mardi 29 décembre 2015

jambon beur

Le 24 au soir, j'ai dîné avec ma mère dans sa maison de retraite. 

Ayant prévenu à l'avance, une table est réservée à notre tête-à-tête, alors que d'habitude elle dîne auprès d'autres pensionnaires, exclusivement des hommes d'après ce que j'ai remarqué, ce qui doit correspondre aux observations faites par le personnel : ma mère n'a que peu d'intérêt pour les personnes de son sexe.

Informé préalablement du menu, je ne m'offusque pas de ce potage-jambon-purée pas très festif. "Le repas de Noël, c'était ce midi" me glisse, un peu gênée, la jeune femme qui fait ce soir -là le service. De toute façon, pour ma mère maintenant, Noël ou Pâques ou un autre jour, tout cela se vaut.


Une pensionnaire que je n'ai jamais vu encore, à la table d'à côté, commente : "Ah, Mireille a de la visite". Puis : "Moi mon fils il ne veut pas venir ici. Il m'emmène déjeuner dehors, mais il ne veut pas venir ici".
Quelqu'un du "dehors" attablé ici, c'est rare. D'ailleurs, cette pensionnaire me mettrait bien le grappin dessus pour me raconter sa vie, mais je coupe court à ses tentatives. Autour d'elle, se trouve une femme en fauteuil roulant qui a une drôle de toute petite voix aiguë, comme une petite fille qui mimerait un oiseau ; et un homme de grande stature, à la voix au contraire très grave et qui, surdité oblige, parle très fort.
-"J'ai bon appétit mais je mange très peu" crie-t-il sur un ton sentencieux.
-"Sur la trois il y a des chants de Noël à Monaco (sic), dit la première, son programme télé en main. C'est un très bon chanteur".
-"Mais c'est qui ?" demande le géant à grosse voix.
-"Roberto...". Elle prend son magazine. "Roberto Al, Alemania, Alamama..., je n'ai pas mes lunettes."
-"Donnez-moi votre journal"
-"Ah non, je ne vous le donne pas, j'ai gardé ma page. C'est Roberto Al..."
-"Donnez-le moi!"
-"Non!"
J'interviens : "C'est sûrement Roberto Alagna, C'est un chanteur très connu, un ténor, Roberto Alagna."
- "Ah, reprend la femme à l'adresse du presque sourd. C'est Roberto Al Alagna, monsieur le connaît. Roberto Al Alagna."

Je souris. Les arabes sont partout.





dimanche 27 décembre 2015

l'or d'hiver

Voulant vous faire un nouveau présent de Noël via Internet - ce bouquet -, je fais l'expérience de la limite de l'appareil photo de mon iPhone : difficile pour la machine de faire la mise au point sur les nuageuses boules jaunes du mimosa.
Enfin l'idée est là, et les fleurs aussi. Joyeux soleil à tous.

mardi 22 décembre 2015

les migrants, le chômage, le Medef, les syndicats, etc

“[...] En 1532, le Parlement de Paris avait décidé de faire arrêter les mendiants et de les contraindre à travailler dans les égouts de la ville, attachés, deux à deux, par des chaînes. La crise s'accentue vite puisque, le 23 mars 1534, ordre est donné "aux pauvres écoliers et indigents" de sortir de la ville, cependant que défense est faite "de non plus chanter dorénavant devant les images des rues aucuns saluts". Les guerres de religion multiplient cette foule douteuse, où se mêlent des paysans chassés de leur terre, des soldats licenciés ou déserteurs, des ouvriers sans travail, des étudiants pauvres, des malades. Au moment au Henri IV entreprend le siège de Paris, la ville, qui a moins de 100 000 habitants, compte plus de 30 000 mendiants. Une reprise économique s'amorce au début du XVIIe siècle ; on décide de résorber par la force les chômeurs qui n'ont pas repris place dans la société : un arrêt du Parlement daté de 1606 décide que les mendiants de Paris seront fouettés en place publique, marqués à l'épaule, la tête rasée, puis chassés de la ville ; pour les empêcher de revenir une ordonnance de 1607 établit aux portes de l'enceinte des compagnies d'archers qui doivent interdire l'entrée à tous les indigents. Dès que disparaissent, avec la guerre de Trente ans, les effets de la renaissance économique, les problèmes de la mendicité et de l'oisiveté se posent à nouveau ; jusqu'au milieu du siècle, l'augmentation régulière des taxe gêne les manufactures et augmente le chômage. Ce sont les émeutes de Paris (1621), de Lyon (1652), de Rouen (1639). En même temps le monde ouvrier est désorganisé par l'apparition de nouvelles structures économiques ; à mesure que se développent les grandes manufactures, les compagnonnages perdent leurs pouvoirs et leurs droits, les "Règlements généraux" interdisant toute assemblée d'ouvriers, toutes ligues, tout "associage". Dans beaucoup de professions pourtant, les compagnonnages se reconstituent. On les poursuit ; mais il semble que les Parlements montrent une certaine tiédeur [...]”

Michel Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard, 1972 (p.75-76)

jeudi 17 décembre 2015

hotte Otte

C'est bientôt Noël. Voici un cadeau que j'aurais aimé offrir à certains d'entre vous mais, malheureusement, le CD est épuisé. Par bonheur, Internet me permet de vous l'offrir à tous, via ce billet.

Brigitte Cornand, vidéaste et photographe, a réalisé un documentaire sur Louise Bourgeois en 1995. Elle se lie d'amitié avec l'artiste et l'incite à enregistrer ce morceau.
Musique de Ramuntcho Matta, texte de Brigitte Cornand.
On ne se s'en lasse pas, ça s'appelle Otte. Louise Bourgeois a alors 84 ans.


mercredi 16 décembre 2015

élections, les boules

"Monsieur recycle sa carte d'électeur", dit, enjoué, le préposé au gavage de l'urne dans le bureau de vote où je me trouve dimanche dernier, en notant le nombre de tampons qui l'estampillent. La remarque m'amuse un peu et m'agace aussi : elle souligne un aspect conservateur que je me reconnais, enclin à utiliser les objets, les vêtements, jusqu'à l'usure. Mon côté écolo poussiéreux.



En rentrant chez moi je jette un coup d'oeil sur Google actualité, comme je le fais plusieurs fois par jour.
Au signet "Culture", la première info en ligne c'est " L'arbre de Noël de l'Elysée est arrivé!"
Il doit s'agir de sylviculture donc. Je lis les premières lignes de l'article : les dimensions de l'arbre (11 mètres de haut) et la précision, "il a fallu trois jours de transport". 
Evidemment l'info ne me paraît pas très écolo, pas très post COP 21. Mais plus tard je lis d'autres articles : je m'aperçois que cette histoire de sapin est très documentée, une vraie story telling, on a même des images de la coupe de l'arbre et de son acheminement par bateau, chiffres à l'appui pour affirmer son moindre coût en CO2 par rapport au transport routier. Ok.
Pour le reste, c'est raison d'Etat : l'arbre, qui avait 23 ans, a été sacrifié pour la grandeur (du Noël) de la nation. A l'Elysée, ça sent le sapin.


lundi 7 décembre 2015

Londres

Un matin rose, prologue de deux journées au ciel gris, mais douces et sans pluie. Le soleil est intérieur.










Retour en France bleu marine.
Ce matin, à la boulangerie, j'ai l'air bête : je ne trouve que des livres anglaises dans mon portefeuille. La serveuse, que je ne connais pas, me fait pourtant crédit : je note son accent prononcé, d'un pays de l'Est sûrement. Verra-t-on le jour noir de la préférence nationale, et du retour à un franc national au profil de Marine ?...

jeudi 3 décembre 2015

multi mère

La folie de ma mère est une solitude qu'elle peuple d'êtres imaginaires.
Elle s'appelle elle-même, s'interpelle "Mireille ! Mireille !" faisant dialoguer une partie d'elle qui serait violemment critique avec une autre qui, au contraire, se défendrait de ces remontrances. Par exemple, parce que l'arthrose de son genou la fait souffrir quand elle se lève d'un fauteuil :
- "Mireille! Mireille, tu nous emmerdes!" (C'est destiné à celle qui dysfonctionne, qui ralentit, qui fait mal. Et qui est immédiatement soutenue par l'autre voix qui prend son parti) "Oui, eh bien c'est comme ça, Mireille elle fait ce qu'elle veut, c'est ce qui fait son charme."

Ces derniers temps, - est-ce que j'arrive à la maison de retraite vraiment beaucoup plus tard qu'avant, ou bien est-ce que le service du dîner se tiendrait plus tôt en hiver ?- je ne la trouve que rarement au rez-de-chaussée, elle est souvent déjà montée dans sa chambre (aidée, vraisemblablement, car elle ne sait plus prendre l'ascenseur, ni ne connaît maintenant l'étage où elle habite).
Je frappe à sa porte qu'elle a fermé à clef. Derrière, cela déclenche de suite un conciliabule,  un mélange de phrases destinées à l'extérieur "Oui, oui, j'arrive" et de phrases à son attention "Mireille, ma pauvre Mireille"...


Le moment où le dialogue avec elle-même s'affirme le plus étrange, quoique sur un mode légèrement différent, c'est lorsqu'elle parle à ses pieds. Chaque fois, j'enlève ses chaussures et ses chaussettes avant d'aller dans le cabinet de toilette emplir une cuvette d'eau tiède. Je la laisse en grande conversation avec ses pieds.
- "Mireille! Mireille ! Alors mes tout beaux!" (Elle produit des onomatopées pour attirer l'attention de ses pieds, fait des petits bruits, siffle.) "Alors qu'est-ce que tu fais là? "
Elle discute avec ses orteils, comparant le pied gauche et le droit, et les capacités différentes des orteils à se courber, à s'écarter les uns des autres, à se relever. Elle les désigne par des numéros, selon leur position : le un, le deux etc.
-"Alors qu'est-ce que tu fais, hein mon beau? Tu restes collé là? Là, le un et le deux, c'est bien. Mais là, bof, ce n'est pas terrible. Pourquoi tu ne viens pas ?"
On croirait un théâtre de poupées, elle, assise dans son fauteuil, les jambes tendues, agitant ses pieds comme deux marionnettes, et spectatrice à la fois, comme oubliant être à l'origine de ces mouvements.
Quand elle va aux toilettes, la situation se complexifie. Les acteurs se multiplient : le siège des toilettes, le corps, la culotte, le rouleau de papier, les quelques feuilles qu'elle va plier en quatre et glisser au fond de son sous-vêtement au cas où..., tout cela converse. Le monologue est polyphonique. Are you talking to me?

Plus elle s'absente, plus elle est nombreuse.

Un jour je lui demande pourquoi elle se parle tant à elle-même.
Elle me répond en toute simplicité, avec une évidence confondante : "Pour me faire du bien."