samedi 23 juillet 2016

Cheval dire à ma mère....

Je repensais à mes visites à ma mère, me faisant la réflexion que nous sommes déjà dans ce moment où nous communiquons avec beaucoup d'autres choses que du langage. Et que nos échanges verbaux, qui n'ont ni queue ni tête, ne sont plus là que pour mimer une conversation, ou plutôt pour donner une forme de structure, de cadre, de forme, à ce qui va se passer entre nous.

Ce pourquoi ce dispositif s'apparente plus ou moins à du théâtre, moi jouant celui qui pose des questions, elle jouant celle qui donne des réponses. On pourrait sans doute jouer à la marchande ou à n'importe quoi, mais le plus simple reste que l'on s'en tienne au scénario du fils qui rend visite à sa mère.
L'effet de pièce fictive se renforce quand, n'ayant aucune conscience de où elle se trouve ni de l'heure qu'il est, elle me propose soudain de me préparer à dîner dans sa cuisine, alors que tout cela n'existe plus (elle n'a plus d'appartement ni de cuisine depuis plus d'un an, quand j'arrive elle a déjà dîné avec les autres pensionnaires de la maison de retraite).

Après ma dernière visite, j'ai écouté distraitement jeudi matin l'émission radiophonique ça va pas la tête!, de Ali Rebeihi, sur France Inter. Ce jour, il s'agissait du thème "Comment se réconcilier avec son corps?". Un moment je tends l'oreille car une question est posée à une psy au sujet de la vieillesse, du corps vieillissant, puis, ce thème n'étant pas repris, Ali Rebeihi continue :
- " Sophie Cheval, comment se dégager du regard des autres quand on a un défaut physique un peu fort? Qu'est-ce que vous préconisez à vos patients, quel est le travail que vous accomplissez avec vos patients dans votre cabinet?"
-" C'est toujours cette démarche de se débarrasser de quelque chose, euh, c'est entrer dans une lutte sans fin. Pour une raison qui est simple, c'est que, euh, notre évolution, notre changement, le changement humain, il ne procède pas par soustraction, mais par addition. On ne peut pas désapprendre ce qu'on a appris, notre rapport à notre corps est le produit de nos expériences vécues, et ces expériences-là, on ne peut pas les effacer. Contrairement aux ordinateurs, on n'a pas de touche 'erase'. On aimerait bien, hein, effacer, suppr!, suppr!, suppr! [rires], ça n'est pas possible. Du coup, la modification, le changement, l'évolution, elle vient par ajout de nouveauté, elle vient en ajoutant de nouveaux stimuli, en ajoutant de nouvelles expériences, en ajoutant de nouvelles relations à soi, à son corps, à la vie que l'on a avec son corps. [...] Et c'est dans cette ouverture là qu'on travaille en thérapie."

J'en suis resté bouche bée. Voilà une psy qui gagnerait à rencontrer ma mère. Là, je crois qu'elle vivrait soudain une "nouvelle expérience", qui ferait sans doute aussi du bien à ses patients qui, si j'ai bien compris, sont entretenus dans le fantasme que dans la vie, c'est toujours plus plus plus (un capitalisme psychique, travailler plus pour gagner plus ?). Ce serait intéressant qu'elle intègre qu'on obtient rarement un plus sans devoir concéder un moins, et donc faire un deuil. 

Ma mère, dans sa dinguerie, pourrait peut-être l'éduquer avec l'une des phrases définitives dont elle a le secret, qui émergent soudain des sables mouvants de son esprit, comme l'autre jour lorsque, le regard perdu face à la fenêtre, elle a constaté :
-"Ce qu'il y a, c'est qu'on est plus du tout comme on était il y a très très longtemps."

mercredi 20 juillet 2016

le père, le fils et sainte Jeanne

L'incipit proposé en devinette (billet première phrase/devinette) est celui du livre d'Alexandre Diego Gary, S. ou l'espérance de vie, paru chez Gallimard en 2009.

Doublement "fils de", l'auteur a pour parents Jean Seberg et Romain Gary, décédés à un an d'intervalle, respectivement le 30 août 1979 et le 2 décembre 1980 ; mis au monde en juillet 62 (c'était son anniversaire dimanche dernier), l'enfant sera dissimulé puis déclaré né en octobre 1963, après le mariage de l'actrice et du diplomate, par souci de convenance.
Un début clandestin, avec une mère de substitution, la gouvernante Eugenia, qui inspirera à Ajar-Gary le personnage de madame Rosa dans la Vie devant soi.

Diego Gary relate, page 42 : "Mais voila que cet homme charmant au demeurant, pour démontrer qu'il a une mémoire d'éléphant dont il est si fier malgré son grand âge, ne trouve rien de mieux que de me rappeler qu'on a retrouvé le corps de ma mère en état de décomposition dans le coffre de sa voiture dans le XVIe arrondissement ou au Bois de Boulogne, il ne sait plus."

C'est en réalité à l'arrière de sa voiture, une Renault 5 blanche, que Jean Seberg sera retrouvée (rue du Général-Appert) huit jours après sa disparition. Suicide ou assassinat ? Les partisans de la seconde hypothèse soulignent que l'actrice avait plus de 8 grammes d'alcool dans le sang mais aucune bouteille à ses côtés. Et que, aussi ivre, et sans ses lunettes de vue, il est improbable qu'elle ait pu conduire.

L'idylle de Seberg et de Gary, so glamour, fait régulièrement l'objet d'articles dans les magazines féminins, l'été, quand les rédactions en mal d'information se lancent dans des séries people sur les destins fabuleux, ou les amoureuses iconiques, ou les couples mythiques etc.

Ariane Chemin, journaliste au Monde, très loin d'être ignorante de l'attrait de cette love story américano-germanopratine, a concocté un petit bouquin d'été avec tout ce qu'il faut d'ingrédients pour une recette estivale : de l'inédit, de la passion, des secrets d'états, des mensonges etc. Sa bonne idée est de se focaliser sur la journée du mariage, opéré en douce (c'est le titre de son livre) en Corse, et passé complètement inaperçu à la presse de l'époque pourtant déjà avide de romances de célébrités. Comment, pourquoi... ?
La réponse est dans l'ouvrage, habilement ficelé, paru aux éditions Equateurs*.
Aussi vif et léger que le livre de Diego Gary est sombre et pesant.

*Hey, il n'y a pas de relecteur aux éditions Equateurs ? Très vilaine erreur de date page 27, c'est tout de même bête de se tromper sur l'année du mariage qui est le sujet du livre...

vendredi 15 juillet 2016

14 juillet


La maladie la grignote petit à petit.

-"Tu sais quel jour on est aujourd'hui maman, regarde, qu'est-ce qu'il y a marqué sur l'horloge?"
-" Vingt quarante cinq?"
-" Ça c'est l'heure, mais le jour, regarde, c'est marqué."
-"Mercredi."
-"Oui, c'est bien. Mais mercredi quoi, qu'est-ce qu'il y a d'indiqué d'autre en dessous?"
-"Trente."
-"Presque, mais ce n'est pas trente."
-"Trois?"
-"Non plus..."
-"Tuile."
-" Non, c'est parce que tu vois mal, je t'aide. C'est marqué mercredi 13 juillet. Et demain ce sera jeudi 14 juillet. Et qu'est-ce qui se passe de particulier le 14 juillet?"
-"On mange des chaussures et des chaussettes."

Alzheimer, ça creuse....


lundi 11 juillet 2016

première phrase/devinette

Petit jeu d'été. Qui a écrit les lignes ci-dessous ?

Indice : les deux parents de l'auteur se sont suicidés.

Il est interdit de copier-coller l'extrait dans Google pour trouver!...
(Et ma chère Nelly, tu es hors concours puisque je t'ai déjà vendu la mèche...)

"J'aimerais commencer par une belle black de phrase, bien roulée, saphique et sophistiquée, une phrase que l'on aurait envie de caresser, contre laquelle on voudrait se blottir, se frotter, dont on souhaiterait épouser les contours. Mais les circonstances, les Evénements, ne le permettent pas. Et les mots qui vont surgir se révèlent plus prosaïques, plus pauvres que je ne l'aurait voulu. Ils ont toutefois le mérite d'aspirer à dire la vérité, sans fioritures, sans détour. Vérité que voici : ce n'est pas une vie, c'est une rature. Mon existence ressemble à une succession de mots rayés jusqu'au sang, biffés jusqu'à la moelle. Au point que le papier sur lequel je les couche, sur lequel ils gisent, s'en trouve déchiré, troué par endroits."

dimanche 10 juillet 2016

couleurs

Ça y est, c'est le jour J. Dans les bazars du quartier, on vend tout ce qu'il faut pour afficher les couleurs de son équipe fétiche.

J'imagine que Nadine Morano regarde les matchs de l'Euro avec une application spéciale qui floute les joueurs qui ne sont pas "de race blanche". Évidemment elle loupe des actions, et ne comprend pas le rôle de ceux qui s'appellent Sissoko, ou Pogba, mais au moins, elle reste fidèle à ses valeurs. Et puis heureusement, les Bleus sont habillés en bleu, ça aide. 
Elle a découvert le petit qui court vite et qui marque des buts, elle l'appelle Astérix, parce que Griezmann, quand même, ça ne fait pas très français tout de même. On se demande si ce n'est pas schleu, ou pire, juif ? À coup sûr il vient d'Alsace, une horrible région où l'on ne peut être sûr de personne. Ils ont même des chrétiens qui ne sont pas catholiques. Foutu pays.

Coté bleu j'apprends, à l'occasion de son décès, à 86 ans, que c'est à Nine Culliford que l'on doit la couleur des Schtroumpfs. Femme de Peyo, elle était aussi sa coloriste. Tous ceux qui se sentent de race bleue la saluent.

mardi 5 juillet 2016

pas peur

A Zurich ce week-end, et en fait depuis le vendredi, le centre ville est transformée en fête foraine à l'occasion de la Züri Fäscht.

Pas moins de trois feux d'artifice - l'un le vendredi soir, les deux autres dans la nuit du samedi au dimanche - et partout des stands où boire et manger, des scènes musicales et des attractions foraines.


Le samedi après-midi, je m'y promène, alors que la météo n'est justement pas... à la fête : temps gris, mais surtout pluies intermittentes qui obligent à l'utilisation d'un parapluie et contrastent avec les prévisions des organisateurs. On a imaginé des jeux sur l'eau, concours de plongeon, tyrolienne sur le fleuve, toboggan aquatique dans les rues. Ici on vous distribuent gratuitement des lunettes de soleil, çà et là les bars déserts ont misé sur la chaleur et la grande soif et affichent des promesses de boissons exotiques, colliers de fleurs en sus. Las, ce sont les stands de raclette qui font le plein.
Pourtant les badauds sont en nombre, et l'un des manèges à sensations, comme l'on dit, ne désemplit pas : assis les jambes ballantes dans le vide sur le pourtour d'une couronne, les amateurs sont emmenés en altitude d'où, après quelques rotations sur place pour profiter du panorama, on les laissera tomber à pic. Cris, hurlements etc.

Le plus amusant finalement est de constater que tous les "manèges" sont de ce type, du genre qui vous met la tête en bas, vous fait craindre la chute, vous agite, vous secoue, vous fait crier et palpiter.
Le soir la pluie cesse et les nuages s'éloignent. On retourne en ville pour le feu d'artifice de 22h30 qui se tire depuis le lac. La foule est dense, les attractions battent leur plein et ne cessent que le temps du spectacle pyrotechnique. On se retrouve ensuite sur la place de l'Opéra, noire de monde.

Je prends la mesure de l'étrangeté. A quelques kilomètres de la France, ici, pas de plan vigipirate, pas de menace terroriste. Il y a un train fantôme, de grandes machines à épouvanter qui actionnent leurs mécanismes lumineux à tour de bras, des gens qui font la queue pour avoir peur, mais personne ne craint ni les ceintures explosives, ni les kalachnikovs. Grand-guignol et géopolitique. 


Les amateurs de toboggan aquatique ont défié la pluie.
La foule devant l'Opéra.