jeudi 29 janvier 2015

la continuation

"Cela fait maintenant seize jours que c'est arrivé, pourquoi ai-je eu alors le sentiment que ces deux tours s'effondraient exactement dans le centre vide de notre civilisation que visait apparemment cette attaque ? Tout le monde semble savoir ce qu'est notre civilisation. Je feuillette les dictionnaires. Depuis le seizième siècle on dit également "civil" pour "bourgeois". Tiens, c'est Goethe qui a créé le substantif "civil". Et le terme de "civilisation" est mis en relation avec "raffinement des moeurs", "civilité" : "Phase de l'évolution de la société humaine succédant à la barbarie". Par conséquent la philosophie grecque, les religions monotheistes, la croyance des Lumières en la raison... Et si, en Occident, tout cela avait perdu de son efficacité face à "l'horreur économique" pour ne se perpétuer en nous que comme des chimères ? Les hommes n'ont-ils pas été de plus en plus nombreux à sentir que cette civilisation qui est la nôtre est minée de l'intérieur ? N'ont-ils pas éprouvé un besoin sans cesse croissant d'en parler ensemble ? N'est-elle pas revenue de plus en plus fréquemment cette phrase : Cela ne peut continuer ainsi ? Et les producteurs de cinéma et de télévision n'ont-ils pas gagné le maximum d'argent avec des films où des monstres terrestres ou extra terrestres entraînaient cette civilisation apparemment si estimée dans des catastrophes qu'on n'avait pu encore imaginer ?"

Extrait de Mon nouveau siècle,
un jour dans l'année (2001-2011), Christa Wolf, éditions du Seuil
Chapitre Jeudi 27 septembre 2001, Berlin

En 1935, Maxime Gorki invite les écrivains du monde entier à raconter une journée de leur vie : le 27 septembre.
Christa Wolf commence en 1960 et poursuit jusqu'à sa mort. Tous ces 27 septembre sont parus en français en deux volumes, le premier de 1960 à 2000, le second de 2001 à 2011.

mardi 27 janvier 2015

botaniquons la morosité

J'avais envie d'un peu de couleur sur ce blog, ou plutôt dans ma tête, bien encombrée des attentats de janvier. 

Oui, j'ai été très affecté par ces événements bêtes et méchants, et je le reste encore. Ennuyé aussi par le déluge de commentaires, de prises de position, d'analyses et de discours, le tout avec si peu de pensée, il me semble, si peu de réflexion...

L'anniversaire désastreux de la révolution égyptienne n'a pas été non plus pour me réjouir. Et je ne pense pas que quelques articles et reportages sur celui de la "libération" du camp d'Auschwitz vont m'égayer énormément les jours qui viennent.

Voici donc pour célébrer la beauté de la nature (en pot...), une simple fleur, le dernier des lys que m'a offert A., en visite à Paris, à l'occasion d'un déjeuner surprise.
Il a quelquefois de ces charmantes attentions, imprévues, enfantines, qui me font du bien.


mardi 20 janvier 2015

la vérité qui reste

L'autre jour je suis passé à la Fnac pour acheter un imagier à ma mère. Puis j'ai renoncé, devant l'aspect trop enfantin de la plupart, ou parce que le vocabulaire proposé me paraissait de peu d'intêret pour elle : le crocodile, le tracteur, le bolet..., bof.

Les mots les plus simples lui échappent maintenant.
Au téléphone :
- Je viendrai te voir ce week-end, maman.
- Je ne comprends pas.
Au moins a-t-elle la capacité de le dire, aujourd'hui et avec moi.

Lorqu'elle était hospitalisée à Léopold Bellan, je me retrouvais auprès d'elle un peu désemparé, en visite, assigné à un périmètre restreint autour d'un lit et d'un fauteuil, alors que chez elle, la préparation du dîner nous anime et la met en contact avec des couleurs, des odeurs, des objets, des mots, des tâches à effectuer... Une préfiguration de la maison de retraite sans doute.
Dans cette chambre jaune pâle, j'avais entrepris un petit jeu inspiré du jeu du pendu : rapidement sur une feuille, je dessine des objets présents sur la table - un verre, une cruche et un paquet de mouchoir - et lui demande de trouver leur nom, une fois inscrits sur le papier la première et la dernière lettres du mot et des tirets pour les lettres manquantes. 
Elle regarde le dessin du verre accompagné de V_ _ _E.
- Eau!
- Non, ce n'est pas ce qu'il y a dedans, c'est le récipient.
- Je ne vois pas.
Pour finir, après quelques hésitations et des "je ne sais pas", elle dit Vase!
Pas si bête.

Des chansons, il ne lui reste en général que quelques vers, souvent quelques mots seulement qu'elle ressasse très joyeusement en boucle. Il y a des airs connus (La bohème) où des ritournelles militantes qu'elle tient de son père royaliste. Celle qui revient en rengaine, sans doute parce que les seuls mots dont elle se souvient la décrivent si bien, c'est Sarah, écrite par Moustaki.
Allant et venant dans son appartement, se perdant de la cuisine au salon mais poursuivant sa route avec une obstination de jouet mécanique, elle fredonne sans arrêt :
- La femme qui est dans mon lit n'a plus vingt ans depuis longtemps.

Elle dit vrai.

 

vendredi 16 janvier 2015

Anita en abyme

Anita et son Golden Globe, en 1956.
Anita. La nuit a avalé Anita Ekberg le jour du grand rassemblement où tant de gens se prénommaient Charlie.


Quelques jours plus tard les photos de ses obsèques sont le Net. 
Ils auraient tout de même pu lui construire un cercueil en forme de guitare, de violon, un coffre de bois qui se serre à la taille, s'épanouit aux hanches et explose au buste. Une boîte sirène plutôt que sinistre.

Que faire d'un mythe cinématographique ? Que faire de cette fontaine Trevi, de cette aube italienne ? 

On re regarde les images.
Par bonheur, Fellini nous avait déjà soumis à la morsure empoisonnée de la nostalgie avec Intervista, en 1987 : larmes écrasées, confrontation avec le passé, jeunesse perdue, on a déjà partagé ça, déjà vécu ça avec Anita, elle à l'écran, accompagnée d'un Mandrake de pacotille, et nous, planqués dans l'obscurité d'une salle de ciné.
Encore un adieu.




(https://www.youtube.com/watch?v=qO509le4GII)

mercredi 7 janvier 2015

Charlie Hebdo, pierre noire

La connerie est meutrière, malheureusement elle n'est pas mortelle. Grosse fatigue.

 

dimanche 4 janvier 2015

bye bye Bellan


Je me suis trompé. Comme on peut le voir sur le panneau de l'hôpital*, ma mère n'est pas dans un service de neuro gériatrie, mais dans un service de neuro-psychogériatrie.
Allez savoir pourquoi le "psycho" ne n'est pas apparu tout de suite.


Ma mère a passé ses derniers jours d'hospitalisation avec les clefs de son appartement dans la main, prête à se sauver. Elle sait confusément qu'il faudrait qu'elle prenne le métro pour rentrer chez elle (elle ignore tout de la direction, et de la station sans doute) mais ce qui la retient c'est : "après j'ai peur d'être toute seule dans la rue".

Ce matin elle a quitté l'hôpital, sans joie. Trop atteinte par l'épreuve, ou pas assez confiante, attendant d'y être pour se réjouir ? 
On prend le bus, plus distrayant que le taxi. Elle commence à sourire en reconnaissant la grande place près de chez elle. Dans son appartement, attablée pour le déjeuner, elle retrouve de suite l'appétit.

À l'hôpital, j'ai vu par trois fois une infirmière donner son traitement à ma mère : deux fois sur ces trois, l'infirmière n'a pas surveillé qu'elle prenait bien les cachets, si bien que ma mère s'apprêtait à les cracher, ou les jeter. J'ai dû attirer l'attention de l'infirmière là-dessus, c'est pourtant dans la définition de leur poste, s'assurer de la prise du médicament. Je raconte cela à ma sœur qui elle aussi était très présente à l'hôpital : elle me confirme avoir vu la même scène, avoir dû également reprendre l'infirmière.

On a répété tous les jours qu'on souhaitait qu'une radio du genou soit faite car ma mère ressent une gène, se touche toujours ce genou, par moment a mal dans certaines postures. Je précise au chef de service, "elle va dire qu'elle n'a pas mal car elle ne veut pas faire de radio".
Hier, au téléphone, le même chef de service m'annonce :
- Oui, le genou, comme elle ne se plaint pas et que le périmètre de sa marche n'est pas atteint, j'ai décidé de ne pas faire de radio.
- ....
-Allô, vous êtes toujours là ?
- Oui, je suis saisi par ce que vous dites.
- Je sais que vous n'êtes pas content.
- Ce n'est pas que je ne suis pas content, c'est que j'essaye de comprendre votre stratégie thérapeutique : on ne fait rien, on ne s'inquiète pas ?
- Oui, c'est cela.

Unité neuro-psychogériatrie : moi je pensais que gériatrie, ça voulait dire qu'on soignait aussi les affections physiques, mais sûrement que le terme psycho annule le terme gériatrie et neuro doit sûrement annuler le terme psycho. 
Et puis il n'y a pas marqué soins, non plus : de quoi se plaint-on ?

* Tout cela se passe à l'hôpital Léopold Bellan, à Paris, proche du métro Gaieté.