vendredi 21 février 2020

confusions

"Lapsus scriptae", avertissait Sda en pointant la légende d'une photo concernant mon père (que j'avais nommé comme étant mon frère) et que j'ai corrigée depuis.

Et si je me suis amusé à une vraie fausse méprise dans la légende du billet publié juste après, concernant l'opération Pièces jaunes, c'est un nouveau lapsus calami que m'indique Y. dans le billet du 16 février consacré à ma mère.

J'ai écrit "Je m'emmène dans sa chambre", au lieu de, évidemment, "Je l'emmène dans sa chambre".
Si le lapsus indiqué par mon ami C ne m'a pas étonné (j'étais saisi par la ressemblance entre mon frère et mon père au moment où j'écrivais la légende de l'image), cette autre erreur m'a intrigué différemment, au point que je ne sais pas encore si je vais la rectifier.

Je me suis donc interrogé ainsi : qui ou quoi de moi est emmené dans la chambre quand je monte, bras-dessus bras-dessous avec ma mère ? Et si c'est bien quelque chose de moi qui est emmené, est-ce quelque chose que je porte moi ou bien qu'elle porterait elle ?

C'est difficile de l'avouer, mais j'ai peur de finir comme elle. Et tous les points de ressemblance que je constate entre elle et moi, aussi minimes et aberrants soient-ils (une mini touffe de poils blancs qui apparait sur son sourcil droit quand elle apparait sur mon sourcil gauche, en miroir, donc), me semblent préparer une fatalité.
Cet été, une tante que je n'avais pas vue depuis des lustres m'a fait une remarque digne de l'extrait du bouquin de Chevillard (cité ici) : "Tu ressembles à ton père, mais quand tu souris on retrouve ta mère !..." 
Sa folie, sans doute, me hante, et m'emmène dans sa chambre.

Il n'y a pourtant pas que cela. Comme son discours principal et permanent consiste à dire comme elle m'aime, et qu'elle pense à moi toujours, et qu'elle ne peut vivre sans moi (et bien que ces messages soient circonstanciels et puissent s'adresser parfois à un objet ou à une poupée posée à côté d'elle), j'ai imaginé qu'il était une rémanence de notre toute petite enfance, époque que je supposais être un temps où, avec les bébés que nous avions été ma soeur mon frère et moi, elle aurait eu la liberté d'exprimer sans filtre ces manifestations d'amour.

En tout cas, comme je ne peux qu'accepter ces phrases sans les mettre complètement à distance, ce que je ferais si elle n'était pas folle, j'ai l'impression de contacter une forme de passivité du nourrisson, paradoxe plus que troublant quand on voit qu'elle n'est plus capable de rien faire seule et qu'on doit précisément s'occuper d'elle comme d'un enfant. Encore des figures en miroir.

Une forme de tendresse impatiente, rieuse et agacée, sensible à la dimension transitoire de notre état (c'est bien ainsi, mon état à l'occasion du sien), chantonnant et arrondissant les angles, voilà cette espèce de tout-petit qui m'habite et que je trimballe avec moi... et que je m'emmène dans sa chambre.

dimanche 16 février 2020

tu es formadible

Ma mère ne dit plus que des choses folles. Elle parle beaucoup, elle interagit, elle dit aussi deux ou trois choses qui ont du sens, c'est selon. Souvent quand elle parle, elle pointe du doigt des objets ou bien des zones de la pièce où l'on se trouve et qui ont un rôle dans l'histoire qu'elle raconte. Quelquefois elle inverse les syllabes, parfois seulement les voyelles ("Tu es formadible!"), prend souvent un mot pour un autre, invente aussi du vocabulaire.

Quand je la rejoins le soir, on discute un petit moment dans la salle à manger de la maison de retraite au rez-de-chaussée, puis je m'emmène dans sa chambre au premier étage.
Là, je lui fais se laver les dents, je la déshabille, change sa protection et la nettoie, puis la met en chemise de nuit. Ensuite je m'occupe de ses pieds, de ses ongles de mains. C'est un autre moment, très joyeux, où elle peut dérouler encore ses récits étranges, décousus, quelle ponctue de mimiques et de rires.

Un exemple, enregistré le 2 février. Nous sommes dans sa chambre, dans deux fauteuils cote à cote.

Elle prend mes mains et les embrasse
Moi :  Tu me fais encore plein de petits baisers là, c'est gentil.
Elle : Tu crois ?
Moi : Ben oui, je crois !
Elle rigole
Elle : Oui, c'est vrai. Mais moi près de toi, je ne pourrais jamais. Je ne le ferai jamais pour ne pas l'avoir, non. Je veux toujours à toi. Je veux toujours envie de te voir. Oui, toujours.
En parlant elle se frotte perpétuellement les genoux avec les mains. 
Moi : Qu'est-ce qui fait que maintenant tu te touches toujours les genoux, comme ça ?
Elle : Ben je crois qu'il n'y en avait plus qu'un prenait n'acheter pour des femmes plus grandes et puis après ils en ont marre, et puis ils vont tout en haut pour aller plus haut (elle montre le plafond) pour aller s'amuser.
Moi : D'accord. Et qui est-ce qui fait ça ?
Elle: Hum ??
Moi : Qui est-ce qui va là-haut pour s'amuser ?
Elle : Eh bien elle, c'est Mireille ! (Elle rit)
Moi, riant également : C'est Mireille, c'est toi !
On rigole ensemble
Elle : Ah oui, ça ! (Elle fait une mimique qui semble dire "celle-là, elle exagère!")
Moi : Tu as l'air de trouver qu'elle exagère. Tu trouves que ce n'est pas bien de s'amuser ?
Elle : Si ! Mais honnêtement je préfère toi. (Elle rit encore beaucoup, bruyamment. Puis m'embrasse à nouveau les mains.)
Elle s'arrête de parler. Pour relancer la conversation, je lui montre le mur où sont fixées plein de photos de famille.
Moi : Y'a une photo, regarde, qui s'est décollée et qui est tombée. (C'est une photo de l'un de ses petits-enfants.)
Elle : Oui je le connais comme il y a tellement longtemps. Mais il était petit, il n'y allait pas souvent, ça n'a pas duré longtemps je pense.
Moi : C'est lequel des enfants ?
Elle : Des petits, simplement comme ça (elle pointe ma montre), pour aller chez leurs parents. Ah ce n'est pas pour les voler, non, c'est ceux qui sont devers là-dedans, mais est-ce qu'ils vont m'avoir ou est-ce qu'ils vont s'amuser le soir, je ne sais pas où, moi. C'est pour ça qu'à la suite des autres, eh bien j'ai préféré rester à côté d'eux, et, au moins, je pensais que je pourrais rentrer encore à côté de celle de Vincent, si Vincent, pas Vissent mais celui de peut-être qu'il aimerait, p'tête pas, il préfère voir Mireille mais moi je préfère être à la gare, mais moi je préfère y aller dès que je rentre à la maison. C'est là que je veux aller là-bas. 
Moi : Où ça ? A la maison ou à la gare, j'ai pas compris...
Elle : Oui ! Ben oui. Parce qu'il y avait le papier ambe, avec une sorte de... pas de clavé, mais petit comme ça qui montait encore, des eaux, des noix, des trucs, n'importe comment ! En bas, ça va jusqu'au bout et tout ça c'est pour des femmes !! (A nouveau une mine qui semble désapprouver ce truc pour des femmes.)
Moi, rigolant : Tu fais une mimique comme si c'était vraiment... abusé 
Elle, riant aussi : Ben oui ! Mais moi j'ai cru que c'était une blague, mais non ! Hé! Et puis fait ça déjà (elle se frotte les mains) pour aller s'amuser. Et il met ça dedans.
Moi : Mais qui c'est qui fait ça ? Je ne comprends plus. Qui c'est qui fait ça en se frottant les mains ?
Elle : Eh bien très long, aussi vite que toi. Mais je ne sais pas si ça va durer longtemps.
Moi : D'accord...
Elle : Samedi avec ça, avec des babé de j'sais pas qui, j'sais pas quoi. Mais c'est pas garde. Non c'est pas garde, c'est amusant, je veux dire. Je préfère ça pour les gamins, et puis moi ça ne me gêne pas du tout, de temps en temps si on veut y rentrer, à la maison, pourquoi pas.
Moi : Donc tout va bien finalement...?
Elle : Oui. Mais moi je pourrais aussi t'en donner.
moi : Tu pourrais m'en donner ?
Elle : Ben oui je les ai achetés là, les dernières
Moi : Qu'est-ce que tu me donnerais ?
Elle : Se mettent qui se viennent maintenant. (Elle désigne quelque chose au loin, qui semble être l'affichage digital de l'horloge.)
Moi : C'est de quelle couleur, c'est comment ? Je ne vois pas ce que tu me montres
Elle : En rouge
Moi: En rouge là, c'est l'horloge qui donne la date. Dimanche 2 février...
Elle : Oui
Moi : ... 20h27. C'est ça les trucs rouges que tu pourrais me donner ?
Elle : Eh bien. (Elle hésite.) Un peu. Beaucoup. Je ne sais pas.
Moi : Un peu beaucoup... Tu te souviens de ce truc qu'on disait quand on était petits ? Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout...
Elle rit
Moi : Non, ça ne te dit rien ?
Elle, riant encore : ça alors ! Et pourtant je t'aime bien moi comme ça, ben oui, oui.