dimanche 23 décembre 2018

le Noël de Laura Perls (1953)

Laura Perls. Photo
malheureusement non datée
et non créditée.
« Un présent n'est pas un sacrifice, mais quelque chose que l'on donne aisément, sans rien attendre en retour.
[...]
La signification du présent nous est clairement livrée dans la tradition des cadeaux de Noël.[...]
On offrait les présents aux enfants et aux êtres démunis, aux pauvres, etc.
Le principal événement de la journée était le grand repas auquel on conviait les domestiques, les employés, les orphelins, les pauvres, etc. Les adultes de même classe sociale ou économique ne se donnaient pas de présents, car cela aurait équivalu à imposer des obligations [...]. Et, bien sûr, personne ne devait dépenser pour offrir des présents à quelqu'un de plus fortuné : il ne s'agissait pas de faire des sacrifices. Celui qui était dans le besoin avait un droit naturel aux présents, sans obligation, sans le "mériter".
[...]
De nos jours, les cadeaux de Noël ou d'anniversaire répondent moins aux besoins de celui qui reçoit qu'aux sentiments de culpabilité de celui qui donne. Résultat : l'équilibre social n'est pas rétabli mais plus instable. La personne qui reçoit le cadeau est déçue et celle qui l'offre se sent encore plus coupable : son cadeau de Noël devient porteur d'une signification qui excède largement sa valeur réelle et le cercle vicieux du déséquilibre social va s'amplifiant. La personne qui donne devient un vendeur chargé de convaincre celle qui reçoit du caractère indispensable du cadeau. [...]
Le sentiment d'obligation correspond à la vague acceptation d'une implication sociale quelconque sans que les contours de cette obligation ne soient bien délimités et donc, que l'acte posé soit perçu comme socialement légitime. Dans ce contexte, s'acquitter d'une obligation ne contribue pas à placer celui qui donne et celui qui reçoit dans un meilleur équilibre interpersonnel, mais crée une surenchère, comme on le dit si bien, d'obligations mutuelles. On se retrouve ainsi dans un cercle vicieux de concurrence, de servilité, de sacrifices inutiles, de déceptions, de ressentiment et de culpabilité. La fête de Noel est devenue une farce qui laisse tout le monde épuisé physiquement, émotivement et financièrement. En janvier, nous sommes malades, mesquins et sans le sou. Du symbole d'amour et de justice qu'il constituait, Noël a dégénéré en une spirale commerciale donnant lieu à un processus social de plus en plus déséquilibré. »

Laura Perls, 
extrait de Notes sur la psychologie du donner/recevoir, publié dans la revue Complex en 1953.