mercredi 24 août 2016

Michel Butor (1926-2016)


Les deux dernières strophes du poème De quoi demain sera-t-il fait ? (Le jardin des âges, dans Michel Butor, par Michel Butor, édition Seghers, 2003), qui se ponctue sans point final.

"(...)
Dans quelles régions la fatigue 
va-t-elle insinuer ses brouillards
ranimant toute une réserve 
de douceurs et de vitalité

Quand la nuit déploiera ses draps
l'écho viendra me demander
lorsque je fermerai les yeux
de quoi demain sera-t-il fait"

mardi 23 août 2016

Voyons voir...

Elle est tout à fait incroyable Jamaica Kincaid. Son dernier livre, Voyons voir, est un petit bijou de lyrisme, de poésie et de drôlerie macabre comme on n'en a jamais lu auparavant.

On y retrouve son phrasé répétitif, obsédant, incantatoire, produisant un charme hypnotique incomparable (mais qui rend la lecture parfois ardue) et sa narration singulière qui n'emprunte jamais les sentiers attendus. La trame fictionnelle se nourrit, comme chaque fois, de l'expérience de l'auteur : ici, il s'agit de l'usure du couple, de la liaison de son mari, musicien, avec une jeune femme, musicienne elle aussi. Leurs deux enfants sont nommés pour l'occasion... Persephone et Heracles. Car la tragédie n'est pas loin. A travers elle, l'auteur questionne le retour du passé dans le présent, la répétition, l'immuable théâtre grec de la destruction.
Aujourd'hui et hier, maintenant et alors (le titre original est See now then), futur, surgissent sans cesse dans le texte et sont interrogés, parfois d'une façon absconse qui pourra évoquer le film de Terrence Malik, Tree of Life.
Le récit avance comme une épopée : on passe de l'Odyssée aux Indestructibles, au fil de la détestation du mari et de ses envies de massacres (la femme, le fils), de l'immensité et du dérisoire de l'amour maternel (les soufflés au crabe pour les enfants qui voudraient un burger), de la lente construction des êtres (maille après maille, comme un tricot), et du temps éternel (la musique, les saisons qui fleurissent).

Le temps qui est, selon l'auteur, le thème du livre. Jamaica Kincaid se défend de toute autobiographie. Mais le portrait du mari, haut comme un rongeur, ne supportant rien, et qui trouve dans son veston un mot de son père décédé lui indiquant la bonne façon de vivre : "Deux maisonnées, deux épouses, deux canapés, deux couteaux", est d'une façon hilarante un décalque de Allen Shawn, son ex, multiphobique, fils de William Shawn, éditeur du New Yorker et célèbre pour avoir mené une double vie avec sa maîtresse (Lillian Ross) à qui était dédiée une ligne téléphonique dans le foyer conjugal. Dans le roman, le si "charmant" Mr. Sweet compare sa femme à Charles Laughton dans Les révoltés du Bounty...

Un extrait, qui donne la mesure de la liberté de l'auteur. Elle décrit son fils Heracles, né depuis peu.

"... Il était si beau mais pas par comparaison avec quoi que ce soit d'autre, il était si beau et plus encore en lui-même. Il avait un pelage épais juste au-dessus des yeux qui le faisait ressembler à un lion ; mais il avait aussi de gigantesques yeux ronds (fermés pour l'heure dans le sommeil, sous le regard de Mrs. Sweet) et cela lui donnait l'air d'un hibou ; mais il avait aussi le nez très épaté, ce qui lui donnait l'air d'un ours imaginaire, un nounours, jouet conçu pour calmer les enfants ; sa bouche, oh sa bouche, était aussi vaste que celle du soleil, ce même soleil qui s'élève au-dessus de l'horizon connu de tous et puis couvre le ciel pendant quelque temps, le temps d'une journée, et être témoin de cet événement, le soleil montant de l'horizon pour couvrir l'étendue du ciel pendant tout le temps qu'il le fait, c'est la définition même du fait d'être en vie ; ses oreilles étaient gigantesques, leur lobe lui-même semblait une de ces fleurs qu'on trouve dans un univers écosystème, et aussi une antenne parabolique, instrument conçu pour recevoir de l'information d'une façon qui n'est pas commune aux autres êtres humains. Tandis que Mrs. Sweet se penchait  sur lui, admirant sa forme de nourrisson, sa jeune tendresse, et distinguant dans ses traits radieux d'exceptionnels attributs, elle fondit en sanglots, ses larmes ruisselant impétueusement et en telle quantité qu'elle dut immédiatement les recueillir et les déposer à l'extérieur, formant une mare dans laquelle grenouilles, truites et autres bêtes du même genre allaient vivre et pondre leurs oeufs. Oh se dit-elle, oh, sa beauté me noiera, elle ressemble tant à la force de quelque chose d'immortel : le fleuve à Mahaut, dans l'île de la Dominique, que ma mère devait traverser chaque jour pour aller à l'école ; la montagne vêtue d'arbres, qui tantôt se parait du vert étincelant des feuilles nouvelles et tantôt de l'or aveuglant des vieilles feuilles..."

Voyons voir, de Jamaica Kincaid, est paru aux éditions de l'Olivier.

jeudi 18 août 2016

les disparus

C'était sans doute pour son anniversaire, qui se tient début septembre, en tout cas en fin d'année dernière, que j'avais acheté à ma mère une bague fantaisie chez Hema. Quelques euros pour une bague dorée décorée de motifs turquoise que l'on peut voir sur certains billets publiés ici.
Impossible de comprendre par quel mécanisme cette bague a pris une telle place dans son esprit. Elle ne la quittait pas. Et, en la touchant, disait, selon les jours :
"Je l'ai depuis mon mariage", ou "Je l'ai depuis le début, la verte", ou encore "C'est fou, je l'ai depuis des centaines d'années".

Au retour de mes vacances, en juin, cette bague chérie avait disparu. Je l'ai cherchée discrètement dans ses affaires, dans sa chambre, pour voir si je la retrouverais. J'ai regardé dans le magasin où je l'avais acquise si ce modèle était toujours en vente. Rien. Perdue. Mais moi seul tentait de sortir de l'oubli cet objet. Pour ma mère, cette perte insensible n'était qu'une absence invisible dans un océan d'années, de choses, d'habitudes, de souvenirs et de savoirs engloutis.

A présent quand je la rejoins, chaque fois, elle continue de m'accabler de ses palabres affectueuses :
-"Je suis tellement heureuse de te voir", "Quand tu n'es pas là je te cherche partout", "Mais tu es de plus en plus beau, comment fais-tu ?", "La seule chose qui m'intéresse, c'est te voir", "Tu as des cheveux magnifiques", etc.

Difficile de ne pas m'identifier à cette bague : objet d'amour, ou support de discours, qui, un jour, sort de l'esprit de cette femme à la dérive sans laisser de trace.


mardi 16 août 2016

la loi, le sm et la partouze pudique

La violence de la loi, il me semble qu'on l'oublie ou qu'on la sous-estime.
La loi porte pourtant en elle une violence symbolique, castrante. Elle limite, elle contraint bien plus souvent qu'elle autorise.

Je me souviens il y a de nombreuses années d'avoir été frappé par un fait divers. Je n'en ai pas retrouvé trace sur le Net (en cherchant rapidement). C'était en Angleterre je crois, des participants à une soirée sado maso avaient été condamnés au motif que leur réunion, pourtant privée, avait donné lieu à des pratiques jugées dégradantes pour la personne humaine. J'étais étonné de ce jugement que je trouvais abusif si, comme je l'avais compris alors, toutes les personnes présentes étaient consentantes, qui des "maîtres" et qui des "esclaves".

C'est à ce fait divers que j'ai pensé immédiatement quand est apparu sur la scène publique la journée burkini du Speedwater Park, près de Marseille. J'ai pensé à une partouze.

Car finalement, si on souhaite se baigner hors du regard des hommes, ça ne doit pas être très compliqué de privatiser un lieu avec du personnel uniquement féminin, pour profiter des joies du bain tranquillement avec ses enfants. 

La plage à Alexandrie, il y a une dizaine d'années. Hommes, femmes
et enfants se baignent habillés.
Mais privatiser un lieu, pour se retrouver tout de même obligée de se baigner habillée, au prétexte de quelques maîtres-nageurs hommes, c'est bien un montage pervers, une façon de jouir entre-soi de la soumission au regard de l'homme.
C'est donc bien d'une partouze dont il s'agit, plutôt sado maso d'ailleurs, en ce sens qu'elle s'organise selon un code, -les soumises seront habillées et mouillées, les maîtres seront nageurs et secs-, et que le plaisir (la sensation de son corps libre dans l'eau) devient secondaire devant la jouissance, soumise à la loi, la produisant.
Ce code ici se sur-sexualise puisqu'il n'est pas question, contrairement au duo maître-esclave, que l'on puisse à aucun moment inverser les rôles : on reste donc à une équation pénis=phallus. Une puissance symbolique accordée aux hommes que renforce la proportion des genres : quelques individus mâles soumettent des dizaines de femmes, rien que par leur présence. Partout où mon regard se pose, ma bite se pose. (Ou encore, mais blasphématoire : l'oeil de Dieu est le trou de ma bite. Ce qui se complique si Dieu est une femme, ce qui n'a pas l'air considéré comme une éventualité plausible par les organisateurs du rassemblement).
Il faut donc parler ici, dans le cas de la journée privatisée par Smile 13, d'une partouze burkini.

Le Gendarme de Saint-Tropez (1964) : les nudistes y sont présentés
comme "l'ennemi numéro un".

Rien à voir pourtant avec le désir de se baigner plus ou moins vêtu au bord de la mer.
Et je m'étonne là aussi que la loi aille dans le sens des arrêtés municipaux qui fleurissent contre le burkini. Par quels débordements en est-on venu à légiférer sur la façon de s'habiller à la plage ? Cela m'évoque des vieux films avec Michel Galabru et Louis De Funès, le Gendarme à la chasse aux nudistes sur les plages de Saint-Tropez. Maintenant la police va nous courir après pour nous dévêtir. Et est-ce que ces pédés de coiffeurs seront obligés de porter des strings? Tout paraît possible.

La violence de la loi apparaît d'autant plus flagrante lorsque la loi est stupide.


vendredi 12 août 2016

une heure avec Duras

Il est vraiment joli et tendre ce portrait de Marguerite D. réalisé par la monteuse Dominique Auvray en 2002. 
Marguerite, telle qu'en elle-même : on y voit Duras à toutes les époques de sa vie. Avec la voix de Jeanne Balibar en sus, ce n'est plus du cinéma, c'est de la gourmandise.


Par bonheur, on peut le voir en ligne jusqu'à la fin de la semaine grâce au (formidable) site le cinemaclub, qui propose de façon hebdomadaire un film, court, moyen ou long métrage, au public.
Donc une adresse web à garder en mémoire.

jeudi 11 août 2016

Nantes, fin

Et voilà. Dernier post pour partager mon "voyage à Nantes". Après une visite au marché de Talensac et à l'exposition Grafikama, je suis donc allé au château des Ducs de Bretagne.
Comme prévu s'y trouve la partition de Nantes, pas très émouvante finalement (je m'attendais à des graffitis, des reprises, des gribouillages...) L'anecdote est sûrement connue mais moi je l'ai apprise à l'occasion : la rue de la Grange-aux-loups, citée dans la chanson, n'existait pas mais, en l'honneur de Barbara, une rue a été baptisée de la sorte en 1986.
Pour finir, je passe au Lieu Unique, espace culturel qui a investit les vestiges de l'usine LU. Je souhaitais voir l'exposition Leviathan et ses fantômes, de Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel. Mais après avoir visionné quelques vidéos peu convaincantes, je m'arme de courage pour affronter la projection vedette de l'expo et ... paf, la lampe du projecteur explose. Noir complet.
C'est vraiment la fin.

La nuit et, en amorce, un morceau de l'installation
Les anneaux, de Daniel Buren, sur le quai des Antilles.

Place du Maréchal-Foch, avec la cathédrale
Saint-Pierre et Saint-Paul.






Ne suis-je pas homme et votre frère ? Un bol abolitionniste.



Une maquette de l'ancienne usine Lu. Aujourd'hui l'eau ne longe
 plus le bâtiment qui a lui aussi disparu à l'exception d'une petite portion,
siège du Lieu Unique, qui comporte encore la tourelle de gauche.

Nantes, bestiaire

Je suis un très mauvais blogueur qui s'obstine à ne pas publier les choses en temps et en heure, ce qui est pourtant, j'imagine, l'attente de la plupart des lecteurs. Bon, ce n'est pas pour vous perdre volontairement en route, c'est juste que je n'en ai pas le temps.
Inutile d'autre part de retracer ici, jour par jour, mon escapade nantaise, cela ne présente que peu d'intérêt.

En vrac, à nouveau, quelques images de la ville qui montrent la diversité de ses ressources touristico-artistiques.


L'Elephant des Machines de l'île, un lieu d'animation
qui comporte aussi une forme de grand manège. Les enfants
adorent avoir peur du pachyderme qui les arrose avec
sa trompe.


Le musée d'Histoire naturelle est très sympathique,
mélange de scénographie moderne et interactive, et de vieilles
vitrines façon XIXe siècle.



Au Jardin des plantes, c'est Claude Ponti qui amène son lot de
surprises poétiques. Evidemment, je devrais dire son pot,
puisque jeux de mots et pot de fleurs se disputent la vedette.

mardi 9 août 2016

Nantes, en vrac

Nantes, outre le charme de la ville, c'est aussi Le voyage à Nantes, sorte de programme estival qui regroupent des manifestations et des lieux institutionnels comme des expos temporaires.



Quai de la Fosse, à l'emplacement du mémorial de l'abolition
de l'esclavage, le sol est parsemé de pavés de verre
représentant des navires ou des ports négriers

Une oeuvre du cabinet d'archi Barré Lambot sur le principe
de l'anamorphose. Le terrain de foot est courbe et ne se voit
rectiligne que dans le miroir convexe qui le borde

Cette image et les deux ci-dessous : l'exposition ludique
au musée Dobrée revisité par Le gentil garçon. S'y trouve
une très belle et très invisible oeuvre d'Anish Kapoor, entre autres.




samedi 6 août 2016

Nantes, soleil et pluie

Demain il devrait faire beau à Nantes : c'est en tout cas ce qu'annonce l'œuvre lumineuse de Morellet, Harmonique atlantique de temps en temps, sur un bâtiment le long de la Loire. À l'instant même où je prenais la photo, tous les néons blancs qui dessinaient des nuages sur le faite de l'immeuble se sont éteints au profit de ce soleil rouge sur la façade.

Voilà un moment que je n'avais pas fait d'escapade solitaire en France. Premier choc : je découvre qu'ici les gens sont aimables. J'avais oublié comment c'était. Même en voiture ils sont courtois. Parfois les commerçants sont tellement gentils que je regarde autour de moi, craignant une caméra cachée, une attrape quelconque, une plaisanterie évidente... Non, il n'y a pas de blague, c'est comme ça.
Le deuxième effet dépaysant, c'est la monnaie. J'ai l'impression d'être dans une zone non euro ou, plus bizarre, une zone où les euros auraient une valeur différente. Tout est moins cher, de beaucoup.

À peine arrivé jeudi après-midi, j'ai filé chez le loueur de vélos : par chance, car j'ai pris la dernière bicyclette disponible. Me voici donc libre comme l'air.
J'ai fait avec application le pèlerinage Jacques Demy, depuis le garage paternel jusqu'au passage Pommeraye, en passant par la rue du Roi-Albert. Puis, quitte à sacrifier aux monuments, j'ai pédalé jusquà Rezé, au pied de la cité Le Corbusier. Et puis plein d'autres choses encore.

J'ai gardé pour demain des visites en proximité de mon lieu d'accueil , car je dois rendre le vélo dans la matinée. J'irai par exemple au chateau des Ducs de Bretagne, qui conserve, dans la partie musée de Nantes, la partition originale de Il pleut sur Nantes, de Barbara.
Clin d'œil musical à M., qui vient de perdre son père.

 
L'œuvre de François Morellet.


Au 9, allée des Tanneurs, se trouve l'ancien garage
paternel de Jacques Demy avec, à l'étage, le grenier
où il jouait et rêvait.





L'immeuble Le Corbusier

Nymphéa, une œuvre d'Ange Leccia
sur le canal Saint Félix.