vendredi 19 septembre 2014

petite mère

Il y a peu j'ai acheté à ma mère un album de coloriage "pour adultes", de ces produits néo bobos que l'on aurait pas pu imaginer, penser, il y a encore quelques années.

En fait, je cherchais quelque chose qui aurait pu lui redonner le goût de la peinture qu'elle montrait quand nous étions enfants (tout cela sans y croire un seul instant) : elle et mon père étaient des peintres du dimanche, reproduisant des toiles d'art moderne (Vlaminck, Cézanne, Van Gogh...), quelques-unes de ses toiles avaient du charme.

Entre tous les modèles de coloriages - psychédélique, girly fashion, motifs tattoo... - j'ai opté pour un modèle "anti-stress", qui propose des planches graphiques principalement d'inspiration florale. J'invite ma mère à choisir un dessin qu'elle aimerait colorier avec moi. Elle n'aime pas ceux avec de gros traits noirs, et se décide pour un pêle-mêle de fleurs tracées finement. 

L'expérience n'est pas vraiment concluante : ma mère peine à décider d'une couleur, craint visiblement de "mal faire", met dix minutes à teinter de façon maladroite une mini surface. On renonce assez vite, mais cela l'amuse un peu :
-" Tu me fais faire de ces trucs ! Que je n'ai pas faits depuis des années!"
Puis ensuite, quand je la quitte :

- "J'ai passé une excellente journée!"
Le lendemain je retente l'expérience avec elle. C'est après le dîner cette fois, et l'activité s'avère trop fatiguante pour elle à ce moment de la journée. Son équilibre est fragile, la moindre sollicitation en trop la malmène.


Après le coloriage, un autre jour, la lecture. 
C'est le soir, je m'installe sur son lit, elle s'est calmement préparée pour la nuit à l'idée de ce moment partagé (alors que se déshabiller et se coucher est parfois l'objet d'extrêmes complications, tensions, incompréhensions, paniques). Je lui lis une des nouvelles contenues dans un livre qui traînait chez elle ("Sept histoires qui reviennent de loin", de Jean-Christophe Ruffin, éd. Gallimard).
Je me demande si elle comprend la situation exposée. Le sommeil l'envahit peu à peu, elle commente ma lecture par quelques interventions censées signifier à la fois qu'elle suit, à la fois qu'elle ne dort pas. Au début c'est pertinent ("Ah, on va savoir ce qui s'est passé...") puis visiblement elle perd le fil avant de s'endormir tout à fait.

Quand je quitte la chambre, elle se réveille le temps seulement d'éteindre sa lampe de chevet et de me faire un signe de la main, ce qu'elle fait avec une joie particulière que je ne sais pas définir.

Je sors de l'appartement sur la pointe des pieds, j'ai l'impression d'être le personnage d'un livre pour enfant où toutes les époques se mélangeraient.

vendredi 12 septembre 2014

piqué, piquée

Parfois je la regarde et elle me semble loin, comme si derrière son visage d'immenses paysages à la Chirico défilaient, immensités où elle s'enfuirait, revenant parfois près de sa face, près de sa peau, près de ses yeux, pour nous rejoindre quelques instants, glisser deux trois mots avant de repartir vers ce chez-elle infini, où bientôt on ne l'apercevra que de loin, rendue toute petite par la distance.

D'autres fois elle est tout à fait là, à sa manière. 
Ce soir je lui raconte pour la distraire ma mésaventure du matin. Vers dix heures, vêtu d'un tee-shirt recouvert d'un sweat à capuche je suis sur un escalator au centre de la Gare de l'Est me dirigeant vers le métro quand je ressens une cuisante piqûre sur l'omoplate droite. Je pense immédiatement à une guêpe (mais comment une guêpe aurait-elle pu pénétrer sous mes habits), je gesticule, me frappe le dos, secoue mon tee-shirt : avec une stature plus longiligne, ça aurait fait une très belle scène à la Tati.  En bas de l'escalator j'ôte mon sweat, re-secoue mes habits et m'engouffre dans le métro. Dans la rame, un peu plus tard, je sens une deuxième piqûre ; je me demande si je rêve (comme lorsqu'on se gratte la tête une fois que quelqu'un a prononcé le mot "poux"), je me fais peur en imaginant une cohorte d'araignées venimeuses sous mon tee-shirt mais je ne sens aucun insecte me grimper sur le dos. Arrivé à destination quelques stations plus tard, je m'engouffre dans des toilettes, enlève mes vêtements et une guêpe effectivement tombe au sol et reste sur le flanc, gigotant à peine. Sur mon dos, vues dans le miroir, pas moins de quatre piqûres.

Ma mère écoute l'histoire avec intérêt, et son attention est portée sur l'insecte :
-"Vous avez fait quoi, vous l'avez mise dehors ?"
-"Non, je l'ai laissée là. Mais tu sais, elle ne bougeait qu'à peine, elle semblait toute flapie."
Elle réfléchit. Puis mimant un air un peu "stone" :
-"Mais tu crois qu'elle avait avalé des médicaments, ou quelque chose, pour être comme ça ?"

Bientôt, il faudra qu'elle écrive des poèmes, ou des romans à la Roald Dahl.

mercredi 10 septembre 2014

party girl

Marie Amachoukeli, Samuel Theis et Claire Burger,
le trio de réalisateurs de Party Girl à Cannes (photo dr).

Je devais dîner avec ma chère H. R., mais celle-ci m'a préféré une soirée de travail. Drôle d'idée. 

J'ai donc troqué H. contre un ciné tardif. Party Girl, de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis : incontestable, simple, beau et triste comme un slow en allemand dans une soirée de mariage.

dimanche 7 septembre 2014

prendre le temps

Quand j'ai voulu acheter cette horloge à ma mère, c'était en fin d'année dernière, je l'avais commandée en espérant qu'elle serait livrée pour Noël. Malheureusement le site (spécialisé dans les articles pour "seniors") auprès duquel j'avais fait cet achat n'a pas été du plus performant. Je n'ai reçu l'objet que mi février.

Entre décembre et février, puisqu'il est question du temps qui passe, ma mère avait, je crois, déjà perdu la notion du jour et de l'heure. Elle a cependant accueilli l'objet avec plaisir car elle le trouvait décoratif (si, si!) et parce que, à la question "Mais ça a dû te coûter cher ?", j'avais eu la malice de répondre la vérité : "Oui!". L'horloge électronique s'était donc vu parée du prestige des produits de luxe. Après avoir imaginé l'accrocher en plein milieu du mur du salon, ma mère avait finalement opté pour une place moins voyante et l'a posée sur un meuble où elle trône toujours (l'objet fait environ 30 cm de côté, ce n'est donc pas très discret).

Quelle a donc été ma surprise d'apprendre que quelqu'un de ma famille venait juste de découvrir ces-jours-ci que ma mère ne savait plus lire l'heure... À croire que nous ne vivons pas dans le même espace-temps.
Le matin même ma mère m'avait dit qu'elle pensait à moi dès qu'elle regardait l'horloge électronique puis, interrogative, en montrant les chiffres lumineux, elle m'avait demandé :" C'est toi qui mets les trucs dedans?" Son imagination, sans borne, est parfois un enchantement.

De retour de la campagne ses ongles étaient nus. Depuis, le plaisir du vernis est revenu.


Hier midi elle réclame que je remette en fonction une autre horloge, classique celle-ci, simplement ronde et sans date, qui se trouve dans la cuisine et dont visiblement la pile a dû rendre l'âme. Je m'exécute, monte sur un escabeau, change la pile et remet la machine en route. Bien évidemment la notation de l'heure représente une difficulté supplémentaire, celle de l'horloge électronique est sur 24 heures, l'autre sur 12 heures. 
Il est 15h12 quand je remets les aiguilles en place. Je lui explique, sans prétendre qu'elle pourra le comprendre, que 3 heures et 15 heures sont la même chose, je lui montre sur le cadran 12, 13, 14 et 15.
-" Ah, eh bien je suis éberluée", affirme ma mère d'un ton de réelle surprise, et je m'amuse intérieurement de ce mot à mes yeux un peu désuet.
Ensuite elle regarde le cadran, il est maintenant presque trois heures et quart et elle lit : "Quinze heures trois." Effectivement la grande aiguille est presque sur le 3.

Toujours question d'espace-temps : les jours passés je m'engueule avec ma famille parce que certains d'entre eux veulent en cinq jours imposer à ma mère infirmière le matin, aide-malade à midi et le soir, et aide ménagère l'après-midi, alors que pour l'instant elle n'a bénéficié que de l'aide familiale. Impossible pour eux d'entendre qu'on pourrait lui laisser le temps de s'acclimater aux choses petit à petit.
-"C'est pour l'apaiser et qu'elle ne s'inquiète pas", me rétorquent-ils, sans rire et sans comprendre qu'ils parlent d'eux-mêmes.
La folie est bien là.

lundi 1 septembre 2014

ganesh chaturthi


La grande fête hindoue se tenait aujourd'hui à Paris. 
Foule colorée, venue célébrer Ganesh. Le char du dieu éléphant est tiré dans la rue par des dévots, et sur son passage, des montagnes de noix de coco sont brisées, jetées au sol où elles explosent comme des grenades, ou choquées l'une contre l'autre à toute force par les fidèles qui se retrouvent aspergés de leur lait. La symbolique du geste diffère selon les interprétations. Soit la coquille représente l'illusion, et le lait l'ego humain libéré, soit la coque symbolise la rigidité de l'ego qui laisse enfin s'épanouir la nature humaine. Dans tous les cas, sortir du carcan est bénéfique.

Dans certains pays les fidèles confectionnent ou achètent des statues d'argile, et la fin du défilé s'achève dans un fleuve où chacun laisse son Ganesh de terre se dissoudre dans l'eau et se fondre dans la nature.
Ici en revanche le parcours des chars, danseurs et musiciens est plus limité, ça se passe entre l'Hôpital Fernand Widal et Marx Dormoy.