mercredi 27 février 2019

Daniel Defert et Freddie Mercury (ça ne nous rajeunit pas...)

L'affaire de la Ligue du LOL... Quel drôle de truc. 

En début d'année mon anniversaire a marqué une fois de plus mon avancement dans la vieillesse, et cette fois je l'ai ressenti un peu plus durement, cherchant, ce jour-là précisément, à acheter des objets pour moi usuels, mais dont on m'indiquait en magasin que leur fabrication avait cessé il y a des années déjà, ou encore que ces normes-là d'appareillage n'étaient plus en vigueur depuis des lustres. Sentiment pénible d'être un mort-vivant en goguette.



Les révélations sur cette bande de trentenaires tweetants m'ont dérouté. J'aurais voulu les défendre sur le mode "Quand on est jeune, on est con", mais l'argument a ses limites.
Plus douloureusement je me suis rendu compte que la condamnation de cette ligue flattait chez moi une horrible inclinaison, la détestation clandestine et honteuse d'une certaine jeunesse connectée, ces personnes dans lesquelles on se bute sur les trottoirs ou en haut des escalators car, le nez collé à leur smartphone, elles se sont brusquement arrêtées sans se préoccuper un instant du reste du monde, zone indistincte gravitant autour de leur nombril (de leur mobile).
Ou constamment en train de communiquer sur rien, comme ce jeune homme (barbu) et cette jeune femme (à accessoires Miu Miu) que j'avais vus arriver au Cirque d'hiver pour un récital de Depardieu et qui, à peine installés sur leurs sièges, publiaient chacun sur les réseaux sociaux des selfies à répétition sur le mode "J'y étais". Bref.
M'intéressant un peu plus finement à cette affaire tout de même, où ce qui se révèle est finalement une clique de connards cherchant à préserver leur pré carré et à conforter leur domination sur un territoire médiatique, je découvre la plateforme de podcasts Nouvelles écoutes sur laquelle intervenait l'un des abrutis en question. Et, sur celle-ci, les publications réunis sous le titre Vieille Branche.
Vous voyez la transition : les jeunes cons, les vieilles branches. 
Voilà une agréable modernité ! Pour le plaisir, ici le lien qui vous permettra d'écouter entre autres une émission consacrée à Daniel Defert, dont j'ai parlé déjà ici à plusieurs reprises, et notamment ici.

Et comme je ne suis avare ni de mes répugnances ni de mes découvertes, si par hasard, comme moi, vous avez détesté le film Bohemian Rhapsody (Pourquoi raconter n'importe quoi quand on peut dire la vérité ?), il existe en ligne un documentaire simple et touchant sur Freddie Mercury, The Great Pretender.

jeudi 14 février 2019

immensité 1

"Nous avons retraversé la ville, en un éclair ma chaîne est passée de la main familière du bourreau à une nouvelle main, j'ai vu transiter quelques billets accompagnés d'une accolade et d'un bon courage peut-être ironique, on m'a tendu des biscuits et un seau d'eau, on m'a rapidement inspecté, soulevé une fois encore la lèvre supérieure à l'aide d'une longue tige de métal, fait lever les pattes et rouler sur le dos, puis on m'a déclaré apte, j'allais marcher sur l'eau, laisser la terre derrière moi, acculé par une nouvelle décision arbitraire des hommes, une nouvelle impulsion de cette force qui semble me conduire au hasard dans l'immensité du monde.
Redressé sur mes pattes arrière pour emprunter la passerelle qui mène au bateau, je marche d'un pas arrogant, le moins bestial possible, de mon pas de plantigrade énigmatique. Le matelot chargé de mon embarquement donne du lest à ma chaîne, je pose mon pied sur le pont et soudain je vacille, me ventouse instantanément au bois, surpris par une drôle de sensation qui s'épanche comme un liquide salé, le tangage, les particules iodées, la houle paresseuse, vertige, léger haut-le-coeur et sentiment étrange de liberté, mes naseaux se dilatent, ma vie va changer, j'en suis sûr, je marque un temps d'arrêt, inspire, puis la voix du matelot accompagné d'un léger coup de bâton m'intime d'emprunter l'échelle qui se trouve à mes pieds, je m'exécute, je descends maintenant dans l'imposante cale sombre où est entreposée la cargaison dont je fais désormais partie - je suis une marchandise."

Extrait de La Peau de l'ours, de Joy Sorman, Gallimard (2014).

vendredi 8 février 2019

mes bien chers frères

Si je n'ai pas grand chose à dire, j'ai en revanche beaucoup à lire. Les livres s'empilent chez moi dessus mais aussi dessous les meubles, et en ce moment où j'ai besoin de réaliser régulièrement de petits exercices musculaires, ce sont aussi les bouquins, de gros pavés cette fois, qui servent de matériel sportif.

Par un faux hasard j'ai lu presque coup sur coup trois ouvrages qui évoquent la figure du frère, tous trois sur le mode de l'histoire "vraie". 

Celui d'Élisabeth de Fontenay que je citais précédemment, celui d'Olivia de Lamberterie autour d'un suicide, et celui, plus ancien, de Marc Lambron, situé dans les "années sida", et qui en porte la marque, pour ne pas dire la morsure. J'ai offert ce dernier (délicat, sensible, bien écrit) à mon propre frère, le mois dernier : j'ignore s'il le lira ou s'il ne l'a pas déjà oublié sur la banquette d'un taxi.
Ce qui m'a frappé dans les deux derniers livres, c'est la façon dont les frères m'apparaissaient comme des personnages antipathiques, alors que les auteurs, de leur côté, déploient toutes les facettes de l'attachement, de l'amour, du lien qui les unissent. Mais moi, rien de m'a donné envie de connaître ni Alex (de Lamberterie) ni Philippe (Lambron), qui, de leur côté, ne m'auraient sûrement pas accordé le moindre regard. (Des lecteurs rapides pourraient penser que j'ai une dent antifrère, cette fameuse "frérocité"...)

Curieusement cela m'a un peu troublé. Je suis en général plus touché, plus intéressé par les "personnages réels" que par les personnages de fiction. 
Et le trouble s'est épaissi quand j'ai commencé à me laisser attendrir par le sort du héros imaginaire de La Peau de l'ours, de Joy Sorman, né de l'accouplement d'un ours et d'une jeune paysanne, qui, enfant, présente les caractéristiques physiques mêlées des deux espèces (un môme poilu et bedonnant) mais qui rapidement, à l'adolescence, ressemble à s'y méprendre à un ursidé classique.
On y retrouve, sans doute, des références à la très humaine animalité de ma mère, décrite aussi précédemment.

En tout cas ce dernier livre, La Peau de l'ours, sera le début d'une série - joyeusement très arbitraire - à laquelle je pense depuis longtemps sans avoir eu le ressort de la commencer. Une série d'extraits de textes comportant le mot "immensité".
On ne se refait pas...

Tu n'as pas tellement changé, de Marc Lambron, est édité chez Grasset (2013) ; Avec toutes mes sympathies, d'Olivia de Lamberterie est édité chez Stock.