denis, 75010 Paris.


lundi 21 janvier 2013

Noël en janvier


Difficile de ne pas marquer cela d'une pierre blanche... comme neige. La photo, prise sur le côté de la gare de l'Est, rue d'Alsace, a été faite samedi. Depuis, plusieurs centimètres supplémentaires sont tombés mais je ne suis pas sorti de la journée. 
En face de chez moi, les appartements en hauteur, avec leurs balcons, leurs pots de fleurs et leur toit de zinc ont l'air de maisons de conte de Noël, surtout en fin d'après-midi  quand les fenêtres s'éclairent de lumière dorée qui fait paraître la neige plus blanche encore.
C'est maintenant que j'ai envie de sapin et de cadeaux : je bois du thé au gingembre accompagné de délicieux chocolats au café que ma chère AM, comme chaque année, m'a envoyés par la poste.

vendredi 18 janvier 2013

sacerdoce

Voilà, c'est fait. Un nouvel implant de vissé dans le maxillaire. Pourquoi s'en priver, c'est agréable et bon marché, comme chacun le sait... Et puis, avec le froid qu'il fait, la petite poche de glace décongestionnante est presque superflue.


Mon corps a donc été a nouveau transformé par la main de l'homme. Et Dieu, dans tout cela ?
Pendant toute la semaine précédent mon dernier billet, France Inter était en grève. Tâtonnant à l'aveugle sur mon mini-poste de radio le mercredi, j'ai cherché une fréquence nourrissante. Et suis tombé par hasard sur Radio Notre Dame. Sacrée surprise ! Un, j'apprenais l'existence de cette radio catholique ; deux, je découvrais Marc Antoine Costa de Beauregard, prêtre orthodoxe, qui était l'invité ce jour-là de l'émission "Le grand témoin"; trois, je comprenais que la station consacrait tous ses programmes, la semaine complète, à la préparation de la manifestation anti mariage pour tous.
Sept jours d'émission pour contester l'extension des droits du mariage à tous les couples ! Je n'en revenais pas. D'autant que quand on écoute Marc Antoine de Beauregard, tout de gentillesse, de grande culture et de pédagogie, le débat est vite plié (le lien de l'émission est là) .

"- La liberté de disposer de son corps n'est pas un principe chrétien ?
- Voilà, exactement, ça c'est très important parce que je pense que c'est le fond de la polémique actuelle.
- Expliquez.
- [...] C'est la  même question que la question de l'avortement, ou que la question de l'euthanasie. L'idée de libre disposition de soi. C'est vrai que ce n'est pas du tout la vision biblique et chrétienne. [...] En fait je ne m'appartiens pas, mon corps m'est confié, ma pensée m'est confiée, ma sexualité, mon sexe m'est confié, il est même sanctifié, vous savez que nous pratiquons le  baptème par immersion totale ce qui veut dire que l'ensemble de l'être humain est sanctifié par le baptême."

Donc, aussi, la contraception, le contrôle de la fertilité font partie du lot. Marc Antoine Costa de Beauregard détaille le regard de l'église sur le corps, et la gestion du désir par l'ascèse, entre autres choses intéressantes. On voit le fossé entre l'exigence d'être à Dieu et le mariage ordinaire aujourd'hui, qu'il soit hétéro ou homo sexuel. Inutile, donc de descendre dans la rue pour cela.

Au début de son interview, Marc Antoine Costa de Beauregard dit quelques mots de la beauté de la ferveur religieuse qu'il a vu, enfant,  chez les musulmans en Égypte. C'est une expérience que l'on peut partager facilement je crois, en Moyen et plus lointain Orient.

I l y a longtemps j'ai rencontré un homme catholique qui affirmait qu'il était interdit de se tatouer, car il fallait laisser son corps à Dieu identique à celui qu'il nous avait donné. Et mon implant dentaire ?
Il y a plus longtemps encore j'avais rencontré au Maroc un jeune homme qui se prénommait Abdallah. Il avait tenu à me traduire son prénom de la façon suivante : esclave de Dieu. Puis il m'avait raconté qu'il se soumettait volontairement à d'autres hommes, de chair cette fois et si possible situés dans son regard plutôt vers le très bas que vers le Très Haut, des paysans rencontrés sur le bord de la route. Les voies du seigneur...

samedi 12 janvier 2013

familles

Ce midi après quelques achats je me pose dans un café bistrot très parisien où je me rends quelquefois et où se mélangent habitués du quartier, touristes et provinciaux venus faire des courses (l'établissement est proche des grands magasins), en ce moment tout spécialement au commencement des soldes.

Le brouhaha favorise le repli sur soi. Je profite de cette parenthèse pour sortir de mon sac un livre que je déguste à petites doses, 14, de Jean Echenoz, que m'a offert mon frère à Noël. Je prends conscience à cette occasion que je lui ai peu exprimé le plaisir que m'a fait ce présent et que je vais devoir dans l'après-coup – c'est une de mes maladies! – réparer cela.

(Depuis la veille j'ai vécu de curieuses expériences intellectuelles, des rapprochement inédits entre différents auteurs dans des domaines complètement éloignés qui apparaissent soudain reliés et tout cela m'a amusé et troublé, j'en reparlerais peut-être.) Donc me revoici dans ce restau à lire quelques pages, j'en suis encore au début du livre et soudain je tombe sur cette phrase, c'est page 20, preuve que je ne suis guère avancé dans le récit : 
"... Des chapeaux, des foulards, des bouquets, des mouchoirs s'agitaient en tous sens, des paniers de provisions passaient par les fenêtres des wagons, on serrait dans ses bras des enfants, des vieillards, des couples s'étreignaient, des larmes s'écrasaient sur les marchepieds – comme on peut le voir de nos jours à Paris sur la vaste fresque de Albert Herter, dans le hall Alsace de la gare de l'Est."
L'énumération sonne quand une dictée de mon enfance, mais ce n'est pas cela qui m'arrête, c'est la référence à la fresque de Herter.



J'ai beaucoup utilisé cette gare depuis dix ans, et chaque fois je passais devant cette toile importante qui à l'époque était sur la droite en pénétrant dans le hall. Lorsque la gare a été rénovée, je crois que la toile a bénéficié d'un nettoyage aussi, en tout cas elle a retrouvé place ensuite dans ce même lieu, au-dessus des arches qui mènent aux voies cette fois.
Souvent je l'ai détaillé : avec une part d'attirance pour sa gamme colorée élégante, son réalisme bon enfant façon illustration américaine ; aussi avec une part de répugnance pour sa grandiloquence (les embrassades, les vieillards les femmes et les enfants) et surtout pour son étrange composition.
Comment donc un peintre possédant cette maîtrise-là de la construction de l'image (voir le rythme des verticales, l'alternance des plans couleur chaude/couleur froide, les obliques poussant le regard vers la droite) pouvait-il casser cette savante structure en collant en plein milieu – patatras, un éléphant dans un magasin de porcelaine ! – le Y du jeune homme au fusil, doté de la seule ligne fuyant vers la gauche et de l'un des seuls visages également tournés vers ce côté là (encore plus, levé vers le ciel). La toile est devenue, dans mon esprit, le symbole de la composition picturale incompréhensible.
Souvent de ces débats avec moi-même j'en tire l'illusion que l'objet n'existe que pour ma petite personne. Retrouver cette fresque dans ce bouquin me saisit comme une coïncidence étrange, et comme ces corrélations dont je parlais plus haut. Je ferme le livre.

C'est une autre scène, bien réelle celle-ci, qui attire mon attention. Devant moi une mère, la cinquantaine, déjeune avec sa fille que je vois de trois quarts dos, elle lui dit : " tu as l'air fatiguée".
Je souris sous cape car ma propre mère peut me répéter cela dix fois de suite quand je vais lui rendre visite.
Après quelques échanges je m'aperçois que la conversation prend, entre la mère et la fille, un aspect de scène de ménage qui va aller en empirant. La jeune fille se plaint : elle a l'impression que sa mère n'avait pas envie de déjeuner avec elle (il y a de nombreuses considérations sur l'heure à laquelle la mère doit repartir et le fait qu'elle ait téléphoné à jenesaisqui pendant le repas). C'est quelque chose d'important pour la jeune fille qui en parle avec la voix pleine d'émotion.
Au lieu de répondre à la question de sa fille et d'accueillir son désarroi, la mère commence à se justifier avec des remarques générales sur les coups de fils, et l'heure à laquelle elles sont sorties et le choix aussi du restaurant, les arguments sont un peu flous pour moi car j'entends peu ce qu'elles disent. J'ai presque envie d'intervenir mais c'est évidemment délicat. Le fonctionnement de la scène de couple est déjà en place.
L'une exprime son ressenti et son besoin. L'autre répond sur un tout autre mode comme si elle n'entendait pas la demande qui lui était faite. Très rapidement la fille est en pleurs et la mère prend toutes les demandes d'attention pour des critiques qu'elle veut balayer d'un revers de la main sur le mode "on ne va pas en faire un drame". Pour finir la fille se met effectivement à formuler des reproches et la mère, désemparée, qui n'a rien vu venir, se terre sous un masque grimaçant.

Derrière moi c'est une beaucoup plus vieille dame qui, se levant avec son fils, évite d'un geste prompt que le manteau de celui-ci n'atterrisse dans mon assiette.
– Ça à l'air bon, dit-elle en matant l'aile de raie qu'elle a sauvée. J'aurais dû prendre ça.
– C'est très bon en effet, et c'est servi avec des carottes de trois couleurs, je renchéris joyeusement en souhaitant l'étonner.
– Oui, c'est la mode, répond-elle avec un imperceptible haussement d'épaule, et le regard très nettement suspicieux, ayant vu maintenant en moi un gogo qui peut se laisser berner par des fioritures bobos.

Le soir en cherchant sur Internet des infos sur la fresque de Herter (qui est Américain, il n'est pas inutile de le souligner), j'apprends que le jeune homme au centre de la composition est l'un des fils du peintre, Everit, engagé volontaire dans l'armée française et décédé en 1918. Voilà pourquoi sans doute il prend place de façon incongrue dans cette toile comme un moustique écrasé sur un pare-brise, et pourquoi cette scène de départ recouvre une scène d'adieux. Albert Herbert se serait représenté lui-même dans l'homme au bouquet à droite, tourné vers la gauche lui aussi. On note le rappel des fleurs au fusil. Certains voient aussi un portrait d'Adèle, la femme d'Albert, dans l'une des femmes à gauche de la composition.

lundi 7 janvier 2013

en vol


Au départ de l'aéroport, près de Roissy, la lumière était étincelante et le paysage urbain paraissait de métal scintillant et de béton vert-de-gris, une agglomération futuriste de BD. Puis après un lent virage, soudain l'éblouissement cessait et l'avion était au-dessus de la capitale, tout contre la Tour Eiffel et l'air se donnait alors si transparent que jamais je n'ai vu si bien la ville, les Tuileries et les Invalides avec leurs allures de châteaux à grand jardin. Paris si clair, si blanc, aussi gentiment dessiné que des maquettes de papier à découper.
C'était un départ pour quatre vrais jours de vacances, à ne penser, enfin, à rien.
Quatre jours à vivre à la perruche (pour les familiers du blog qui connaissent cette référence).
Pour séduire Mitch, Mélanie achète un couple de
Love birds pour sa jeune sœur et traverse la baie de
San Francisco pour le déposer en catimini chez eux.
Récemment j'ai réalisé que les inséparables, ces petits psittacidés qu'on nomme en anglais love birds, ont une place de choix dans le film d'Hitchcock, Les oiseaux. Ce sont eux le prétexte à l'intrusion de Mélanie Daniels chez Mitch, première manifestation un peu étrange du désir dans le film, et coup d'envoi de la première attaque d'oiseau, une mouette pour commencer, qui frappe l'héroïne à la tête.
Au fil du récit on voit réapparaître les perruches plusieurs fois. Philippe Grimbert, qui a consacré au film un petit article en 2008 (republié dans un recueil hétéroclite nommé Avec Freud au quotidien, chez Grasset) ne semble pas s'être beaucoup intéressé au signifié à plumes. Pourtant dans le fameux livre Hitchcock-Truffaut (éd. Ramsay), qu'il cite dans ce même article, les deux cinéastes en parlent très explicitement :

F. T. - [...] ces références aux "love birds" à travers le film sont très ironiques.
A. H. - Ironiques et nécessaires parce que l'amour survit à toute cette épreuve, hein ? À la fin, avant de monter dans la voiture, la petite fille demande "est-ce que je peux emporter les oiseaux d'amour ?"Alors cela montre que quelque chose de bon survit à travers ce couple de "Love birds".
F. T. - Chaque fois que le dialogue fait allusion aux oiseaux d'amour, c'est justement à l'intérieur d'une scène où il vient d'être question de rapports amoureux, pas seulement avec la mère mais aussi avec l'institutrice, c'est constamment utilisé à double sens.
A. H. - Oui, et cela prouve bien que le mot amour est un mot plein de suspicion.