jeudi 30 novembre 2017

combien de jours ?

A la faveur d'un article publié sur Facebook, je revois pour la énième fois la bande annonce du documentaire de Depardon, 12 jours. Chaque fois le plan de l'homme qui profère "Je suis fou, j'ai la folie de l'être humain" m'émeut aux larmes.
Je ne peux évidemment m'empêcher de penser à ma mère, internée sans son consentement, bien que son emprisonnement offre la douceur apparente d'un séjour en résidence hôtelière, et que sa folie, pour l'instant, conserve de même quelque chose d'apparemment socialement acceptable.


L'autre jour la ramenant dans sa chambre après l'expédition de l'IRM, je lui demande si elle souhaite rester là ou bien redescendre au rez-de-chaussée où se tenaient, à cette heure, nombre de pensionnaires. Elle bafouille un peu, me fait comprendre qu'elle va demeurer où elle est et ajoute : "Tu sais, ce n'est pas drôle, mais moi je suis obligée de rester là, c'est comme ça."

C'est la première fois qu'elle formulait quelque chose de cet ordre, d'autant plus étonnamment que maintenant, elle ne dit plus rien de sensé. Ses soudaines expressions logiques sont très rares, et il est très difficile d'évaluer si elles procèdent du hasard ou résultent d'une conscience réellement en éveil. Mais dans le mistral des absurdités que ma mère raconte, ces sentences claquent toujours comme des étendards de lucidité.

Quelques jours plus tard, à la faveur d'une de ses remarques portant sur le temps, je lui demande :
"Dis-moi maman, qu'est-ce que tu penses du temps qui passe ?"
"C'est long, dit-elle en balançant la tête pour appuyer son propos, c'est très long."

Là encore j'étais surpris de la cohérence de ses mots. Intrigué, des jours plus tard, je la requestionne sur ce même sujet :
"La dernière fois quand je t'ai demandé qu'est-ce que tu penses du temps qui passe, tu m'a répondu, c'est long."
"Moi ?!"
"Oui, toi, tu m'as dit, c'est long."
"Pas du tout !"
"Ah bon... Alors qu'est-ce que tu penses du temps qui passe finalement ?"
Elle hésite quelques secondes puis assène : 
"C'est triste."



lundi 27 novembre 2017

bloody friday

Photo Reuters prise sur le site du Sun
Pour un Black Friday, c'est bien noir. C'est un mail de mon amie N. qui, au sortir d'une journée de boulot non stop le vendredi, m'indique le carnage en Egypte. Le soir même je surfe sur Internet pour trouver des informations : attentat à la mosquée de Bir Al-Abed, dans le Nord Sinaï.


Mais dès le samedi déjà, la nouvelle semble passée au millième plan des portails d'infos du Net. La logique du mort kilométrique sans doute. Dernier bilan en date finalement : 305 personnes assassinées. Le témoignage de survivants lu dans la presse anglo saxonne me rappelle l'attentat au Bataclan.

mercredi 22 novembre 2017

Robert Frank sur Cinéma Club

Je ne sais plus si j'ai déjà parlé de Cinéma Club ici, il me semblait l'avoir mis en lien lors de la publication d'un certain billet, mais je n'ai pas pris la peine de vérifier cela.
En tout cas cette fois je l'inscris dans la liste des sites ressources, dans la colonne de droite du blog.

C'est vraiment un site sympathique qui, chaque vendredi, met en ligne gratuitement un film qui restera visible pendant la semaine. Ce sont souvent des courts et des moyens métrages, mais parfois des longs, et les réalisateurs et réalisatrices viennent de tout horizon. L'occasion de découvrir de nouveaux cinéastes ou les premiers films de personnalités confirmées. Bref, les plaisirs sont multiples.

Les Américains, le fameux recueil de photo de Frank

Cette semaine (mais je vous préviens bien tard, il ne vous reste qu'un jour et demi pour voir ça), il y a un documentaire extra sur le photographe Robert Frank. Don't Blink, de Laura Israel.

mardi 21 novembre 2017

Depardieu et Duras

Duras et Depardieu, en 1977, à Neauphle-le-château
(photo sans crédit issue du site Les Inrocks)

Quelques jours après avoir vu le spectacle Depardieu chante Barbara, qui m'a autant surpris qu'enthousiasmé, je croise une amie journaliste dont la spécialité est la scène théâtrale. Lui confiant mon émotion et mon étonnement, je lui demande par curiosité si elle avait assisté à l'une des premières représentations, à cette époque aux Bouffes du Nord. 

"Non, me répond-elle, mais ce que tu me décris ne m'étonne pas", notamment lorsque j'évoque l'inévitable et ô combien ressassée question de la féminité de l'acteur. Et d'ajouter que lorsqu'elle avait travaillé sur son livre Marguerite Duras, l'écriture de la passion, c'est Depardieu qui lui avait paru dire les choses les plus justes sur cet auteur, comme si une complicité particulière le liait avec des femmes singulières "C'est tout de même elle qui l'a fait débuter dans le Camion", insiste-t-elle. 
Elle me conseille de rechercher une vidéo de l'Ina, disponible sur le Net, où Depardieu analyse, à propos de son travail avec Duras : "C'est comme si moi j'avais, dans une vie antérieure, été femme avec elle."

C'est là, en 1983 : www.ina.fr/video/CPB8305087304

mercredi 15 novembre 2017

voyage dans le temps (et en taxi), destination : realpolitik

J'ai pris des milliers de taxis lorsque j'étais (beaucoup beaucoup) plus jeune.
Des dizaines, il y a fort longtemps quand, salarié, je devais me rendre à des réunions ici ou là accompagné de quelques collègues. Puis des centaines dans les décennies suivantes quand le taxi était le seul véhicule à ma disposition pour parcourir la ville, me déplaçant à des heures où les transports en commun, ainsi que toute personne respectable, sommeillaient.
J'avais parfois du plaisir à ces balades car les chauffeurs actifs dans ces créneaux horaires nocturnes composaient à l'époque une population de personnalités atypiques, souvent transgressives (le chauffeur toxicomane, le chauffeur érotomane etc). Mais pour quelques virées dignes d'un court métrage, combien d'heures j'ai passé à maudire ces voitures en trop petit nombre les samedis soir, refusant de se rendre à tel endroit ou conduites par quelques rustres désagréables (et je ne dis rien du chien qui pue...).

Depuis ce passé lointain, j'ai adopté le vélo et résisté, jusqu'à aujourd'hui, à Uber. J'ai résisté, conforté par une conviction politique : "non à la précarisation du travail", non à ce qu'on appelle maintenant l'"ubérisation".

Et puis l'autre jour je devais conduire ma mère en plein milieu de journée dans une clinique, pour lui faire passer une IRM cérébrale. L'expédition paraissant d'avance pénible et semée d'embûches comme on dit, j'avais prévu de réserver un taxi. Et décidé, déjà, de chercher une appli de "vrais" taxis. J'avais consulté une page Internet qui en comparait plusieurs, ainsi que certains services de VTC. J'appris, à l'occasion, qu'une réservation de voiture Uber était impossible, ce que j'ignorais. Bref.

Ayant sélectionné les Taxis bleus, j'ai tenté en vain à plusieurs reprises de m'inscrire sur leur site et via leur appli. Chaque fois ma carte bleue était refusée, cette opération étant la phase finale du processus de création d'un profil (répétée plusieurs fois donc, ce qui fait perdre déjà pas mal de temps).
Finalement je me suis inscrit sur le site des taxis G7, avec le sentiment d'acheter très cher un produit bio qui n'allait pas être meilleur que son jumeau de hard discount (conscience politique, soutiens-moi par pitié!). Re bref.

Le jour même le taxi G7 était impeccablement à l'heure. La petite course de 9 euros et des poussières a cependant été facturée plus de 16, réservation oblige. Au retour, ma mère (ayant gentiment passé l'examen de l'IRM en gigotant beaucoup, puis ingurgité une mega assiette de frites qui accompagnait une omelette qu'elle n'a pas entamée) était d'humeur à marcher un peu, et je décidais de héler un taxi en route.

En quelques centaines de mètres j'ai re parcouru des dizaines d'années. Sur le chemin, pas de taxis disponibles, les voitures passant affichant une lumière rouge sur le toit. Puis, soudain, un taxi libre... qui me voit et pourtant ne s'arrête pas. Puis un deuxième... qui me voit et ne s'arrête pas, après m'avoir mimé je ne sais quoi au travers du pare-brise. Charmant.
Enfin nous arrivons à une station de taxis déserte. A quelques mètres de là, une voiture stationnée où le chauffeur lit le journal. Est-il disponible ? Le grognement signifie oui. Pour autant il ne s'avance pas. Du début du trajet à la destination finale, où il me fait cadeau d'un ultime grognement, je n'ai pas entendu le son de sa voix. Il a sans doute un problème d'élocution.

Je crois que je vais télécharger l'appli Uber.

lundi 13 novembre 2017

le mage Depardieu

Vendredi je chantonne sur mon vélo, ainsi que plus tard dans la rue, ce qui n'est pas du tout mon habitude. Et ce week-end, mon ami A., venu en visite, s'en étonne et me moque : "Eh bien tu chantes maintenant, tu deviens comme ta mère !..."
C'est l'effet secondaire du spectacle Depardieu chante Barbara, vu au Cirque d'hiver, jeudi soir, à Paris.

Saisi par ce moment magnifique, hors norme, j'en ai cherché des traces ensuite sur Internet. J'ai trouvé quelques vidéos de Gérard Depardieu chantonnant, à l'occasion de la sortie du disque, ainsi que quelques captations de fragments du spectacle, mais rien vraiment qui rendait justice à la force de ce que j'ai vécu sur place : cette pleine présence énorme et vulnérable, irradiant d'émotion à partager.

J'imaginais Gérard Depardieu récitant plutôt les chansons, les psalmodiant : pas du tout, il chante et chante bien ces mélodies pas faciles du tout à interpréter. Curieusement cette appropriation m'a rendu le répertoire plus familier, plus proche de moi. Je retrouvais, avec Depardieu, des souvenirs d'adolescence plus vifs que si j'avais écouté Barbara elle-même : image de ma chambre d'alors, de la platine vinyle, des premières chansons entendues chez un oncle etc

C'était l'occasion aussi de rencontrer un Gérard Depardieu dont je n'avais, pour ma part, pas pris la mesure. Un acteur superlatif. Une diction parfaite qui sert les textes, une humilité non feinte tout au bénéfice du spectacle et de sa scénographie minimaliste, un respect sans amidon pour son sujet et ce public d'aficionados : autant dire un instrument de musique en chair et en os, qui joue d'amour et d'émotion. Un très très très gentil monstre.
Gérard Daguerre, dans une interview, décrivait Depardieu et Barbara comme "frère et soeur". L'amie M., avec laquelle j'assiste au spectacle, me dit, évoquant les paroles de Barbara interprétées par Depardieu : "on dirait qu'il parle de lui". On ne peut pas mieux résumer cette alchimie étrange.

Spectacle jusqu'au 19 novembre. Au piano, Gérard Daguerre.