mardi 12 juin 2018

histoires d'Aury

Je reviens encore sur l'extrait du texte de Pauline Réage, dont plusieurs lecteurs ont aimé la beauté sans connaître l'auteur, ni le contexte de son écriture.


Pauline Réage est l'auteur d'Histoire d'O, roman érotique qui fit scandale a sa sortie, en 1954. Le livre est écrit sous pseudonyme et, à cette époque, on peine à le croire l'oeuvre d'une femme. Certains soupçonnent Jean Paulhan, dépositaire du manuscrit, de se dissimuler sous cette identité féminine.

C'est bien Dominique Aury pourtant qui l'a griffonné page après page le soir dans son lit ("Elle écrivait encore à l'heure des boueux, et de la petite aube."), comme elle le raconte notamment dans ce texte, Une fille amoureuse, publié en 1969 conjointement à Retour à Roissy, une sorte de suite courte à Histoire d'O.

Roissy est, dans Histoire d'O, le lieu secret et fermé où René, l'amant de O, l'amène pour la livrer à d'autres hommes, d'autres femmes, et aux affres (ou aux plaisirs) de la soumission.
Roissy n'évoque pas alors l'aéroport que nous connaissons aujourd'hui, la construction de celui-ci n'est décidée qu'au milieu des années soixante : c'est juste un petit bourg tranquille que Dominique Aury aperçoit un jour en promenade ([...] et ce Roissy-en-France aperçu au cours d'une brève randonnée de printemps) dans cette région d'Ile-de-France qu'elle affectionne et qui lui fera choisir son pseudonyme sur une carte, Réage étant le nom d'un autre lieu.

Une fille amoureuse, qui raconte la genèse d'Histoire d'O, est un texte empreint de nostalgie, car Dominique Aury le rédige alors que Jean Paulhan, son amant de longue date, se meurt lentement à l'hôpital. Retour à Roissy, dont le préambule prévient "Les pages que voici sont une suite à l'Histoire d'O. Elles en proposent délibérément la dégradation et ne pourront jamais y être intégrées" est une oeuvre de fin. Autant le premier roman peut être lu comme une sacralisation de l'amour absolu, idéal, quasi mystique, autant le Retour est le récit du doute, de la peur de la trahison, de l'abandon et finalement de la perte.

Ce que peu savent, c'est que Dominique Aury n'est pas le véritable nom de cette femme à la mise austère (Il fallait maintenant [...] reprendre le harnais strict, la muette douceur coutumière), coeur fidèle qui aima sans se préoccuper du genre.

Avant sa longue relation avec Jean Paulhan, Anne Desclos avait vécu une passion avec Thierry Maulnier, écrivain et journaliste de droite, et c'est à son conseil, dans ce milieu où l'usage du pseudonyme était alors très répandu, qu'elle avait publié ses premiers articles de presse devenant ainsi Dominique Aury.

Dans les dernières lettres qu'elle écrit à Paulhan, comme un retour à elle-même, parfois elle signe de son prénom d'origine, Anne.

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