C'est la fin d'une petite trêve d'insouciance créée par l'absence de ma mère à Paris. Quatre semaines de vacances pour elle dans le centre de la France, où elle a mis à rude épreuve les nerfs des personnes de la famille qui l'avaient prise en charge. Je crois comprendre d'ailleurs que son retour est plutôt précipité - elle a fait une fugue une nuit, son état s'aggraverait, elle aurait de nouveaux symptômes - bref, il est temps qu'elle retourne chez elle.
Je ne sais dans quel état je vais la trouver demain soir, quand je passerai la voir en toute fin de soirée. Je ne suis pas très inquiet, j'ai la conviction que l'éloigner de son cadre habituel, comme cela a été fait cet été, contribue à la rendre encore plus folle, et j'espère qu'en quelques jours chez elle, elle retrouvera son calme, ses repères, les objets du quotidien qu'elle commente chaque jour de la même façon, ses plantes, ses photos, ses rituels, sa télévision, etc.
Je pense aussi que beaucoup de personnes bien intentionnées sous-estiment l'énergie que cela demande à ma mère de lutter contre son fond dépressif, sa lassitude chronique, pour faire bonne figure en société, ce qu'elle réussit par ailleurs à merveille. Alors qu'elle aimerait bien juste tout laisser tomber, et qu'on cesse de l'emmerder.
La dernière fois que je l'ai vue, nous avons vécus ensemble cette scènette amusante dans un sens, mais pathétique quand on songe au degré de renoncement où l'accablement d'être en vie peut la conduire.
En sortant de l'ascenseur sur son palier, j'entendais déjà le son de sa télévision qui devait hurler dans son appartement. J'arrive chez elle, elle est là dans l'obscurité comme souvent, l'air fatigué, se tenant dans l'espace qui distribue sa chambre, la cuisine et le salon. Elle est appuyée au mur.
-"C'est fort la télévision ce soir", lui dis-je en grimaçant.
-"Ah mais ce n'est pas moi, c'est eux!", réplique-t-elle en montrant le salon où se tient la télévision, apparemment vexée qu'on puisse l'imaginer complice de ce vacarme. Sans doute une légère surprise dut se lire sur mon visage, qu'elle prit pour de la suspicion. Elle insiste :
-" Je t'assure, moi je ne m'en occupais même pas, j'étais là." Elle désigne sa chambre à coucher cette fois.
-"Mais tu sais qu'avec la télécommande tu peux baisser le son, n'est-ce pas?"
Et c'est là que venant des profondeurs d'elle-même, un ton de supplique habille son abattement.
-"Oh, dis leur, toi! " Pointant du menton le salon, secouant la tête pour signifier : c'est au-dessus de mes forces."Moi je n'ai pas envie d'aller les voir pour ça."