lundi 28 septembre 2015

éclipses...

Finalement j'ai assisté à cette éclipse.
Réveillé par hasard au cœur de la nuit, troublé par la vive luminosité des étoiles, je suis descendu sur la plage de Figueretas alors que la Lune était déjà au quart masquée de noir. Je pensais trouver sur mon chemin de nombreux spectateurs, dans les rues ou sur les balcons : une île de noctambules, pour le coup, c'était l'occasion, non?
Arrivé sur le sable, dans cette baie que la nuit rend magique, j'étais presque seul. Quatre ou cinq observateurs, pas plus, alors que plus loin sur la promenade, d'un groupe apparemment éméché, une jeune fille hurlait :" Whou! I want to show you my dick!" Une proposition qu'elle refera peut être en 2033, qui sait?

L'astre lunaire est devenu plus doré que rouge, brunissant en son centre, et au moment où on l'espérait de braise, un voile de nuages blancs l'a couvert.
J'ai pensé brièvement que ces nuages allaient sans doute mettre en péril ma journée plage du lendemain mais l'heure n'était pas aux anticipations mais à goûter cet instant là, cette nuit douce et d'or. J'ai gravi la colline en direction de mon hôtel, le nez toujours en l'air. De blanche, la nappe nuageuse est devenue rose, ajoutant encore à la magie de l'événement. 
En haut du dernier escalier qui me ramenait "chez  moi", j'ai attendu à nouveau. Entre deux hampes d'agave se détachant sur le ciel et ses nuages barbe-à-papa, la Lune a daigné se montrer à nouveau.

Me retournant, j'aperçois alors, à un balcon de l'hôtel, trois jeunes hommes totalement nus, profitant du spectacle céleste. Deux se tiennent à la rambarde dont l'un, courbé, les jambes écartées, se fait sodomiser par le troisième. La nuit est silencieuse, je perçois le bruit des chairs qui se cognent. Pleine Lune et lune pleine, voilà une amusante façon de célébrer le cosmos, avec sans doute plus d'esprit que le triste monsieur On dans son livre du même nom.

Il faut dire : ayant regardé sur Arte Replay le joli documentaire sur Barthes (Le théâtre du langage, signé Chantal Thomas et Thierry Thomas), ayant écouté Les Murray et Daniel Tammet à la maison de la poésie avant de partir, je me demande par quelle malédiction les médias et l'opinion publique (?) ont fait de monsieur On, ce prof de philo, la figure d'un intellectuel français, grenouille enflée qui nous emboeuf le paysage (qu'on excuse ce néologisme animalier).
Éclipse de la pensée, vraiment, à voir rouge.


Sachant que mon iPhone ne me permettrait pas
d'immortaliser la Lune rouge, et ayant eu une subite
envie de gyoza, j'ai imaginé que ce lustre ferait l'affaire...

dimanche 27 septembre 2015

ibizarre

Depuis le temps qu'on évoquait cette éventualité : la falaise s'est effondrée sur la playa de las mujeres (platja de ses dones), mini plage de cailloux qui a l'avantage d'être quasiment située en ville et se voit donc fréquentée plus par les locaux que par les touristes, qui en ignorent parfois l'existence.

Je le découvre hier après-midi. Double éboulis même, puisque l'amorce du chemin escarpé qui mène à la crique s'est écroulé aussi. Un panneau interdit la descente : je le vois comme une divine chance que la plage soit encore plus tranquille qu'avant! 
Un des graffitis superposé à cet avertissement nomme la petite anse "cala minga" : pour ma part, je ne l'ai jamais entendue appelée de cette façon.

L'eau est merveilleuse. Aujourd'hui, avant l'orage, je m'amuse avec les poissons et leur donne des morceaux de mon empanada. C'est la ruée autour de moi, tant et si bien que l'un d'eux me mord par deux fois le téton. Aie, ça fait mal. Comme, une fois n'est pas coutume, je me baigne sans maillot, j'écourte ma baignade. Je ne suis pas doté d'un micro pénis susceptible d'être confondu avec une miette d'empanada mais je me méfie de leur voracité...




mardi 22 septembre 2015

Maud Molyneux le multiple

J'ignorais, quand j'ai revu Jeux d'artifices, de Virginie Thévenet, au début de l'été, que Maud Molyneux était mort(e). C'est en cherchant des infos sur lui/elle à cette occasion que j'ai appris la nouvelle (pas très nouvelle, décès en septembre 2008 d'après sa fiche Wiki).

J'avais acheté aux puces, il y a bien longtemps, en pensant à lui, un ensemble de porte-couteaux désuets dont je ne me suis jamais séparé malgré son inutilité et plusieurs déménagements. Clin d'oeil à une collection de vaisselle et d'objets du même vert qui trônait dans une vitrine au coin de la pièce où nous avions dîné ensemble pour la première fois ce soir de l'année... 84, je pense. A cette date, Maud avait quitté le journal Libération et travaillait pour le magazine Joyce. Nous nous sommes revus quelquefois ensuite, toujours dans cet appartement du mythique immeuble de la rue Vavin signé Henri Sauvage.

On trouve sur le Net quelques articles publiés au moment de sa mort et des témoignages sur le site de la cinémathèque, ici. 

Il existe aussi un livre, paru en 2011, qui compile des écrits de Maud sur le cinéma (signé Louella Interim), sur la mode et sur la littérature (signés Dora Forbes), ainsi que des propos recueillis auprès de quelques uns de ses proches : une cousine, Gérard Lefort, Farid Chenoune, Hélène Hazéra, Adeline André, Serge Toubiana etc. (Monsieur Maud, parcours d'un journaliste esthète, éditions Rue Fromentin.)

L'immeuble iconique de Henri Sauvage, rue Vavin, où furent tournées les scènes
de salle de bains et d'ascenseur du Dernier Tango à Paris. La cousine de Maud explique :
" Nos arrière-grands-parents étaient de grands bourgeois, des mécènes importants
à la fin du XIXe siècle. Ils ont, par exemple, financé la construction par Henri Sauvage,
l'architecte de la Samaritaine, de l'immeuble de la rue Vavin
où Marc a longtemps vécu avec sa mère. Un lieu capital dans son existence."
Nulle part pourtant je ne trouve l'anecdote amusante que Maud m'avait confiée sur son prénom (il s'appelait en réalité Marc). Hélène Hazéra indique : "Une serveuse d'un restaurant de Saint-Germain l'a baptisé ainsi, et c'est resté." Lui m'avait glissé malicieusement (mais les deux versions de l'histoire ne s'excluent pas, au contraire) : "C'est tout de même le prénom de la femme de mon psychanalyste..."

Je me souviens chez lui d'un mélange très singulier de rigueur (qui pouvait frôler la rigidité, des choses qui se font et d'autres qui ne se font pas) et d'ouverture d'esprit la plus large, la plus loufoque. Je l'avais rencontré pour ma part par l'intermédiaire d'un photographe très très fantasque qui officiait sous le pseudonyme de Roméo (et que je devais revoir une ultime fois dans la nuit parisienne : il me racontait s'être tout juste échappé d'un hôpital psychiatrique où on l'aurait placé de force).


(Pour ceux qui ne pourrait visionner la vidéo ci-dessus, il s'agit d'un extrait du film Tam tam, de Adolfo Arrieta. Maud apparaît à 1:44. Ceux qui l'ont connu goûteront à nouveau sa diction particulière, un peu sifflante par moment.)
Photo du tournage de Tam tam, par Catherine Faux :
Hélène Hazéra et Maud Molyneux.

Maud avait l'élégance d'accueillir les gens et les choses alors même que ses jugements pouvaient être des plus tranchants. Son acuité sur la création était celle de son regard : déjà il annonçait la pérennité de Jean Paul Gaultier quand d'autres s'interrogeaient encore sur le succès du jeune couturier, et il déplorait que l'apparition du magnétoscope n'ait pas incité chacun (et les critiques de cinéma en premier) à regarder mieux les films, usant de la possibilité de revenir sur une scène, de s'arrêter sur un plan...
Tous n'avaient évidemment pas sa capacité à, au cours d'un article, restituer dialogues ou mouvements de caméra, comme son aptitude d'esthète à voir dieu ou diable dans un détail. Les costumes étaient pour lui, à ce titre, cette partie de l'ensemble qui peut être parfois le tout.

Maud Molyneux est aussi, à sa manière, une partie de l'histoire de notre cinéma.

lundi 14 septembre 2015

sodomie, fellation, cunnilingus...

Relisant avec un brin de perplexité la liste des maux qui gangrènent notre société d'après Daech ("fornication, sodomy, drugs and alcohol", demandez le programme !), j'avais envie d'y ajouter "danse, musique, littérature, cinéma...", et envie de publier une vidéo de Matthew Mallia, gogo boy musclé qui se produit façon danse orientale dans un bar gay de Mykonos. 
Mais, malgré ses efforts de diaphragme, il danse vraiment trop mal ce genre que j'apprécie.

J'ai donc opté pour un intermède cinématographique que les gens de ma génération connaissent bien, tiré de Hair (Milos Forman, 1979). Ah, exquise décadence...


dimanche 13 septembre 2015

très chair business


Tiens, revoilà Aylan Kurdi, le petit bambin dont toute la planète connaît le nom. 
Ou plutôt, tiens, revoilà son image qui, puisqu'elle est une coquille vide, peut être utilisée indéfiniment par n'importe qui. 

Après que sa photo a servi d'argumentaire à Robert Ménard (instrumentalisant l'instrumentalisation précédente), Aylan "pose" involontairement pour Daech cette fois, dans le numéro 11 du magazine Dabiq (p. 22), organe de propagande anglophone du groupe terroriste islamique.
L'argumentaire est simple : c'est mal de s'éloigner d'une terre aussi accueillante que le Khalifat, et de se diriger vers des pays d'incroyance où règnent "fornication, sodomy, drugs and alcohol". C'est mal et c'est dangereux. La preuve : on en meurt.

C'est dans ce même numéro que sont mis en vente deux prisonniers, l'un norvégien, l'autre chinois, avec la mention "This is a limited time offer". Chacun bénéficie d'une pleine page, p. 64 et 65. Ils sont curieusement vêtus de jaune, peut-être car, produits commerciaux à rentabilité espérée, ils ne sont pas encore condamnés à mort comme leurs compagnons d'infortune ordinairement vêtus d'orange ? 
Daech a des subtilités chromatiques singulières.

Mais en tout cas, l'image fait vendre.

vendredi 4 septembre 2015

un cadavre trop trop mignon

La vertu de l'image de presse, de reportage, c'est souvent de nous montrer ce qu'on ignorait, où de matérialiser ce qu'on n'avait pas imaginé, ou ce qu'on arrivait pas à imaginer. Alors elle prend place dans notre imaginaire, elle fait sa place et, par là, nous enseigne sur la difficulté que l'on avait à la construire nous-même, cette image. Dans tous les cas, elle devient témoin : d'une réalité (extérieure), et/ou d'une difficulté (intérieure).

Parfois elle acquiert un statut d'icône : telle photo évoquera pour la grande majorité le débarquement, la libération de Paris, la guerre du Vietnam, les manifestations sur la place Tian'anmen, etc.

Je m'interroge sur l'engouement que suscite la vision du cadavre d'un enfant ces derniers jours, autant dans les rédactions, sur les plateaux télé, chez les hommes politiques, sur les réseaux sociaux, etc

Illustration de Kichka, piquée sur son blog :
http://fr.kichka.com/2015/09/03/aylan-kurdi/

Je ne crois pas que les professionnels de l'information, ni même le grand public ignorent :
- que le déplacement de populations concerne aussi les familles (il me semble que l'on a même beaucoup parlé du problème des réfugiés récemment, et à quoi elle sert, alors, notre dernière Palme d'or du Festival de Cannes ??)
- que la mort touche aussi les enfants (oui, la mort n'est pas réservée aux plus de dix-huit ans, beaucoup de familles peuvent en témoigner)
- qu'un être humain plongé de façon prolongée dans l'eau, de telle façon qu'il ne puisse respirer, meurt : cela s'appelle la noyade (et de cela aussi, il me semble que l'actualité en a fait mention plusieurs fois ces dernières semaines).

Alors ? "Un enfant qui semble dormir, comme notre fils ou notre petit fils", décrit le directeur de La Stampa (Mario Calabresi). "Je ne pensais pas un jour vivre cela. L'horreur n'a pas de limite. Ma colère me mobilise, je n'ai pas le droit de baisser les bras." écrit sur son compte Facebook un collègue, qui publie aussi la photo de l'enfant associée à un poème plutôt discutable, et qui n'explique pas en quoi consisterait sa mobilisation et ses bras levés. C'est "atroce" commente BHL sur BFM, alors même qu'il est habitué aux zones de guerre où il prend généralement la pose. "Il faut avoir un coeur de glace pour ne pas s’émouvoir aux larmes", note Kichka, l'illustrateur à qui j'ai emprunté l'image ci-dessus (sans avoir pour l'instant reçu son accord pour l'utiliser).
Ai-je un coeur de glace ? C'est possible. Il n'empêche qu'à l'évidence, si cette image est publiée, republiée, bloguée, twitttée, c'est que l'enfant est mignon. Si elle ne suscite aucune analyse pertinente, si elle ne contient aucune informations et s'accompagne simplement de commentaires émotifs, c'est qu'elle est "trop chou". 
Habillé comme Oui-Oui, avec une pose à la Winnie l'ourson qui aurait trop mangé de miel, ce corps sans vie ressemble aux photos et vidéos "trop mignonnes" que s'échangent les internautes (des bébés, des chatons, des animaux de toutes sortes), version 2.0 des images des calendriers postaux de nos ancêtres. Maculé de sang ou d'algues, démembré ou éventré, le bambin serait resté dans la case des inmontrables.

C'est un cadavre photogénique. Prêt à l'emploi (pas besoin de Photoshop). Une image consensuelle. Qui fait plaisir à tout le monde.