Quel chemin ai-je parcouru pour me trouver hier dans l'usine familiale dont Franz Kafka décrit les ouvrières il y a juste 100 ans, en février 1912 ?
(Alors que l'on pouvait m'imaginer le regard tourné ailleurs : vers l'Égypte et ses heurts ou bien vers notre cour de récré politique et ses babillages d'une infinie médiocrité. Ou vers un prochain projet de périple en Asie ?)
J'ai cité il y a quelques jours un ami qui venait de perdre sa mère. Alors qu'il me dépeignait l'attitude de son père se protégeant de la peine par sa propre rigidité, j'ai pensé immédiatement au fameux texte de Kafka, dont une mise en scène est en ce moment proposée au théâtre des Bouffes du Nord, cette missive jamais remise à son destinataire et qui tient bonne place dans la littérature sous le nom de Lettre au Père.
J'ai donc relu ce texte, dans la collection Petite bibliothèque, des éditions Ombres. Cette forme de réquisitoire contre son géniteur et contre lui-même, où surgissent des références à la vie de l'auteur, m'a donné le désir de replonger dans le Journal.
Autant la lecture de la Lettre est une forme d'épreuve pour moi, toute expression tournée vers l'échec et l'incommunicabilité, chaque sentiment pesant du plomb de la culpabilité et du sceau du jugement, autant le Journal donne à lire l'essence même de la littérature : tout y est événement, drôlerie, aveu, minutie, imaginaire, perspective, ambivalence, corps à corps avec soi-même et son théâtre... Chaque paragraphe est un régal – la description d'une actrice aimée à la peau poudrée, des notations sur la circoncision en Russie, l'écriture du Verdict, etc –, à chaque fois sur un mode différent, et tenter d'en restituer la saveur est une tâche impossible. Plus saisissantes encore sont les phrases isolées qui, comme un coup de sabre ou une zébrure de lame de rasoir, fendent les pages et laissent entr'apercevoir de nouveaux territoires kafkaïens.
"3 décembre 1911.
J'ai senti sur mon corps avant de m'endormir le poids de mes poings au bout de mes bras légers."
"7 janvier 1912.
Je dois poser nu en saint Sébastien pour le peintre Ascher. "
Ou encore,
"15 octobre 1913.
Ne pas oublier Kropotkine !"
Une note de l'éditeur indique que les Mémoires de Kropotkine étaient l'un des livres préférés de Kafka. Elles sont disponibles sur le Net, ici.
(Alors que l'on pouvait m'imaginer le regard tourné ailleurs : vers l'Égypte et ses heurts ou bien vers notre cour de récré politique et ses babillages d'une infinie médiocrité. Ou vers un prochain projet de périple en Asie ?)
J'ai cité il y a quelques jours un ami qui venait de perdre sa mère. Alors qu'il me dépeignait l'attitude de son père se protégeant de la peine par sa propre rigidité, j'ai pensé immédiatement au fameux texte de Kafka, dont une mise en scène est en ce moment proposée au théâtre des Bouffes du Nord, cette missive jamais remise à son destinataire et qui tient bonne place dans la littérature sous le nom de Lettre au Père.
Dessins de Franz Kafka. |
J'ai donc relu ce texte, dans la collection Petite bibliothèque, des éditions Ombres. Cette forme de réquisitoire contre son géniteur et contre lui-même, où surgissent des références à la vie de l'auteur, m'a donné le désir de replonger dans le Journal.
Autant la lecture de la Lettre est une forme d'épreuve pour moi, toute expression tournée vers l'échec et l'incommunicabilité, chaque sentiment pesant du plomb de la culpabilité et du sceau du jugement, autant le Journal donne à lire l'essence même de la littérature : tout y est événement, drôlerie, aveu, minutie, imaginaire, perspective, ambivalence, corps à corps avec soi-même et son théâtre... Chaque paragraphe est un régal – la description d'une actrice aimée à la peau poudrée, des notations sur la circoncision en Russie, l'écriture du Verdict, etc –, à chaque fois sur un mode différent, et tenter d'en restituer la saveur est une tâche impossible. Plus saisissantes encore sont les phrases isolées qui, comme un coup de sabre ou une zébrure de lame de rasoir, fendent les pages et laissent entr'apercevoir de nouveaux territoires kafkaïens.
"3 décembre 1911.
J'ai senti sur mon corps avant de m'endormir le poids de mes poings au bout de mes bras légers."
"7 janvier 1912.
Je dois poser nu en saint Sébastien pour le peintre Ascher. "
Ou encore,
"15 octobre 1913.
Ne pas oublier Kropotkine !"
Une note de l'éditeur indique que les Mémoires de Kropotkine étaient l'un des livres préférés de Kafka. Elles sont disponibles sur le Net, ici.
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