mardi 17 décembre 2019

la soupe à la grimace

Le mois dernier j'ai reçu un gros paquet envoyé par une agence de pub, Clm Bbdo. A l'intérieur d'une enveloppe matelassée, une boîte cartonnée, de belle qualité, très costaud : un genre de cartonnage digne d'une maison de mode ou de produits de beauté. Sur le dessus, un joli graphisme sobre affiche "Eat your tweet" et porte le logo de la marque Liebig.

Dans la boîte, une épaisseur de mousse sombre façonnée accueille dans deux compartiments une brique de soupe et un sachet transparent que recouvre un texte explicatif. L'emballage de la soupe montre clairement une étiquette qui proclame "100 % ingrédients naturels, fabriqué en France".

Regardant tout cela d'un oeil distrait, je suis dans un premier temps frappé par le luxe de cet emballage promotionnel, et je regarde si ici ou là une indication rassurante préciserait "réalisé avec des produits recyclés" ou quelque chose d'écolo responsable. Rien.

C'est ensuite que je comprends le sens global de cette affaire. Dans le sachet transparent, se trouvent des petites pâtes alphabet qui reproduisent le tweet d'un consommateur mécontent. Dans le paquet que j'ai reçu (je ne sais pas si plusieurs déclinaisons existent), c'est celui d'Enya qui dit : "Je suis en train d'essayer de convaincre mon estomac (et mon cerveau) que ma soupe industrielle est délicieuse. (c'est pas gagné)"

La marque, Leibig, donc, conseillée par  l'agence Clm Bbdo, affirme crânement "Nos recettes PurSoup' sont maintenant préparées avec 100 % d'ingrédients naturels. Du coup votre tweet n'a plus de raison d'être. Nous vous proposons donc de le déguster..."

Tout ça pour cela : pour que le consommateur s'entente dire, "tes propos, je vais te les faire bouffer". 

Toute cette onéreuse entreprise pour rendre réelle, par un objet, la violence de cette expression que le Larousse en ligne détaille de cette façon : " 

Faire ravaler ses paroles à quelqu'un, 

l'empêcher de tenir certains propos, l'obliger à les rétracter." Mais sans doute que les communicants trop lol qui ont pondu ce potage publicitaire pensent que Larousse est une marque de teinture pour cheveux. Ou que le langage n'a pas de portée symbolique.

Evidemment il y a plus grave dans le domaine de la violence institutionnelle (les élections algériennes, les réformes gouvernementales, les déclarations d'intérêts frauduleuses avec énormément de bonne foi...), mais pitié, qu'on nous laisse au moins le droit de râler !

jeudi 12 décembre 2019

nous sommes Bagarre


Je m'y suis finalement rendu au concert de Bagarre à l'Olympia. Et je n'ai vraiment pas regretté.

La fosse était pleine de jeunes gens entre 20 et 29,99 ans qui avaient fait la queue une heure au vestiaire pour déposer leurs vêtements d'hiver et vivre légèrement l'expérience du hammam clubbing, et qui pour certains étaient arrivés à 18 h 30 déjà. Quand on aime...


En haut, les places assises et réservées n'étant finalement pas toutes occupées, j'ai pu me rapprocher de quelques rangs et être bien placé pour profiter pleinement du spectacle triple : sur scène, dans la fosse et sur la mezzanine où toutes sortes de publics cohabitaient.
C'est émouvant de voir un groupe relativement jeune se retrouver dans cette salle mythique : chacun des cinq membres de Bagarre a commenté ce bonheur-là, notamment Mus, qui a demandé à la salle de faire du bruit pour "sa darone et son daron", son père venait pour la première fois le voir en concert. Trop mignon.

C'est difficile de décrire un concert. C'est un moment de générosité, une énergie particulière et une sensation de partage bizarre avec des inconnus. En tout cas avec Bagarre, ça pulse.

La Bête et Emmaï Dee sur scène
pendant le titre La Bête voit rouge.
Il y a eu des surprises, notamment l'intervention de Giovanna Rincon, une trans activiste que j'adore (de l'association Acceptess-T), et pour finir les Béruriers Noirs, qui avaient fait leurs adieux sur cette même scène trente ans auparavant. "J'étais même pas né", lance La Bête, en les présentant.

Au second plan, Maître Clap à gauche et La Bête à droite.
Devant au centre, Giovanna Rincon.

Il y a les attendus, ou plutôt les espérés, ces moments où La Bête entre en contact physique avec le public qui le porte. Ce soir-là Mus aussi a volé au-dessus de la foule. A la sortie du concert, entendu dans la foule : "Dieu existe !"

Mus porté par le public sur le titre Kabylifornie.

Ils sont vraiment chouettes ces cinq de Bagarre : il y a La Bête (Arthur), Emmaï Dee (Emma), Mus (Moustapha), Maître Clap (Cyril) et Majnoun (Thomas). On trouve plein d'interviews du groupe sur le Net pour ceux qui aimeraient les connaître mieux.

Presque deux ans de tournée, trois albums, un Olympia... J'imagine qu'ils vont se reposer un peu. Hâte de voir la suite.

roulez jeunesse !


J'aime bien cette histoire créée par Tom Gauld, et je l'avais téléchargée depuis le compte Twitter de l'illustrateur il y a déjà plusieurs semaines.
Je pensais la publier à l'occasion d'un billet où je ferais le bilan suivant,"je suis vraiment devenu un vieux con", constatation qui me paraît criante quand je suis en vélo et que je peste contre le monde d'aujourd'hui, à savoir les trottinettes électriques et les passants qui traversent les rues sous vos roues sans regarder autre chose que l'écran de leur Smartphone.

En ces jours de grève et de galère locomotrice, l'histoire de Tom Gauld prend un aspect presque prophétique (et la proposition précédente "je suis vraiment devenu un vieux con" se vérifie, tonitruante plutôt que criante).
C'est évidemment aussi un prétexte à vous inciter à consulter le site de l'artiste, lien en début de texte.

dimanche 17 novembre 2019

le monsieur des fleurs

En face de mon balcon, de l'autre côté de la rue, dans l'immeuble qui fait face au mien (mais assez proche puisque la rue est petite), il y a un appartement qui possède lui aussi un balcon.
Récemment les locataires ont changé. J'ai constaté, sans les observer vraiment, les allées-et-venues des déménageurs, puis celles des nouveaux habitants, un couple (hétérosexuel) de quadragénaires, pour autant que je puisse en juger.

Un jour, cet été, l'homme du couple est sur son balcon en même temps que je suis sur le mien, et il me lance : "Il est joli votre jardin." Je ne sais pas trop quoi répondre, sinon un "Merci " sonore, car l'organisation de mes plantes me paraît plutôt anarchique, et mon côté de la rue étant plongé dans l'ombre (alors que ce voisin bénéficie d'un plein sud ensoleillé que je jalouse) j'ai plutôt l'impression que la végétation languie chez moi alors qu'elle sera bientôt luxuriante chez lui.
Il est, au moment où il me parle, en train de manipuler quelques maigres tiges censées bientôt grimper sur un fil de fer tiré devant ses fenêtres. "Je commence juste", commente-t-il.

Les semaines passent. Il y a quinze jours je prends conscience que jamais mon balcon n'a été aussi fleuri. L'althéa a déjà perdu fleurs et feuilles, mais le jasmin est encore en forme, ainsi que le sont les géraniums. Poussent ça et là quelques cosmos, des marguerites de toutes sortes, un fuchsia, deux anisodontéas (plante que j'avais découverte grâce à d'autres voisins, dans un autre immeuble)... Les roses des neiges ont déjà éclos et nombre de chrysanthèmes, laissés à l'état sauvage et jamais taillés, ont lancé de longues tiges ployantes à peine capables de supporter le poids de leurs fleurs. Si la liste peut faire impression, l'allure générale est plutôt désolante, à mon sens.

Dans la rue, une fin d'après midi alors que je gare mon vélo, j'entends un petit garçon qui annonce d'un ton sérieux à un adulte à ses côtés : "Je me demande quel cadeau je vais ouvrir en premier..." Amusé, je me tourne vers lui, quand l'homme passant devant moi dit au gamin : "Dis bonjour, c'est le monsieur des fleurs." Je me fige bouche bée.
"Vous avez un joli balcon", ajoute-t-il. Un court instant je l'associe au voisin d'en face, avant de me rendre compte que ce n'est pas lui, mais un locataire d'un étage inférieur. "Il est très beau parce qu'il n'est pas frimeur, il est naturel, explique-t-il encore. Il y en a d'autres qui sont jolis, mais (et il les pointe du doigt et fait une mine de désapprobation en secouant la tête), ils sont frimeurs. Vous comprenez ?" Je rigole et je confirme : "Oui oui, je comprends. Le mien, pour être naturel, il est vraiment naturel !"
Quel plaisir d'être ainsi associé à des fleurs !

jeudi 7 novembre 2019

une page de pub pour Bagarre

J'ai découvert Bagarre il y a peu, je ne sais plus comment. Un vrai coup de coeur.

Depuis, j'ai envie d'aller piétiner, chanter crier et gesticuler avec eux à l'Olympia le 29, mais je me dis que ce n'est pas de mon âge. La preuve, de mon grand âge, j'ai même acheté leurs CDs. Vous imaginez, des cédéroms !


Et si je ne porte pas de tee-shirt noir à leur effigie, c'est uniquement parce que l'article est en rupture de stock sur le site marchand qui le commercialise. Voilà, vous savez tout, ou presque. Pour ceux qui ne connaissent pas Bagarre, quelques vidéos ci-dessous.





Mais, pour l'Olympia le 29, acheter une place de vieux (assise numérotée) ou une place de jeune (debout dans la fosse)... ?


mercredi 6 novembre 2019

dernière journée avec V.

Quand mon cousin vient me chercher en voiture à La Souterraine, je partage avec lui ma découverte de la Lanterne des morts. Lui non plus n'en a jamais entendu parler, bien que cette tradition semble plutôt de la région, comme je l'apprendrai plus tard.

Je passe sous silence l'art topiaire remarqué dans le cimetière, mais lui livre cette autre observation : la présence, sur les tombes, pour indiquer les informations relatives au défunt, de disques de céramique blanche, qui produisent un effet graphique singulier. Il a déjà noté la même particularité dans sa ville, à quelques dizaines de kilomètres, et il l'associe, avec justesse je pense, à la production locale de porcelaine (Limoges n'est pas loin, on renoue avec Ceux qui m'aiment prendront le train...)



Et il me révèle une autre coutume d'ici : déposer sur la tombe le bol de petit-déjeuner du mort. Je n'ai jamais vu cela non plus, et en rentrant je chercherai également des infos à ce sujet. On trouve en effet des bols ou des coupelles, notamment dans le Nord de la Creuse.

Après un déjeuner qui réunit encore d'autres cousins et cousines, on rejoint le village de Vallières. J'imaginais que nous arriverions trop tard pour la fermeture du cercueil, mais il est encore temps de jeter un dernier regard sur V.

Elle est vêtue de bleu vert, les mains jointes, la peau jaunie, la tête un peu rentrée dans le cou et son nez paraît plus pointu que d'habitude. Malgré son volume important, elle me fait penser à une souris de Beatrix Potter, Madame Trotte-menu. Je pense que l'image l'amuserait. J'hésite à l'embrasser, mais finalement je ne le fais pas, la présence de l'employé des pompes funèbres me dérange.

Il y a ensuite une cérémonie dans la petite église du village, qui peine à contenir famille et amis de longue date. Le fils de V. a composé pour l'occasion une chanson, qu'il interprète en s'accompagnant à la guitare, ce qui anime joyeusement les fades bondieuseries de rigueur.

C'est quand nous sortons de cette messe que la pluie s'abat. Elle ne va plus cesser, jusqu'à transformer le trajet au cimetière et la descente du cercueil dans la tombe en scènes de cinéma. Car le vent s'y met, retournant les parapluies, jetant la pluie de biais sous ceux qui restaient dépliés. Tout le monde n'est pas équipé, on se regroupe, pressés en grappe sous un même pébroc, même les plus abrités sont trempés. On ne s'entend plus. C'est amusant car chacun y voit comme un ultime pied de nez, un clin d'oeil à V. qui aimait tellement les averses et aimait tant marcher sous la pluie.

lundi 4 novembre 2019

au royaume d'Hadès...

Vendredi soir, je me suis retrouvé dans une improbable chambre d'hôtel louée à la va-vite près de la gare de La Souterraine, nom adéquat au week-end à venir. J'avais en effet besoin de me rapprocher de Vallières, en Creuse (décidément !), où se déroulait le samedi l'enterrement de ma cousine V., dont j'ai déjà parlé ici.
Malheureusement aucun train n'existait le jour même pour y aller, ni même pour en revenir (j'avais cherché pendant des heures sur Internet toutes les combinaisons de trajets possibles, imaginant relier n'importe quelle ville depuis laquelle quelqu'un de ma famille aurait pu m'emmener en voiture, mais rien n'y faisait, aucune solution possible. Immanquablement, j'ai pensé au film Ceux qui m'aiment prendront le train...)




Le vendredi soir, je ne vois rien de La Souterraine, arrivant fort tard et me dépêchant de rejoindre, dans le noir et sous la pluie, cet hôtel dont j'avais peur de trouver la réception close. Je devais repartir le samedi matin avec un bus, qui m'aurait amené à 15 kilomètres seulement du but recherché. Mais finalement après avoir acheté par sécurité tous ces billets de bus et de train, j'ai contacté un cousin qui m'a proposé de venir me chercher en voiture le lendemain.

Dans cette minichambre au charme désuet, il y a un écran accroché au mur, presque au plafond. Comme je n'ai pas la télévision chez moi, j'ai toujours la curiosité de zapper d'une chaîne à l'autre, pour voir à quoi ça ressemble la programmation télévisuelle. Je reste un moment devant une émission consacrée à Barbara, qui suscite beaucoup d'émotions chez moi, car c'est avec cette même cousine maintenant morte que j'avais, enfant, découvert la chanteuse.



Le samedi matin la météo semblait clémente. J'ai même pensé : on évitera peut-être la pluie pour l'enterrement. La suite devait me contredire comiquement. J'avais prévu de prendre le petit déjeuner à l'hôtel, craignant de trouver la ville sinistrée comme j'avais retrouvé Vallières cet été. Réveillé de bonne heure, j'ai jeté un coup d'oeil sur Internet (mots clés "la Souterraine" "Tourisme") et je suis tombé sur cette indication dans la rubrique lieux et monuments remarquables : la "lanterne des morts". Je n'avais jamais entendu parler de l'existence de tels monuments. Pour un samedi mortuaire, cela me paraît la visite idéale.


En sortant de l'établissement hôtelier, je découvre, contre mes attentes, une ville très peuplée et très animée. Je jette un coup d'oeil sur la place, autour de l'église imposante dont le clocher est en réfection, et sur la Porte Saint-Jean. Suivant les indications données par une appli, la Lanterne des morts se trouverait tout bêtement au cimetière. J'y suis en quelques minutes. Je ne suis pas déçu de la visite. L'allée principale du cimetière est bordée d'arbres massifs taillés d'une façon qui rappelle le brutalisme. Les volumes sont comme tranchés de façon aléatoire et produisent des silhouettes monumentales, archaïques. C'est curieusement beau, impressionnant. Au milieu se dresse effectivement cette tourelle, la fameuse Lanterne des morts.
J'ai triché la couleur des photos ci-dessous, car le temps rendait les images tristes... à mourir.



mercredi 16 octobre 2019

les indes galantes

C'est aujourd'hui que se termine la programmation des Indes galantes à l'Opéra Bastille, que j'ai eu la chance d'aller voir un dimanche il y a presque dix jours maintenant, avec M.
L'envie était née en janvier déjà, suite au teaser ô combien efficace de Clément Cogitore que j'avais partagé sur les réseaux sociaux. Ce petit billet est d'ailleurs partiellement un prétexte pour le faire à nouveau.



On peut avoir certaines réserves (notamment celle de la scène trouée en son centre qui oblige souvent à des contours étranges) et les professionnels de la profession ne s'en privent pas. C'est pourtant regarder la petite partie du verre non remplie, et bouder l'ivresse du spectacle qui nous est donné. Nommer simplement l'excellence vocale, l'énergie de la mise en scène et l'implication des chanteurs et chanteuses dans la danse. Le public, qui sait rendre hommage à la générosité des artistes, leur fait un triomphe le soir où nous assistons à la représentation.

Direction musicale Leonardo Garcia Alarcon, mise en scène Clément Cogitore, choréraphie Bintou Dembélé.

vendredi 4 octobre 2019

elephant bad (very bad)

Si un ami veut gentiment vous emmener voir Elephant Man, aux Folies-Bergère, avec Béatrice Dalle et JoeyStarr entre autres, prétextez un cours de yoga ou une visite chez votre grand-mère. Vous éviterez un moment pénible. D'autant plus pénible qu'en fait de "moment", ce sera presque deux heures d'inconfort.


C'est dommage car j'aurais bien voulu aimer ce spectacle, les deux têtes d'affiche sont plutôt sympathiques dans leur genre... Et c'était le cas de beaucoup, j'imagine, qui étaient dans la salle hier, soir de première : un public de professionnels, d'amis et de VIP à l'aise dans cette foule un peu Tout-Paris.

Le premier acte est interminable, ennuyeux; les deux ou trois "inventions" scéniques s'avèrent vite des trucs à répétition qui paraissent là pour masquer la maladresse de la mise en scène de David Bobée et l'indigence des personnages. Tout est premier degré, illustratif. Le texte est balourd, creux.

A l'entracte, personne ne parle de la pièce. Je vais de groupe en groupe dans le hall des Folies-Bergère pour glaner des commentaires.... Silences gênés partout.

Malheureusement il y a un deuxième acte. Il est plus court (ce qui n'empêche pas les spectateurs de quitter la salle) mais théâtralement ridicule. Il faut supporter une scène de bagarre superflue et un final avec JoeyStarr agonisant sur scène pendant un très long quart d'heure, alors qu'autour ses acolytes enchaînent des monologues redondants.

A la sortie, des spectateurs se lâchent un peu, critiquant notamment le prix des places. Moi ça me fait de la peine que ce soit aussi raté, et c'est difficile de comprendre comment des professionnels du spectacle en arrivent à faire ça.

vendredi 27 septembre 2019

sur mes traces

Je suis allé passer quelques jours à Amsterdam le week-end dernier. Il faisait un temps magnifique, et ce break m'a vraiment fait du bien.

Ma naïveté aidant, j'ai eu la surprise de constater comme la ville était devenue touristique. Pourtant, plusieurs signaux de cette réalité m'avaient été envoyés : le nombre d'hôtels et de logements qui affichaient complet quand je me suis décidé à cette escapade cet été ; ensuite, les précautions qu'avait montrées le loueur Airbnb que j'avais contacté, qui m'avait informé que les locations de ce type étaient devenues dans la ville très critiquées.
Par chance, l'appartement que j'avais choisi pour être proche d'un ami local se situait dans un quartier parfaitement épargné par cet engouement touristique.



C'est une ville où je suis allé déjà à plusieurs reprises, chaque fois accompagné, et dans des contextes très différents. La dernière fois c'était il y a tout juste dix ans ; j'avais fait alors nombre de photos, profitant du soleil qui était aussi au rendez-vous. Est-ce dans une volonté mémorielle qu'aurait entraîné mon séjour en Creuse fin août (?), j'ai eu envie, rentré à Paris, de retrouver les traces de ma première visite d'Amsterdam. 

Dans un classeur qui contient des planches de diapositives Kodak (les plus jeunes chercheront dans une encyclopédie les définitions de ces mots étranges), j'ai identifié une douzaine de photos de ce périple. Elles sont datées de septembre 1993. Quelques unes sont des photos prises dans le train, les autres dans la chambre d'hôtel que je partageais avec C. (dénommé SdA sur ce blog). On le voit sur six de ces images, et j'apparais également sur deux, C. m'ayant saisi avec mon propre appareil photo. Une diapositive nous réunit : enfin, un détail de nous, un gros plan de nos pieds. C. porte un jean clair et des chaussures noires à bout rond et à larges lacets plats verts ; j'ai un pantalon de cuir noir et des après-skis beiges à lacets rouges. Cette photo, pour anecdotique quelle soit, nous représente bien, dans nos ressemblances et nos différences d'alors.

Aucun de ces clichés ne montrent la ville, sauf un, pris de la fenêtre de l'hôtel, en direction de la rue en contrebas : on distingue l'auvent en plastique ondulé de l'établissement, le pavage, les poubelles de chaque côté de la chaussée, la vitrine d'un grill turc en face, et l'amorce d'un restaurant sur la gauche. Aucun indice ne me rappelle le nom de cette rue ni celui de l'hôtel.

J'ai cherché sur Internet ce snack sobrement baptisé Istanbul, sans vraiment croire que j'allais le retrouver vingt-six ans plus tard dans cette rue-là. Evidemment, cette recherche n'a rien donné. Le restaurant d'à côté semblait porter un nom espagnol se terminant par "inos" : j'ai tenté plusieurs noms au hasard, sans succès non plus, puis j'ai imaginé que c'était peut-être un nom grec...
Bref. Il faut bien être un homme de l'époque du film photographique pour avoir eu l'idée suivante : ouvrir le cache de la diapositive pour voir si un millimètre de photo supplémentaire n'était pas dissimulé par lui, qui me livrerait des indices nouveaux. Bingo ! Quelques lettres de plus de l'enseigne me font comprendre qu'il s'agit de Los argentinos ! Ce resto, lui, est resté à la même place, quasiment inchangé. Je le retrouve sur le Net, et il me permet de localiser cette rue et l'hôtel qui, lui, a été complètement métaporphosé, à l'intérieur du moins. C'est devenu une auberge de jeunesse avec chambres à lits superposés, peintes de couleurs vives.

Je ne sais pas très bien ce que je fais quand je traque ces vestiges de mon passé. Récemment, après la publication des billets sur la Creuse, un ami m'a envoyé un SMS disant : "J'ai lu les derniers articles de ton blog. C'est mélancolique." Je n'ai pas le sentiment d'être nostalgique ou mélancolique. C'est plutôt une forme de surprise qui m'habite quand je me confronte à ce qui a eu lieu, à ce qui a existé. D'où le goût de retrouver les traces, quelque chose auquel se confronter. 
Quand je regarde cette diapositive datant de 1993, je me vois moustachu et un peu barbu, tout de noir vêtu, avec une montre dont je me souviens à cette occasion, et des bracelets de cuir noir également. C'est si loin, inaccessible, et pourtant moi : un accordéon temporel.

jeudi 12 septembre 2019

immensité 3

« [...] Mais quand je faisais le voyage de Suisse ou d'Allemagne pour revoir mon pays natal que j'avais quitté, quand je changeais de train à la frontière russe pour monter dans nos wagons plus larges et plus lourds, quand le contrôleur installait ma couchette en m'appelant "ma petite mère" ou "ma petite colombe", quand l'odeur des épaisses peaux de mouton ou le parfum des cigarettes russes m'entouraient, les trois coups de clochette, signal de départ suranné, réveillaient en moi un inoubliable bonheur d'être revenue au pays natal. Cela n'était lié ni à mon retour dans ma famille, ni à une sorte de nostalgie du pays où l'on est né et où se situent les impressions de la prime enfance, nostalgie que je n'ai jamais éprouvée. Aujourd'hui encore, je serais incapable de dire exactement ce qu'est ce sentiment : je sais seulement que la substance en resta inchangée tout au long des années où, jeune intellectuelle, je menais une vie merveilleuse qui n'avait plus rien à voir avec la Russie. - Ce sentiment fut peu à peu transposé dans des activités et des études où j'étais encore plongée en 1897 quand Rainer Maria Rilke me rencontra. A travers les deux voyages en Russie que nous fîmes ensemble, nous ressentîmes une attirance croissante pour ce pays. Ce fut pour nous un événement extraordinaire : lié pour lui à l'émergence de son activité créatrice, car la Russie lui apporta les symboles dont il avait besoin, tandis qu'il continuait à apprendre le russe et à étudier le pays ; ce fut pour moi tout simplement l'ivresse de retrouver la réalité russe dans toute son ampleur ; autour de moi je découvris l'immensité de ce pays, la misère, la soumission et l'espérance de ces hommes ; cette réalité m'a tellement saisie que je n'ai jamais plus éprouvé d'impression aussi vive - sauf en quelques rares circonstance de ma vie privée [...]. »

Extrait de Ma vie, Lou Andreas-Salomé, éditions Puf, collection Perspectives critiques, 1977.

Cette série "immensité" présente, de façon tout à fait arbitraire, des extraits de livres lus récemment dans lesquels le mot immensité apparaît.

lundi 9 septembre 2019

la chasse aux souvenirs


Dans la nuit du samedi au dimanche de cette expédition creusoise que j'ai commencée à relater, je ne dors pas à la Villa Vallière évoquée dans le premier billet, mais dans une chambre d'hôte à Mavausdier, un autre hameau du coin qui fut un lieu important pendant mon adolescence, car mes oncles y possédaient une grande maison. (Je vous passe l'explication du pourquoi et comment j'ai réveillé toute la maison d'hôte en rentrant à trois heures du matin, j'en ris encore...)


Le dimanche matin, donc, je suis à quelques centaines de mètres de cette maison familiale, une grosse bâtisse avec un étang en contrebas où, mes cousins et moi, enfants, avons nager et pêcher des heures. Pour la rejoindre, il faut d'abord marcher un peu sur la route goudronnée, puis prendre un chemin de terre qui s'en éloigne et plonge dans les arbres. Sur la route, c'est la même impression - incroyable - de paysage inchangé. J'espère, m'approchant de la maison, y revoir une de mes tantes que j'imagine encore en villégiature ici. Mais je trouve tous les bâtiments silencieux, portes fermées et nombre de volets clos, et je les délaisse pour descendre vers l'étang. Il me paraît légèrement plus petit que dans mon souvenir, peut-être le niveau de l'eau qui serait plus bas ?
Ici, en revanche le paysage est chamboulé : des transformations dont je ne connais pas la nature, mais dont le résultat est un déboisement qui, contre toute attente, rend l'environnement plus harmonieux et souligne la verticale de quelques bouleaux. Je prends une ou deux photos de l'endroit, guettant un signe de vie dans la maison au loin, puis finalement rebroussant chemin.


Dans la matinée, lorsque je descend sur la route qui mène d'Epagnat à Vallière, je découvre que c'est jour de chasse. J'apprendrai plus tard qu'il s'agit de la battue au sanglier, mais pour l'heure le spectacle m'amuse intérieurement. Des chasseurs, postés en bord de champ, leurs voitures garées à quelques mètres, fusil dans une main, smartphone dans l'autre (est-ce que le gibier est géolocalisé ?); tous ont un élément de leur garde-robe orange fluo, ils doivent en avoir marre de se faire canarder par leurs collègues de chasse. Le plus amusant est celui que je vois, en gilet fluo à surimpression de motifs de branches (Que l'on m'explique le concept du camouflage fluo !!...), son arme prête à être utilisée, à trois mètres d'un troupeau de vaches qui le fixent intensément.


Plus tard encore, à la gare routière, quand la pluie enfin annoncée s'abat, je souris en espérant qu'elle aura fait rentrer chez eux tous ces as de la battue. En chemin, par la fenêtre du bus, je prends en photo le clocher de Saint-Vaury que j'avais repéré à l'aller. Arrivé à Paris, je lirais qu'il est l'oeuvre des frères Perret et coiffé d'un coq signé Pompon. C'est sûr, ce n'est pas Viollet-le-Duc.

jeudi 5 septembre 2019

s'unir


Toujours ce samedi, le mariage a lieu l'après-midi dans la mairie du village, dont la petite salle ne contient pas tous les jeunes gens - frères, soeurs, cousins, cousines ou amis - réunis autour du couple à unir, nombre d'eux accompagnés d'enfants cavalant ou de bambins en poussette. 

Tout le monde est sur son trente-et-un, sauf moi qui n'ai pas eu le temps de me changer pour des raisons ennuyeuses à raconter ici. Je ne sais pas d'ailleurs si quelqu'un le remarque, me sentant parfaitement transparent dans cette assemblée. Pour moi, ce qui est marquant est plutôt que je suis le seul célibataire de mon âge. Certains le sont, trop jeunes pour être en couple, ou d'autres, si vieux que leur partenaire est décédé. Je suis dans l'entre-deux.

Tout est sympathique : le mariage est célébré par mon frère, ceint de l'étole bleu-blanc-rouge, qui marie donc son fils ; les festivités ont lieu dans sa jolie petite maison paysanne, qui possède un four à pain où cuit la viande et les légumes du dîner, tandis que le reste des plats est réalisé par un autre de mes neveux, qui a ouvert récemment un restaurant non loin. C'est pensé pour que l'on se régale, mais ce n'est pas guindé, bien au contraire.

De mon côté je continue à vivre cet entre-deux, là et pas là. Je retrouve, après ces presque vingt ans, des membres de la famille comme si je les avais quittés la veille, surpris de les reconnaître et qu'ils me reconnaissent. Le plus troublant est la fille d'une de mes cousines qui lui ressemble tant que je ne sais plus, quand je la regarde, dans quelle époque j'évolue. Finalement les moments où je suis le plus présent sont ceux où je discute avec les personnes que je connais le moins.
Au cours du dîner d'ailleurs, l'un des convives, habitant de la région, me fait des confidences imprévues sur son passé d'héroïnomane et sur la mort de son frère, décédé du sida il y a une trentaine d'années. Il évoque à cette occasion un documentaire sur l'AZT que je ne connais pas et que je me promets de regarder.


déclin et trésor


Dans ce village de Creuse, à Vallières, à l'époque de mon enfance et à celle de mon adolescence, il y avait quantité de commerces. Les plus nombreux étaient les bistrots, bien entendu, mais les autres existaient aussi en plusieurs exemplaires : deux boucheries, deux boulangeries, plusieurs épiceries etc. On avait donc un certain choix (acheter cela à la "boulangerie du haut" et cela à la "boulangerie du bas"), et l'été, ou plus généralement lors des vacances, au moins l'un d'eux restait ouvert pendant le congé des autres.

Rien de tel aujourd'hui. Le samedi matin, je traverse le village désert en remontant la rue principale, qui mène au champ de foire, au dessus duquel se tient le cimetière, but de ma balade. Le caveau où reposent, entre autres, les os de mon père se situe dans la partie neuve, qui était à peine investie il y a dix-neuf ans. Evidemment depuis les tombes se sont multipliées. Je prends en photo celles qui concernent ma famille, il y en a deux, puis aussi une autre sépulture qui est décorée de drôles de plaques. Sur l'une d'elle, qui affiche "à mon époux", on voit un panier de cèpes ; sur une autre, c'est un troupeau de vaches qui illustre "à notre arrière-grand-père".

Les époques se superposent bizarrement. En effet, mes dernières venues dans la région avaient été pour rendre visite à mon père qui vivait là son ultime année, le cerveau constellé de métastases. Le but de mon voyage de ce week-end, outre les festivités du mariage, est aussi de rendre visite à l'une de mes cousines que le cancer atteint durement.
On passe une heure ensemble à discuter, puis je la laisse quand la fatigue la gagne. Elle m'appelle d'un ancien surnom que j'avais dans mon enfance et que plus personne n'utilise. On évoque des souvenirs bien sûr, mais aussi ce qui fait son bonheur actuel, par exemple ses petits-enfants. Alors que la maladie l'a diminuée physiquement, l'a immobilisée, il y a une partie inaltérable d'elle qui résiste, brillante et limpide, un diamant tombé dans la boue. En parlant de ses cheveux gris, elle dit plusieurs fois le mot "argent", en insistant, comme s'il fallait de toute chose trouver la richesse. Comme dans l'expression "mon adoré", qu'elle a subitement à mon sujet, et dont l'or me saute au yeux.

mardi 3 septembre 2019

remonter le temps...


Vendredi dernier j'ai pris le train à la gare d'Austerlitz, direction Aubusson. Il s'agit de rejoindre la Creuse où l'un de mes neveux, l'aîné, se marie. Je n'y ai pas mis les pieds depuis l'enterrement de mon père, en octobre 2000. Depuis dix-neuf années donc. Et il y a pas mal de membres de ma famille que je n'ai pas vu depuis la même date.

En réalité plus aucun train n'atteint cette ville. Le trajet s'effectue en train jusque la gare de La Souterraine, puis en bus pour la suite du chemin. Il fait très beau ce jour et depuis la fenêtre du wagon je goûte les paysages campagnards. Je me surprends à penser, vers Argenton-sur-Creuse, devant la beauté de la nature : ça donne envie de planter son chevalet dans un champ. J'ignorais que mon âme de peintre était encore si vivante, et que ces quelques kilomètres seraient susceptibles de la réveiller. 


Le trajet en bus est plus long que dans mon souvenir. Une heure et demie. Les villes et les lieux dits ont des noms poétiques qui mêlent la topologie, le labeur, mais aussi la religion ou la superstition : le puy au trois cornes, le verger de sainte Feyre, les fourneaux...
A Aubusson, arrivé à la gare routière qui fait face au musée de la Tapisserie, j'attends un moment que l'on vienne me prendre en voiture pour rejoindre Epagnat, un hameau à une quinzaine de kilomètres, où auront lieu les festivités.

Je suis dans un drôle d'état. Je fixe les paysages et les routes pour voir si je reconnais ce qui m'a été si familier pendant des années. En réalité, dans cette région, ça a peu changé pendant ces presque vingt ans d'absence. On dirait que rien n'a été construit, que les bosquets d'arbres sont aux mêmes endroits qu'auparavant.


La nuit, je dors à Vallières, un village plus important, quelque 4 kilomètres plus loin, où mes grands-parents avaient une maison de leur vivant, et où mon arrière-grand-père fut boucher, après avoir été maçon. J'ai une chambre ce soir-là dans l'ancien institut catholique pour jeunes filles, que l'on nommait alors le couvent, une vieille bâtisse aménagée pour le tourisme. C'est assez amusant. Je crois que je n'étais jamais rentré dans l'enceinte, bien que mon frère et l'une de mes cousines, de notre génération, me prétendront le contraire.

Le lendemain, en me promenant dans le bourg, je découvre l'étendue du désastre de l'exode rural. Quasiment tout est resté à l'identique ici, comme si le temps avait été suspendu, mais tous les commerces ou presque ont disparu. Il n'y a même plus un hôtel ou une terrasse de restaurant pour accueillir les touristes de passage. La ville est comme congelée, sous un soleil écrasant.


mardi 6 août 2019

cartes postales de Suisse


Le premier août, c'est la fête nationale suisse. C'est l'endroit idéal pour profiter du beau temps et admirer des feux d'artifice, si, comme moi, on est amateur du genre. Il y a quelques années j'avais vu celui de Bâle, qui n'est pas extraordinaire mais amusant, car il est tiré de chaque côté d'un pont sur le Rhin, dans la ville, symétriquement depuis deux barges. J'y suis retourné cette fois encore. Les quais se remplissent de monde, l'ambiance est très suisse, comprendre pique-nique bon enfant avec drapeau rouge et blanc.

L'Hôtel de ville, sur la place du marché, un bâtiment très coloré du XVIe siècle.
Les bords de Rhin avec les badauds installés des heures avant le feu d'artifice.
Quelques jours plus tard, une escapade à Flims, proche de Laax. La région est très belle, avec plusieurs lacs et une promenade qui surplombe ce qui est appelé ici le Grand canyon suisse, une gorge profonde dans la vallée du Rhin Antérieur. On peut se balader aussi dans les montagnes bien sûr, semblable à des cartes postales. On n'est pas loin du pays de Heidi.


Le lac de Cauma

La gorge de la Ruinaulta, ave le Rhin encaissé au fond.

Le village de Flims.

Flims : la Maison jaune (pourtant blanche) est un lieu culturel.



dimanche 28 juillet 2019

immensité 2

"Tiguemounine, le 18 mars.
Bonsoir Danielle, ma Minouche! 
Quitte vite ce regard sévère et dépouille-toi de ta carcasse, je suis près de toi et je te veux dans mes bras. Qu'il est doux de pouvoir te dire ces choses au creux de l'oreille, même par une lettre. Qu'il est chaud, ton corps à serrer. Ah! je suis fou et j'arrête, me retiens, tu sais seulement que je garde ta main dans la mienne pour te parler. 
Dans ce poste, étroit et vieux, on vit de guerre, encore, entassés entre les armes, les livres de détente (Socrate !) et les popotes, la radio militaire. Le temps fuit. Tu es immense et j'ai le bonheur de te connaître. Et ton immensité chaque jour se révèle. J'ouvre tout grand mes yeux, j'ai un peu honte d'être garçon. Et puis tu continues à parler et je sais que je fais partie de toi, et tu sais aussi... Oui, j'ai souri un peu, lorsque tu me parles de toi, et plus particulièrement de tes gênes. Mais surtout j'ai fermé les yeux et ensuite il me faut serrer les dents pour ne pas me laisser aller. Car tu me manques, toute entière, tu le sais. C'est simple aussi, ça.
Les cerisiers, les amandiers et les buissons d'épines sont en fleurs, jolies fleurs blanches toutes simples, j'ai pensé à toi; Bon ! Je voulais te raconter un tas de choses et voilà le convoi qui monte, la piste qui fume sous les roues des camions. Il me faut vite finir, sans quoi.... quatre jours d'attente encore. "

Extrait de La Blessure, de Jean-Baptiste Naudet, éditions l'Iconoclaste.

Le roman est ponctué des lettres, authentiques, de Danielle et de Robert, elle en France, lui jeune appelé en Algérie en 1960. On y parle, entre autres choses, de guerre, d'absurde, d'amour et de transmission transgénérationnelle...


Cette série "immensité" présente, de façon tout à fait arbitraire, des extraits de livres lus récemment dans lesquels le mot immensité apparaît.

samedi 27 juillet 2019

comme ma mère ?

Alors que j'imaginais, dans les deux derniers billets publiés ici et , que ma mère allait inexorablement s'éloigner de nous (rejoindre le règne animal et s'exiler dans un lointain inaccessible), il n'en est rien. Elle s'est en quelque sorte stabilisée dans cette lente dégringolade, comme si son vaisseau spatial, pour reprendre l'image du billet du 9 avril, avait trouvé l'orbite où se tenir.

Ce n'est pas dire non plus qu'elle ne se métamorphose plus, le processus de transformation paraît simplement plus lent. Par exemple, en tout cas en ma présence, elle chantonne moins. Elle continue à sourire beaucoup, et à faire de longues déclarations d'amour à qui elle veut, et de sombres critiques aux autres, toutes choses qui sont ses modes d'interaction habituels maintenant.

L'autre soir, je la trouve attablée à côté d'une femme en fauteuil roulant, que j'avais déjà vue à sa table et qui m'avait déjà questionné sur le mode "Vous êtes son fils ? Vous avez des frères et soeurs ?" etc.

Ce soir-là, alors que je m'assoie à côté de ma mère, cette vieille dame me demande à nouveau :
- Vous êtes son fils ?
- Oui oui.
Puis elle continue, faisant un mouvement de tête vers ma mère :
- Ça fait longtemps qu'elle est comme ça, qu'elle a perdu la tête ?
Evidemment je suis un peu gêné, je la regarde en souriant, je regarde aussi ma mère qui, si je ne sais pas si elle a vraiment entendu cette phrase, a en revanche conscience que cette dame me parle, ce qui l'agace un peu, je crois, comme si toute interaction avec une autre personne qu'elle était du temps qu'on volait à notre tête-à-tête.
La vieille dame insiste :
- Vous l'avez toujours connue comme ça ?
Je réponds un peu évasivement "Non, ça fait trois quatre ans qu'elle est comme ça ", tout en continuant à leur sourire à toutes les deux comme si l'on parlait de la pluie et du beau temps.
-"Ah, c'est une épreuve, c'est une épreuve", répète la petite vieille qui tente de croiser mon regard pour que je confirme, alors que je me tourne vers ma mère pour faire diversion. Mais devant son insistance - "Quelle épreuve, n'est-ce pas !" -, je suis obligé d'ajouter :
-"Vous savez c'est indélicat de parler d'une personne devant elle comme si elle n'était pas là, c'est une question de respect..."
-"Mais je la respecte beaucoup votre maman, je suis très gentille avec elle. Même si elle, elle me dit que je ne suis pas belle..."
-"Ah bon, elle vous dit ça, que vous n'êtes pas belle ?" L'anecdote me réjouit. Je reconnais bien ma mère dans ce trait-là. Je la crois même capable de dire ça avec un grand sourire.
-"Oui. Je le sais bien que je ne suis pas belle, mais tout de même..."

L'échange se poursuit un instant. La vieille dame ne semble pas du tout sensible à mes précautions vis à vis de ma mère, et va même jusqu'à dire à un moment : "Mais de toute façon elle ne comprend pas..."
-"Ecoutez, excusez moi, je ne veux pas vous paraître désagréable mais j'insiste. Si ce n'est pas une question de respect, disons que c'est une question d'humilité alors, parce que justement on ne sait rien de cela, personne n'est dans la tête de maman...."
Finalement la vieille dame grimace et conclut :
-"Ben vous êtes comme elle, vous n'est pas très agréable..."

Cette conclusion me laisse un peu rêveur. Je m'aperçois que si j'ai beaucoup étudié les processus d'identification et de contre-identification avec mon père, j'en ai peut-être sous-estimés certains avec ma mère...

lundi 22 juillet 2019

Jérusalem, fin

Le même chauffeur qui, à Jéricho, nous emmenait au bord de la mer alors que nous souhaitions aller à Qumran, était tout heureux de nous montrer, au loin : "Là-bas c'est la Jordanie. Là c'est la route de l'aéroport." Mon inculture m'empêchait de comprendre l'information.
Ce n'est plus tard que j'ai appris (quand je pense qu'on nous raconte toujours que le conflit israélo-palestinien s'importe chez nous) que les Palestiniens n'ont pas d'aéroport, mais que surtout ils ne peuvent pas aller à Ben Gourion, celui de Tel Aviv. Quel enfermement !
J'aurai dû m'en douter, mais ce genre de choses ne nous vient tellement pas à l'esprit, nous autres habitués à la liberté. Bref. Pour terminer ce petit voyage, quelques dernières images de Jérusalem...

Le tombeau d'Absalon, dans la vallée du Cédron,
proche du monts des Oliviers. Un peu plus loin
sur la gauche, on trouve une autre tombe creusée
dans la roche, celle de Bnei Hézir.

Devant le mur des lamentations. J'ai cru
que ces enfants qui dansent étaient déguisés
en Roi David. Plus probablement ils portent
la couronne de la Torah (on  n'est pas loin
de Chavouot), mais je n'en suis pas sûr...

A côté du tombeau du Roi David,
qui se visite avec un côté homme et un côté femme, on peut se faire photographier
dans le costume de son héros biblique préféré.

C'est un lieu architectural un peu étrange
qui accueille le tombeau du Roi David, mais également le lieu
où aurait eu lieu la Cène.


Le Cénacle, où aurait eu lieu
le dernier repas du Christ...


La Citadelle de David, à l'ouest de la vieille ville.

Une des traces du passage de Soliman le magnifique,
qui fortifia les murs de la Citadelle.