jeudi 31 juillet 2014

érections napolitaines

"Flaubert se félicitait de son activité sexuelle à Naples : "Dans la molle Parthénope, je ne débande pas...", attribuant cette lubricité à "la proximité du Vésuve qui [lui] chauffe le cul" et qui "monte au coeur, par les fesses". Le parc du Vésuve sert aujourd'hui de baisodrome aux jeunes gens qui vont connaître des étreintes fugitives dans les buissons. Des campagnes de "guerre à la pollution des petits couples" ont même eu lieu."

Extrait de Naples allegro con fuoco, de Véronique Bruez, éditions Gallimard,
collection Le sentiment géographique.

Les confessions de Flaubert sont issues de sa correspondance, lors de son second voyage italien, en 1851 (le premier date de 1845). C'est à l'illustrateur Camille Rogier qu'il confie des détails sur sa vie intime et sur quelques menus problèmes sexuels dont la résolution lui permet de clamer enfin  : "Je peux maintenant me présenter généreusement en société. Et je m'y présente, ô Rogier. Dans la molle Parthénope, je ne débande pas, je fous comme un âne débâté. Le contact seul avec mon pantalon me fait entrer en érection. Un de ces jours, je vais m'abaisser jusqu'à enfiler la blanchisseusse qui trouve que je suis "molto gentile". " 

Naples


Une amie rouspète gentiment car je n'ai publié aucune image de Naples où je suis passé en coup de vent. Impardonnable manquement d'autant que mon bed and breakfast proposait un excellent wifi. Mais la ville refuse tout désir tourné au dehors d'elle, surtout à celui qui a l'arrogance de n'y venir que quatre jours comme ce fut mon cas.
Compilation de photos donc, puisque Naples, plus de feu que de mer, est un entremêlement, un empilement, un jeu de touche-touche. Le baroque côtoie le gothique, le sous-terrain l'exhibé, le païen le sacré, le féminin le masculin, la chair l'os etc, mais ce qu'on risque le plus c'est d'être vraiment touché-touché, plié et piégé dans l'entrelacs de gentillesse, de drôlerie, de vie, de sensualité, flagellé de soleil et d'averses qui ne laissent d'autres traces, comme chez Le Caravage, que d'ombre et de lumière.
Agréablement, peu rancunière, Naples m'a chuchoté m'attendre à nouveau. Et puisque l'on peut succomber sans trépasser...

1. Peinture murale dans la Villa des mystères, à Pompéi (mais très excentrée, à gauche en entrant sur le site).
2. Vue de la rue face au musée Pio Monte della Misericordia qui, dans sa chapelle octogonale, recèle l'un des trois Le Caravage de la ville.
3. Graffiti religieux, ou blasphématoire, ou plus vraisemblablement les deux à la fois. On remarque à droite le filin qui permet de monter les courses par la fenêtre dans un seau en plastique.
4. Fessier local.
5. Marché romain situé sous le convento San Lorenzo. On se promène dans les entrailles de la ville.
6. Au musée Capodimonte, la Flagellation du Christ, par Le Caravage.

mardi 29 juillet 2014

Mac Luhan et l'intégrisme

" [...] Je ne suis pas croyant, je ne pourrais pas dire aussi affirmativement que je ne suis pas chrétien.
[...] Certains diront même de moi que je suis culturellement catholique. C'est par le christianisme que je suis étranger aux autres civilisations : hindouiste, islamique, par exemple. J'ai une conscience très nette d'appartenir à une civilisation chrétienne.[...]
Cette culture me rend plus sensible au "medium" qu'est l'Église qu'à son "message", pour reprendre le vocabulaire de Mac Luhan. Medium qui fait la force sociale d'une religion, peut-être plus que la fine pointe de son message ; c'est ainsi que l'intégrisme doit être compris comme une demande de renforcement du médium plus que du message. Je sais aussi que le vrai message, celui qui marque une civilisation, est le médium, et pas la fine pointe du message. Il faut donc être très vigilant sur le médium."

Daniel Defert, extrait de La chair, le corps et le latex, intervention lors des rencontres annuelles du mouvement Chrétiens & Sida, mars 1994, tiré du livre Une vie politique, éditions Seuil.

jeudi 24 juillet 2014

l'image de soi

J'imagine que je n'avais pas très envie d'aller passer ce scanner thoracique.
Déjà, précédemment, lors de ma dernière radio pulmonaire et du dernier rendez-vous avec le pneumologue, j'avais réussi à oublier les clichés antérieurs qui permettent de comparer le passé et le présent. Cette fois j'ai fait mieux.

La veille pourtant c'était bien parti. Le plancher du salon a disparu sous l'amoncellement d'enveloppes estampillées "image numérique" (j'en ai un tel stock!), et j'ai vraiment tenté de constituer un mini dossier cohérent : un ancien scanner, des radios de différentes années. Je me suis endormi l'âme en paix de celui qui a accompli son devoir.
Ce n'est pas pour autant que j'avais réglé mon réveil à une heure compatible avec mon rendez-vous matinal. Bref, un non petit-déjeuner et une douche mega express plus tard j'étais sur mon vélo, proche du labo de radiologie, me rendant juste compte que je n'avais pas emporté l'ordonnance.
Anyway, je passe les détails qui me hérissent (le local scanner a déménagé, il est plus loin dans la rue, on est censé le trouver facilement mais il est identifié avec une enseigne jaune et ronde alors que le logo de la maison mère est bleu et carré) (à l'accueil il faut remplir en une seconde une décharge pour autoriser le labo à vous injecter de l'iode mais la jeune femme ne vous précise pas qu'il s'agit de cela), je me soumets au scanner grâce à une opératrice qui possède un physique à présenter des émissions de téléachat puis je retourne attendre dans la salle ad hoc.
Ensuite il faut que j'aille à la pharmacie avec ma carte vitale pour acheter un kit d'injection qui doit remplacer celui que l'on a utilisé pour moi. Le pharmacien porte un drôle de collier très serré, une chaîne noire qui fait le tour du cou façon collier de chien et se ferme sur le devant avec un cadenas, noir lui aussi. J'hésite un moment à lui demander s'il est amateur de soumission mais je crains que ma curiosité soit déplacée. Il me répète la même chose que l'opératrice radio : boire au moins deux litres d'eau aujourd'hui et demain pour évacuer l'iode injectée. Beurk.

La jeune femme de l'accueil m'avait déjà signalé qu'il manquait des compte-rendus de radio dans le mini dossier d'images que j'avais concocté avec application (elle le signale avec politesse mais malgré tout l'expression de son visage articule clairement "mais c'est pas possible d'être aussi con", ou bien "t'es une fille et t'as pas de cheveux ?"). Je m'aperçois avec gêne que je ne me suis effectivement pas intéressé au compte-rendu, comme si l'image seule était toute puissance, lisible évidemment à la manière d'un pictogramme, sans ambiguité, sans nécessité d'un contexte. Il faut clairement être assez irréfléchi pour s'être laissé submergé par ces représentations inconscientes de l'image. Oui, j'ai le sentiment d'être con comme une pioche.
Impression confirmée plus tard quand le médecin me fait signe d'approcher et commente le scanner du jour en précisant que, malheureusement, il n'a pas trouvé le compte-rendu du scanner précédent que j'ai pourtant apporté...
C'est un jeune homme plutôt bogosse qui s'exprime bien, et je note que leurs conditions de travail (à lui et ses collègues) ont l'air assez médiocres. Nous sommes dans un boyau exigu qui sert de bureau et de couloir. Je me dis que cela doit être un boulot de début de carrière, à quitter dès que possible (mais c'est peut-être inexact).
Le scanner est rassurant en ce qui concerne les poumons, mais sa foutue précision permet de se poser des questions sur d'autres choses si on le souhaite. L'impression qu'on a ouvert une fenêtre sur mon corps, les volets clos depuis longtemps qui s'écartent et laissent passer toute la lumière. Alors que l'ombre est si fraîche.




mercredi 16 juillet 2014

la folie, c'est dingue!

Prévenir ma mère à l'avance de mes visites n'a plus du tout une fonction de rassurance.
Auparavant je lui téléphonais la veille pour l'informer que je passerai le lendemain soir dîner avec elle. Puis elle a commencé à montrer à ce sujet des signes d'inquiétude, rappelant, questionnant quel jour ou quelle heure on se verrait alors etc. En réalité elle sait que quelque chose est prévu mais s'affole de ne pas se souvenir exactement quoi et quand.
Plus tard j'ai donc attendu le jour même, au matin, pour la prévenir de mon passage le soir. L'accalmie n'a pas duré très longtemps. Le téléphone sonna encore.
Parfois elle n'ose pas demander quand je viens et reste évasive, sans rien dire, d'autre fois elle semble meubler la conversation avec des considérations annexes, elle me demande si je travaille puis, finalement, si on se verra ce soir.
J'ai donc différé mon annonce en début d'après-midi, un coup de fil rapide pour lui dire que je serai chez elle a la même heure que d'habitude le soir. Quelques fois ce stratagème a fonctionné, puis elle a appelé encore, laissant souvent un message paniqué sur le répondeur après lequel, quand je la rappelais, elle était flottante. Pourquoi avait-t-elle appelé? Quand?
Elle ne sait plus, elle glisse souvent : "c'est que je n'avais pas le moral" sans que je sache si cela est vrai ou si c'est une raison susceptible de lui servir d'excuse (les deux choses pouvant exister conjointement).
La dernière fois, pour expliquer son appel, elle a eu cette phrase particulière, qui doit bien dépeindre son état intérieur : après m'avoir expliqué qu'elle s'était assoupie, elle décrit : " je savais que j'allais te voir mais je te cherchais partout dans ma tête. C'était dingue!"
Je lui dis qu'elle a bien raison d'avoir téléphoné si elle s'inquiétait, que finalement le téléphone ça sert à ça, aux moments où l'on s'inquiète. Elle est toute joyeuse de cette trouvaille, elle rigole comme si on avait inventé tous les deux un usage inédit des télécommunications qui la dédouane de tout. Il y a de la reconnaissance dans sa voix, quelque chose de rond et de chaud. Elle a besoin qu'on l'accepte telle qu'elle est.


mardi 1 juillet 2014

la distinction

"Mardi 22 octobre

J'ai arrêté mon journal.
Comme chaque fois que je cesse de consigner le présent, j'ai l'impression de me retirer du mouvement du monde, de renoncer non seulement à dire mon époque mais à la voir. Parce que voir pour écrire, c'est voir autrement. C'est distinguer des objets, des individus, des mécanismes et leur conférer valeur d'existence."

Annie Ernaux, extrait de Regarde les lumières mon amour, éditions du Seuil,
coll. Raconter la vie.