J'ai appris la nouvelle avec un mélange de plaisir et de stupéfaction mégalo-impériale : comment ! il se passe quelque chose qui m'intéresse sur cette planète et personne ne m'en a averti ?...
Donc je partage l'heureux événement avec les amateurs : il existe un documentaire sur Paul Goodman (1911-1972).
Certains d'entre mes lecteurs, ceux qui s'intéressent à la psychothérapie, connaissent une facette du personnage : Paul Goodman est l'un des rédacteurs du livre théorique de la Gestalt thérapie, ouvrage écrit à six mains et plusieurs cerveaux et, à ce titre, il faut bien l'avouer, difficile d'accès.
Mais si Frederick Perls avait "invité" Goodman à ce projet dans les années 40 (on dit qu'au départ il le paya 500 dollars pour remettre en forme ses notes) c'est qu'il connaissait la valeur du personnage, ses qualités d'écrivain, son regard critique et politique sur la société et sa capacité à imaginer des solutions. Le livre sortit en 1951, signé de trois auteurs, en deux tomes : un tome d'exercices à visée thérapeutique et un tome théorique.
Ce que le documentaire Paul Goodman Changed my Life remet en perspective, c'est l'extraordinaire stature qu'acquit Goodman au fil des ans et, plus inattendu, il montre cet homme multiple entravé dans ses propres limites.
L'anecdote, répétée à l'envi, qui donne la mesure de sa popularité, c'est sa citation dans Annie Hall, de Woody Allen. Dans une scène de flash back, Alvy (Woody Allen) se rend avec Robin (Janet Margolin) à une soirée, à New York, chez un particulier. Sur place, au milieu de la foule des invités, entre deux répliques, dans le fil de la conversation, Robin tend le cou, tente de reconnaître un personnage hors cadre, lâche : "Is it Paul Goodman ? No" et enchaîne la suite de son dialogue. Traduire : dans les années soixante Goodman était partout. "On ne pouvait pas l'éviter!" peut-on lire sur le ton de l'exaspération dans un article de magazine New Yorkais consacré au documentaire...
Avant d'énerver par sa sur-médiatisation, Paul Goodman pouvait énerver par son talent. Écrivain, magnifique poète (ce que donne à entendre le documentaire), Paul Goodman s'était très tôt posé la question de "comment vivre ensemble" et du développement de l'individu. Avec son frère Perceval, architecte, il avait écrit Communitas, regards croisés sur l'urbanisme, la communauté, la liberté. Son intérêt pour la psychothérapie fut marqué par la lecture de l'art et l'artiste, de Otto Rank, et c'est sans étonnement qu'on le retrouve en lien avec Susan Sontag ou le Living Theater.
Je ne sais si sa contribution au volume Gestalt Therapy : Excitement and Growth in the Human Personality favorisa aussi sa notoriété car le film raconte peu l'aspect thérapeute du personnage (voir, dans la partie 4/5 de la vidéo sur Dailymotion, quelques images de Frederick Perls en séance), mais pour l'avoir lu récemment dans un autre article dont malheureusement je ne trouve plus les références, l'ouvrage était dans toutes les bibliothèques de l'intelligensia. Aux yeux des médias et d'un public averti, Paul Goodman sortait de la catégorie des écrivains littéraires pour devenir un observateur critique de la société.
Sa surexposition résulta d'une triple mise en lumière : son homosexualité qu'il ne cachait pas alors qu'il était marié et père de famille, l'immense succès de son livre Growing up Absurd, et son engagement militant contre la guerre du Vietnam.
Growing up Absurd, sous-titré Problems of Youth in the Organized Society, parut en 1960 : c'était une réflexion sur la scolarité, l'enseignement, la place faite aux jeunes gens dans la société et comment celle-ci œuvre à l'inverse de l'épanouissement des jeunes. Là encore, le livre était partout, "on ne pouvait pas entrer dans un collège sans tomber sur ce livre" raconte en substance l'un des protagonistes du documentaire.
Petit bémol qui ne sautait pas forcément aux yeux de la société des années soixante : le livre est plutôt "macho centré", pour ne pas dire vaguement misogyne... Il s'agit bien ici de l'éducation des jeunes hommes, les jeunes femmes sont remisées à la maison... Il ne devait pas être facile d'être la fille ou la femme de Paul Goodman et là aussi les images filmées sont parlantes.
Au final, le portrait est terriblement humain. Anti-conformiste, ambivalent, Paul Goodman l'était à plus d'un titre, partagé entre l'utopie et le pragmatisme. À briser toutes les frontières, Goodman est toujours le bad guy de quelqu'un, et de lui-même aussi. "A professional outsider" ajoute Susan Sontag avec tendresse. On le sent pétri d'exigences multiples que ses immenses talents n'arrivent pas à étancher. Sa main sans cesse se referme sur du vide. Et celui qui cherchait à tout prix comment mieux vivre avec l'autre rencontre toujours, en fin de compte, la solitude. Qu'il soit au sommet de sa gloire, ou qu'il en dévisse. Comme le fit en 1967 son fils Matthew, mort dans un accident d'alpinisme. On dit que Paul Goodman en mourut aussi un peu, avant de s'éteindre tout à fait cinq ans plus tard.
Donc je partage l'heureux événement avec les amateurs : il existe un documentaire sur Paul Goodman (1911-1972).
Certains d'entre mes lecteurs, ceux qui s'intéressent à la psychothérapie, connaissent une facette du personnage : Paul Goodman est l'un des rédacteurs du livre théorique de la Gestalt thérapie, ouvrage écrit à six mains et plusieurs cerveaux et, à ce titre, il faut bien l'avouer, difficile d'accès.
Mais si Frederick Perls avait "invité" Goodman à ce projet dans les années 40 (on dit qu'au départ il le paya 500 dollars pour remettre en forme ses notes) c'est qu'il connaissait la valeur du personnage, ses qualités d'écrivain, son regard critique et politique sur la société et sa capacité à imaginer des solutions. Le livre sortit en 1951, signé de trois auteurs, en deux tomes : un tome d'exercices à visée thérapeutique et un tome théorique.
Ce que le documentaire Paul Goodman Changed my Life remet en perspective, c'est l'extraordinaire stature qu'acquit Goodman au fil des ans et, plus inattendu, il montre cet homme multiple entravé dans ses propres limites.
"Est-ce que c'est Paul Goodman ?" |
L'anecdote, répétée à l'envi, qui donne la mesure de sa popularité, c'est sa citation dans Annie Hall, de Woody Allen. Dans une scène de flash back, Alvy (Woody Allen) se rend avec Robin (Janet Margolin) à une soirée, à New York, chez un particulier. Sur place, au milieu de la foule des invités, entre deux répliques, dans le fil de la conversation, Robin tend le cou, tente de reconnaître un personnage hors cadre, lâche : "Is it Paul Goodman ? No" et enchaîne la suite de son dialogue. Traduire : dans les années soixante Goodman était partout. "On ne pouvait pas l'éviter!" peut-on lire sur le ton de l'exaspération dans un article de magazine New Yorkais consacré au documentaire...
Avant d'énerver par sa sur-médiatisation, Paul Goodman pouvait énerver par son talent. Écrivain, magnifique poète (ce que donne à entendre le documentaire), Paul Goodman s'était très tôt posé la question de "comment vivre ensemble" et du développement de l'individu. Avec son frère Perceval, architecte, il avait écrit Communitas, regards croisés sur l'urbanisme, la communauté, la liberté. Son intérêt pour la psychothérapie fut marqué par la lecture de l'art et l'artiste, de Otto Rank, et c'est sans étonnement qu'on le retrouve en lien avec Susan Sontag ou le Living Theater.
Je ne sais si sa contribution au volume Gestalt Therapy : Excitement and Growth in the Human Personality favorisa aussi sa notoriété car le film raconte peu l'aspect thérapeute du personnage (voir, dans la partie 4/5 de la vidéo sur Dailymotion, quelques images de Frederick Perls en séance), mais pour l'avoir lu récemment dans un autre article dont malheureusement je ne trouve plus les références, l'ouvrage était dans toutes les bibliothèques de l'intelligensia. Aux yeux des médias et d'un public averti, Paul Goodman sortait de la catégorie des écrivains littéraires pour devenir un observateur critique de la société.
Paul Goodman |
Sa surexposition résulta d'une triple mise en lumière : son homosexualité qu'il ne cachait pas alors qu'il était marié et père de famille, l'immense succès de son livre Growing up Absurd, et son engagement militant contre la guerre du Vietnam.
Growing up Absurd, sous-titré Problems of Youth in the Organized Society, parut en 1960 : c'était une réflexion sur la scolarité, l'enseignement, la place faite aux jeunes gens dans la société et comment celle-ci œuvre à l'inverse de l'épanouissement des jeunes. Là encore, le livre était partout, "on ne pouvait pas entrer dans un collège sans tomber sur ce livre" raconte en substance l'un des protagonistes du documentaire.
Petit bémol qui ne sautait pas forcément aux yeux de la société des années soixante : le livre est plutôt "macho centré", pour ne pas dire vaguement misogyne... Il s'agit bien ici de l'éducation des jeunes hommes, les jeunes femmes sont remisées à la maison... Il ne devait pas être facile d'être la fille ou la femme de Paul Goodman et là aussi les images filmées sont parlantes.
Matthew, (à gauche avec les lunettes et la petite moustache) le fils de Paul, lors d'une mobilisation contre la conscription. |
Au final, le portrait est terriblement humain. Anti-conformiste, ambivalent, Paul Goodman l'était à plus d'un titre, partagé entre l'utopie et le pragmatisme. À briser toutes les frontières, Goodman est toujours le bad guy de quelqu'un, et de lui-même aussi. "A professional outsider" ajoute Susan Sontag avec tendresse. On le sent pétri d'exigences multiples que ses immenses talents n'arrivent pas à étancher. Sa main sans cesse se referme sur du vide. Et celui qui cherchait à tout prix comment mieux vivre avec l'autre rencontre toujours, en fin de compte, la solitude. Qu'il soit au sommet de sa gloire, ou qu'il en dévisse. Comme le fit en 1967 son fils Matthew, mort dans un accident d'alpinisme. On dit que Paul Goodman en mourut aussi un peu, avant de s'éteindre tout à fait cinq ans plus tard.
Paul Goodman Changed my Life est un film de Jonathan Lee. Tous les renseignements sont sur www.paulgoodmanfilm.com
Moi je l'ai regardé sur Daily Motion, il existe en cinq parties consécutives.
C'est pour mon anniversaire ? :-)
RépondreSupprimer.. envie narcissique de l'enfant que j'aime être face à toi parfois.