jeudi 30 janvier 2014

enfance

Je suis dans le rer - c'était il y a quelques jours - je reviens de chez ma mère ou bien d'une réunion avec des collègues, je ne sais déjà plus. Non loin dans le wagon, assis me faisant face, un jeune homme brun dont le visage est secoué de tics.
Les sourcils remontent - le gauche plus que le droit - et se remettent en place. Puis la face se tourmente, déformée de plusieurs mouvements, enfin un déglutissement tire la pomme d'Adam vers le bas.
Ca reprend, les sourcils remontent. Des crispations qui affectent les paupières, les muscles releveurs sous les ailes du nez, le tour de la bouche..., il est difficile de percevoir laquelle précède ou entraîne une autre, et de discerner celles qui seraient simultanées, celles qui seraient superposées - un tremblement plus puissant pouvant en recouvrir un de moindre importance. La pomme d'Adam, elle, semble clore la séquence. Qui reprend.
Curieusement cette cascade de grimaces infimes ne le défigure pas, ne l'enlaidit pas. La régularité mathématique de ces répétitions m'étonne, comme la variété naturelle des mouvements possibles de ces muscles. Ca reprend. Sans cesse.

Le temps passe. Soudain, je me rends compte que le garçon me regarde, ou plus exactement, me regarde le regarder, depuis un certain temps maintenant.
Tendu à identifier le cycle et le rythme de ses tics, je suis quasiment hypnotisé, engourdi, n'existant plus que dans cette succession narcotique : je sors de ma torpeur, retrouvant l'impression ressentie enfant lorsque j'essayais, de même, de repérer dans les enseignes lumineuses clignotantes les séquences de couleurs des néons, où les tempos variés des guirlandes de Noël chez ma grand-mère, à Clermont-Ferrand.

 

vendredi 17 janvier 2014

raconter la vie

Le matin j'écoute, quand j'en ai la possibilité, la matinale de France Inter. En réalité, la plupart du temps j'ai le sentiment que c'est la radio qui m'écoute, puisque je suis naufragé sur l'oreiller me demandant si je vais glisser du radeau pour retomber dans les profondeurs moelleuses du sommeil ou bien héroïquement me hisser jusqu'à l'éveil complet et poser pied à terre, avec ce mouvement du corps qui nécessite une dynamique complexe que j'associe au saut du poisson hors de l'eau - élan, inflexion, réception.
D'autres jours, très en forme (ça arrive, oui), je goûte ces informations parlées en pianotant sur ma tablette pour vérifier, comparer, enrichir ce qui m'est glissé à l'oreille.

Jeudi dernier, c'est dans un état "entre deux", que je m'interesse au projet que Pierre Rosanvallon expose sur les ondes, ambitieuse volonté de "raconter la vie" au travers une collection de livres et un site Internet participatif.
C'est d'ordinaire le type d'initiative qui m'emballe en même temps que j'ai fait l'expérience de ma difficulté à m'y interesser de près, ou du moins de façon soutenue et continue.
Je pense notamment au projet "7 miliards d'autres" (http://www.7billionothers.org/fr), ou encore à "Story Corps" (http://storycorps.org) et même aux textes comme la Misère du monde, de Bourdieu.

Raconterlavie (c'est le nom du site, lien ici) a donc pour but de collecter, de faire partager des témoignages sur la vie quotidienne, de rendre les invisibles visibles, de donner la parole à ceux qu'on entend pas ou peu d'ordinaire, pour "rendre plus lisible la société d’aujourd’hui et à aider les individus qui la composent à s’insérer dans une histoire collective". C'est louable.
Il est même précisé : "Toutes les hiérarchies de « genres » ou de « styles » y sont abolies ; les paroles brutes y sont considérées comme aussi légitimes que les écritures des professionnels de l’écrit" . Tout cela est parfait mais ce matin où je suis peu engourdi et avide d'en savoir plus, je me connecte sur le site de raconterlavie.


A la rubrique "Qui sommes-nous ?", s'affiche la photo de l'équipe malheureusement légendée. Malgré la mauvaise qualité de la saisie écran ci-dessous, vous remarquez l'horrible hiatus entre les objectifs annoncés du site, et la présentation de ceux qui l'animent. Non seulement les membres de l'équipe sont cités en fonction de leur statut hiérarchique (plutôt que par ordre d'apparition sur la photo de groupe), mais le pire, la masse de texte qui leur est consacrée est décroissante, du directeur jusqu'au dernier de la liste, le web designer, petit Poucet condamné à n'avoir pas d'histoire du tout. C'est très mal venu cette disparition progressive qui semble organisée en fonction de la pyramide hiérarchique, et peut-être même salariale...
Nous raconte-t-on des cracks ? Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais ?

Malgré cette boulette (sur laquelle je vais tenter d'attirer leur attention), l'initiative m'a parue suffisamment intéressante pour poursuivre, avec application, mon surf sur leur site.
Il y a, de fait, des choses intéréssantes à lire, des récits touchants. Et je vais de ce pas, ou de ce clic, en faire publicité à quelques amis qui pourraient être désireux d'y participer.

mercredi 15 janvier 2014

Zemmour, sexologue blonde

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mardi 14 janvier 2014

B2B

Me voici à nouveau à l'aéroport, où le wifi me demande de confirmer si je suis bien Brigitte Bardot (voir billet du 09/12/2013). Et comment!
 Il est tôt, je sais que le sommeil va me rapter pendant le vol : ça ne tarde pas. Je me réveille pour découvrir le spectacle du ciel comme une immense banquise lumineuse, plancher blanc, sans relief, à l'infini. Plus tard la même immensité au contraire striée par le passage d'une dameuse à neige céleste qui n'aurait oublié aucun nuage plat. 
À B. il fait doux et je retrouve B. plutôt en forme. Nous marchons sans but sur le sable, promenades qui ne sont que prétexte à discussions.
Elle m'offre un deuxième bonnet, et cela renforce l'association que j'avais faite avec les bonnets de soutien-gorge. Il est vrai que du soutien, il en est question. 
Je voie B avec sa perruque pour la première fois. Jusqu'ici je ne l'avais vue que chapeautée ou le crâne nu. C'est plutôt joli, la matière des cheveux à l'air assez naturel.
 
Nous disposons d'un peu plus de temps que le week-end précédent, mon vol de retour est plus tardif le dimanche. Le samedi soir, on va au cinéma voir Philomena, de Stephen Frears. J'ai du mal à comprendre la différence de niveau de vie entre ici et Paris : nous payons 12 euros pour les deux places. Le matin, au bar du marché, nos deux consommations ont été facturées 2 euros. J'ai voulu en laisser 3, en arguant que je n'avais pas l'habitude de payer si peu cher mais la serveuse a refusé. J'ai eu l'air d'un con je crois.
 
Le dimanche le sable nous accueille à nouveau, on vient en compagnie d'un poulet rôti que nous dégustons au soleil. Il paraît qu'il va pleuvoir en fin d'après-midi. B. dit sa peur de la mort, d'une mort qui s'annoncerait. Comment ne pas y penser. Elle dit encore : "on doit s'y faire". Dans mon for intérieur je pense "on n'a pas le choix", mais ça ne me paraît pas si sûr.  On rit beaucoup malgré la question de la disparition omnipresente, bien là. L'ablation a eu lieu. Plus tard, le long d'un parapet, B. m'assure que c'est ici qu'une jeune femme a été emportée par une vague. Moi je sais que ce n'est pas a cet endroit mais je ne dis rien. B. a subitement très froid, on rentre, finalement la pluie n'est pas venue. 

mercredi 8 janvier 2014

l'absent

Ce soir-là elle détaille à nouveau
la photo dont je faisais allusion
dans un billet précédent.
Depuis un mois peut-être, j'ai "professionnalisé" mes venues chez ma mère. Je suis plus efficace dans mes choix de courses, je comprends mieux ce dont elle a besoin, je suis plus habile à cuisiner des mets d'avance (qu'elle pourra garder et manger les jours suivants) tout en faisant comme si je ne préparais qu'un repas (afin de ne pas l'effrayer par un surplus de nourriture qui l'indispose).
Ce progrès a cependant un effet pervers : je réalise ce soir que je me concentre uniquement sur mon rôle nourricier plutôt que sur ce que je peux échanger avec elle. 

Je me dissimule derrière des problèmes de poulet rôti pour supporter de la voir se vider chaque fois un peu plus de son être, de sa raison. 
Effet miroir : je me remémore des images de "mauvaises" mères qui, dans les situations les plus tragiques, n'ont pas d'autres mots que "Tu veux manger quoi ?".

Pourtant maman existe bien. Un dîner récent, où elle n'avait cessé de redire toujours les mêmes choses et de commenter les emballages de fromages, voici qu'elle fait allusion à mon père, je ne sais plus pourquoi.

-"Le pire, c'est que dès que tu seras parti, je vais l'engueuler, et m'engueuler aussi!"
Je l'avais déjà entendu dire qu'elle parlait à mon père "dans sa tête", et qu'elle lui reprochait notamment de l'avoir laissée seule.
-"Pourquoi vas-tu t'engueuler toi aussi ?"
-"Oh parce que, être comme ça, si tu crois que je ne me rends pas compte comment je deviens."
Puis, ensuite :
-"C'est affreux de passer ses journées avec quelqu'un qu'on ne peut même plus voir."

l'irrémédiable

« À l'aube du 19 avril, une dizaine de soldats avaient défoncé le portail de l'EFEO* à coups de crosse. La maison de l'École était la seule du quartier à être encore intacte. [...]

Ils envahirent aussitôt le jardin et les dépendances, puis pénétrèrent dans la maison, sans s'occuper de ma présence. C'étaient de vrais Khmers rouges, en pyjama noir et krama, avec une casquette verte qui allongeait leur visage ; de vrais campagnards, sans morgue au front, mais à l'expression obtuse, et maintenant incapables de surmonter le sentiment de dégoût qui faisait bondir leur cœur à la vue d'un "valet des impérialistes". Ils regardaient tout, ouvrant les placards, entrant dans les chambres, saisissant au passage un bibelot qu'ils retournaient dans leurs mains, avec un rire intrigué et innocent. [...]

Pendant ce temps, une camionnette était venue se garer à l'intérieur de la cour de l'École. D'autres maquisards, qui ne connaissaient pas les premiers – je les vis se renifler, sur le qui-vive –, entrèrent dans la bibliothèque et commencèrent à vider les rayonnages, jetant les livres par paquets dans la benne. Les collections du premier étage furent lancées des fenêtres. Regorgeant des précieux ouvrages que nous avions volontairement gardés à Phnom Penh, dans le souci de témoigner de notre attachement aux générations khmères du futur – parce qu'il était dans l'air du temps de nourrir la conviction que les intellectuels d'un pays auraient toujours besoin, communistes ou non, d'une collection d'ouvrages rares traitant de leur propre histoire et de leur propre culture –, la camionnette fut plusieurs voyages. Empêtrée dans ses contradictions, la France comprit trop tard que les Khmers rouges, qui ignoraient l'art de la laine, ne sauraient pas qu'il faut tondre le mouton au lieu de l'écorcher vif. Tous ces livres de l'École, laborieusement annotés par plusieurs générations de savants, furent brûlés avec d'autres, dans un pathétique autodafé qui n'excita qu'une poignée d'adolescents... »

Extrait du "Portail", François Bizot, édition La Table ronde.
*L'École française d'Extrême-Orient, à Phnom Penh. 
L'action se situe en 1975, les Khmers tiennent la ville depuis le 17.

vendredi 3 janvier 2014

2014

Voilà.  Les fêtes, c'est fait. J'ai passé un chaleureux Noël amical chez F., dont je suis reparti avec ce carnet bleu en papier népalais conçu par le fils de la maison. Une belle invitation.
C'est avec le tendre A. que j'ai terminé l'année, à la perruche. Promenades sans but, grasses matinées, feu d'artifice sur le lac, etc. Bonne année à toi, lecteur.


Carnet Lamali.