vendredi 27 novembre 2015

vendredi 13, 14 jours plus tard

Dans le quartier, je ne pourrais pas dire que ça "pavoise", mais tout de même : il y a ça et là quelques drapeaux bleu blanc rouge, et ces touches de couleur me font penser aux toiles de Dufy sur le 14 juillet. 


Ce sont plutôt les commerces qui affichent des fanions, les cafés beaucoup mieux pourvus que les autres, grâce à leur culture de supporters sportifs. Certains inventent des astuces tricolores, comme ici avec ballons ou écran plat. Et comme dans le quartier les boutiques sont plutôt tenues par des français issus de l'immigration, Nadine Morano a de quoi enrichir sa palette chromatique française...

Merguez bleu blanc rouge, alimentation exotique bleu blanc rouge,
Bombay Palace bleu blanc rouge : cours d'instruction civique à l'intention de certains...

voyage en pédophilie

J'avais promis de parler de cet ouvrage (dans ce billet-là) et, il est temps que j'en livre ici quelques extraits afin de pouvoir le prêter à des amis que mes quelques bavardages à son sujet ont mis en appétit.

L'enfant interdit, comment la pédophilie est devenue scandaleuse, de Pierre Verdrager, est un livre qui est heureusement arrivé chez moi par une amie : je dis heureusement car, ayant appris son existence, j'en étais très curieux, mais je n'aurais peut-être pas été jusqu'à l'acquérir.
Réserve que je signale en écho aux préoccupations que citent l'auteur du livre et son préfacier, François de Singly : "Ecrire un livre sur la pédophilie, c'est prendre le risque d'être soupçonné d'avoir un penchant pour ce type de conduite." "Celui qui travaille sur la pédophilie fait l'expérience du fait que tous les sujets, en sociologie, ne sont pas 'égaux'. Certains sont plus rentables que d'autres, certains plus dangereux, et il ne fait nul doute que la question pédophile est, sous ce rapport, la pire qu'on puisse imaginer. Si cette rentabilité est faible c'est, soit parce qu'on ne comprend pas qu'on puisse travailler sur un sujet aussi répugnant, soit parce qu'on soupçonne le sociologue - n'y a-t-il pas de fumée sans feu ? -  d'être un peu pédophile sur les bords," détaille Pierre Verdrager.
Le lecteur que je fus, affalé en maillot de bain sur le sable avec cet ouvrage en mains, se sera aussi interrogé sur le regard porté sur lui.

Répugnant, le livre ne l'est pourtant pas, il est même plutôt réjouissant. Comme l'indique le sous-titre explicite, il est question de reprendre, appuyé sur une posture la plus objective possible, les arguments avec lesquels ses partisans ont tenter de légitimer la pédophilie, et de regarder pourquoi ces mêmes arguments n'ont pas pris, et ce que la société, petit à petit, a dressé devant eux.
La surprise pour ceux qui, comme moi, n'étaient clairement pas impliqués dans le sujet, est de constater que cette militance pédophile ne se résout pas à un simple mouvement libertaire d'après 68, mais que les partisans de la pédophilie ont tenté d'imposer leurs vues jusque dans les années quatre-vingt. Avec notre grille de lecture d'aujourd'hui, ce voyage dans le temps est stupéfiant.
Au fil des années le livre relate aussi les grandes affaires de pédophilie, leurs traitements juridique et médiatique et leur influence sur l'opinion. On voit une société passer de la peur d'accuser à tord un adulte devant une parole d'enfant peu valorisée à son contraire : la préférence donnée à la suspicion face à l'adulte devant une parole d'enfant prise au sérieux. Jusqu'au paroxysme d'Outreau.

Après que l'on a échangé autour du livre, un ami me donne  Le bon sexe illustré, de Tony Duvert, qu'il possède en double dans sa bibliothèque (!). On lit sur la quatrième de couverture : "Il faut reconnaître aux mineurs, enfants et adolescents, le droit de faire l'amour. De le faire et non d'entendre les adultes en parler. Ce n'est pas une simple nécessité de liberté et de justice ; c'est le seul remède possible aux fléaux de l'Ordre sexuel"... : un livre d'époque, 1974.

Finalement la seule chose qui m'a paru plutôt dégueulasse dans l'ouvrage, c'est la parole complaisante et fanfaronne du gratin pédophile. Comme toute pratique clandestine, la pédophilie favorise les réseaux et la création de communautés où l'on partage, où l'on échange. Les élites auto-proclamés de la pédophilie, qui y voient un désir d'exception réservé aux personnes cultivées, fonctionnent de même et font parfois dans leurs écrits preuve d'une vulgarité infinie, invisible seulement à leurs yeux.
Témoin ce texte de Gabriel Matzneff évoquant Alain de Benoist, de la Nouvelle Droite : "[...] Lorsque nous vidons ensemble une bonne bouteille, nous parlons peu de Heidegger et beaucoup des jeunes filles. Voilà quelques années nous fûmes (successivement) aimés de la même : à l'armée comme au pieu, avoir servi dans le même corps, cela crée des liens." Difficile de faire plus blaireau.
Il y a aussi, page 189, des extraits de la correspondance codée entre Henry de Montherlant et Roger Peyrefitte assez gratinés... Cette dernière phrase est évidemment un "teasing" pour vous donner envie d'acheter le bouquin.

Pour finir sur le sujet, on peut s'amuser à revoir le fameux extrait d'Apostrophe avec l'infatué Matzneff et l'explosive Bombardier... La vidéo est de mauvaise qualité mais ça vaut le coup d'oeil.


Le livre de Verdrager, L'enfant interdit, est édité chez Armand Colin.

vendredi 20 novembre 2015

explosifs

Ce qui est fascinant lorsque l'on a déjà eu un cancer, c'est que l'on ne peut plus jamais avoir le moindre problème sans que, dans l'esprit du professionnel de santé, la suspicion soit là : vous avez mal au ventre, on suspecte un cancer du ventre, mal à la tête, c'est sans doute un cancer de la tête, vague à l'ame, à coup sûr un cancer de l'âme, etc.

Voilà pourquoi je me retrouve ce jeudi à l'hôpital Georges Pompidou, dans un service de néphrologie, ayant bêtement accepté de subir une scintigraphie. A peine arrivé, je le regrette déjà. 
Une jeune et charmante infirmière tente de me poser un cathéter sur la main droite. Sans succès. Sur la main gauche. Sans succès. Elle annonce qu'elle fait tout de même le prélèvement sanguin demandé, mais qu'elle va chercher quelqu'un pour le cathéter. Je reste stoïque, il faut bien apprendre son métier.
- Appuyez bien sur le pansement, parce que là, ça va sûrement faire un bleu, dit-elle en partant.
J'ai déjà un pansement sur les deux mains. 

Plus tard, arrive une autre infirmière, une douceur à la Laurence Boccolini période Maillon faible. Le genre qui, après vous avoir fait hurler de douleur, vous demande : "Vous avez mal ?"
Elle plante le cathéter dans ma main droite. J'apprends que la première infirmière n'a, en fait, pas réalisé tous les prélèvements demandés (il y a une quantité de tubes très impressionnante). De toute façon Laurence va refaire aussi les tubes déjà prélevés, qui sont sûrement "hémolysés" (j'enrichis mon vocabulaire), ce pourquoi elle pique aussi dans le bras et dans la foulée, tiens comme c'est drôle, on a rempli un tube en trop.
- Mieux vaut ça que l'inverse, lance Laurence à la cantonade.

Vient ensuite un jeune interne, charmant lui aussi, qui me demande de lui restituer tout ce que contient mon dossier médical que visiblement il n'a pas consulté. J'en suis partiellement incapable, n'ayant pas mémorisé les dates précises de mes affres médicaux, ni les noms des médecins consultés. Je me demande à quel moment quelqu'un va m'informer sur la scintigraphie, son déroulement, les précautions à prendre après l'exposition radioactive etc

Ensuite, comme j'ai été convoqué à huit heures du mat pour un examen programmé à midi, je m'endors. Un moment, l'infirmière qui m'avait accueilli passe la tête dans la chambre pour savoir si j'ai rempli d'urine le petit flacon qu'elle m'avait confié. À moitié endormi je réponds que non, sans m'en préoccuper plus. 
Cinq minutes après, l'adjudant Laurence entre dans la chambre en fanfare et me demande si je ne pourrais pas le faire avant l'examen de la scintigraphie. De bonne volonté, je lui réponds, que bien sûr, oui, pourquoi pas, je me lève et saisit le flacon de plastique posé sur un meuble.
-Ben oui, ajoute Laurence, parce qu'après la scintigraphie, vos urines seront irradiées, alors pour nous c'est pas terrible de les manipuler.
J'ai un petit rire, je me demande si elle se rend compte de ce qu'elle délivre comme message.
-Pourquoi vous riez? lance-t-elle, agressive.
Je n'essaye pas de lui expliquer, évidemment.

L'écran de protection derrière lequel le praticien m'injecte
le liquide radioactif. Puis les panneaux qui vous font vous sentir pestiférés.
Plus tard, les manifestations agressives de Laurence prennent un autre tour. Je pense que mon rire spontané a déclenché une poussée paranoïaque chez elle. Des phrases du genre "Pas la peine de m'envoyer la table dessus!" quand, en prenant mes affaires sur la table roulante pour me rendre à la scintigraphie, je déplace le meuble qui la touche, ou "Mais tout le monde comprend à part vous" quand j'hésite dans le couloir sur la direction à prendre. 
Évidemment, dès que je le peux, une fois la scintigraphie opérée et la confirmation que les images sont bien réalisées, je me dépêche de quitter l'hôpital, ne repassant dans le service néphrologie que pour reprendre mes affaires.

Personne, ni en hospitalisation de jour, ni dans le service radio, n'aura donc pris cinq minutes pour m'informer sur l'examen.

En fin d'après-midi je reçois un coup de fil de l'hôpital. Une infirmière (encore une autre) s'interroge que je sois parti. J'explique gentiment que j'ai attendu le ok du radiologue, et que l'attitude de l'infirmière du service néphro m'a inquiété au point que j'ai préféré m'éloigner au plus vite. Je m'aperçois alors que cette info n'intéresse pas mon interlocutrice, qu'elle n'appelle pas pour prendre soin de moi mais juste pour cocher des cases dans son dossier (est-ce que j'ai fait la scintigraphie, à quelle heure, est-ce qu'on m'a enlevé le cathéter etc,) alors même qu'elle refuse de me donner le nom de l'infirmière Boccolini. J'interromps sèchement la conversation.

Le soir, lassé de cette violence sourde, je fais le plein de grenades. Explosion de saveur programmée. Désoxydation. Douceur.




mardi 17 novembre 2015

vendredi 13

Ce midi je vais déjeuner d'un bobun dans un petit restau asiatique que j'aime bien. Je me surprends à me réjouir quand je vois le patron, m'émerveillant sur le mode "ah, il n'est pas mort". Je l'embrasserais presque, alors que je ne sais rien de lui.

La salle est minuscule : quatre ou cinq tables seulement. A l'une d'elles, forcément proche de moi, des jeunes filles parlent des événements de vendredi soir. "Quand je pense que lorsque j'ai acheté mon appartement à Boulogne, certains me disaient de m'installer vers République..." Le quartier vivant est devenu le quartier de la mort.
Devant moi un homme à la stature de GI, dos gigantesque s'évasant vers des épaules de géant, cou de taureau et, comme tous les hipsters et les jihadistes, une barbe. Avec ses deux amies, il échange, en costume bleu foncé et chemise blanche, des avis définitifs sur la guerre et le terrorisme. Tout le monde, soudain, semble avoir un avis d'expert sur le renseignement, la géopolitique etc.


C'est que soudain, tout le monde se trouve concerné. Le 7 janvier 2015, pour beaucoup, les victimes sont suspectes : des dessinateurs qui l'auraient "bien cherché", des juifs qui sont de toute façon responsables de la politique d'Israel (et puis, enfin, le juif n'est-il pas forcément toujours un peu coupable de quelque chose, comme la femme de ce cafetier qui affiche au-dessus du comptoir un faux parchemin en résine qui proclame : "Frappe ta femme, si tu ne sais pas pourquoi, elle, elle le sait" ?).

Ceux qui moquaient les panneaux "je suis Charlie", qui voulaient s'en distinguer, font l'expérience que tuer la liberté d'expression, c'est la première étape avant de tuer tout le monde, sans distinction : ils refusaient l'étiquette "je suis Charlie", ils s'aperçoivent après coup que Charlie, c'est eux, qu'ils le veuillent ou non.


Jusqu'ici les avis étaient partagés sur le vendredi 13 : porte-malheur ou porte-bonheur ?
Massacre à Crystal Lake ou corne d'abondance ? La Française des Jeux a trusté la seconde proposition. De son point de vue, c'est jour faste. C'est jour d'Euromillions. 
Croiser les doigts, conseille-t-elle. La chance sera-t-elle avec vous ? Et si votre vie devenait infiniment plus riche ?, questionne-t-elle.
Le slogan fait grincer des dents ce vendredi 13 novembre 2015. Le samedi matin pourtant, en me réveillant, je me dis que j'ai de la chance, je suis heureux d'être en vie, comme je le serai plus tard pour mon vendeur de bobun. Comme une des boules de Loto numérotées brassées avec d'autres, je n'ai pas été choisi, je n'ai pas été tiré. Je suis heureux que mes amis soient sains et saufs, touché des messages des uns et des autres, notamment des non-parisiens qui m'ont cru en proximité des explosions et des tirs. Ce sont les numéros des arrondissements annoncés, X et XI, qui les ont inquiétés.

C'est bien malgré moi que je m'accroche aussi à la question des chiffres. 7, 11, et 13 ne sont-ils pas des nombres premiers ? C'est sans doute la lecture de Daniel Tammet qui m'influence* ! Je me souviens du plaisir amusé et éberlué que j'avais eu en découvrant les théories du "miracle mathématique du Coran", qui s'organisent autour du nombre 19 si je me souviens bien. Mais il y a aussi d'autres suggestions mathématiques sur les rapports entre les nombres premiers et le nom d'Allah, toutes "démonstrations" farfelues qui laissent sans voix ou font ricaner.

Pourtant que l'on puisse trouver, sans en rire, une vérité dans une suite de chiffres ou dans une série de textes tombés du ciel, et que l'on veuille imposer cette vérité-là au monde entier, c'est une réalité bien étrange avec laquelle nous vivons. Cela s'appelle du fanatisme et il faut maintenant s'en défendre, sur cette planète ronde et petite comme une bille de Loto.

*L'éternité dans une heure, Daniel Tammet, édition Les Arènes.


mardi 3 novembre 2015

un clown

J'ai rêvé, longtemps, plusieurs fois.
Dans la nuit il y eut une séquence, en noir et blanc. J'étais dans l'appartement de C., dont j'avais les clés quand nous étions jeunes, car j'allais y arroser les plantes lors de ses absences. 
Le lieu du rêve ne ressemblait pourtant pas à cet appartement. Ce n'est que plus tard, me demandant pourquoi je l'avais fait revivre en noir et blanc, que m'est apparu que j'avais réalisé une synthèse entre cet endroit et l'atelier que j'avais occupé un temps, au bord du bassin de la Villette, espace que les matériaux et les finitions, notamment le revêtement du sol gris, apparentaient à une photo argentique.

C'est dans un autre rêve de la même nuit, plus tard, que je rencontre C. à nouveau. Le cadre est celui d'un dîner entre amis, ou plutôt entre gens de bon esprit qui se cooptent et se retrouvent sans jamais savoir à l'avance qui sera là ou non autour de la table.
L'ambiance est chaleureuse, les images apparaissent d'une tonalité d'or, d'ambre et de doux clair obscur. 
Je retrouve donc C. dans ce petit groupe, il annonce qu'il cède à qui la voudra une statue qu'il possède. Dans la réalité une grande statue d'église en plâtre ornait son appartement, mais dans le rêve cela devient, sans que rien ne soit dit, un personnage de papier mâché blanc. C. précise qu'il s'en sépare car il est tombé amoureux d'un ensemble du XVIe siècle qu'il va acquérir, trois bois sculptés, issus eux aussi d'une église, et qui représentent trois clowns : un clown blanc, un Auguste et un Zavatta.
Je visualise le premier comme un Gilles, les bras légèrement ouverts, paumes tournées vers le spectateur en signe d'accueil. Je l'associe à Marie l'Égyptienne, qui porte ses miches de pain en Saint-Germain L'Auxerrois.

Toute la journée j'ai vécu avec ce clown mystérieux et mystique en tête, et sa douceur solennelle.

Marie l'Egyptienne, église
Saint-Germain L'Auxerrois.