Aujourd'hui je sors de chez moi pour aller rendre visite à ma mère, il fait déjà nuit et quelqu'un dans la rue juste devant le porche m'apostrophe et m'appelant par mon prénom. Je mets quelques instants à prendre conscience que oui, on m'appelle bien :
- Je t'ai reconnu tout de suite, ajoute-t-il.
Une fois la surprise passée, moi aussi je reconnais ce jeune homme, sans toutefois retrouver son prénom, ce que j'avoue sans peine :
- Farid, répond-il à ma demande.
C'est le jeune homme qui vivait dans la rue et dont j'ai déjà parlé dans quelques billets (17/10/2011, 22/10/2010, etc). Je l'avais recroisé une fois beaucoup plus tard, du côté de Pigalle, il m'avait annoncé qu'il avait eu un enfant avec son amie, c'était encore la galère avec les lieux d'hébergement, il m'avait à nouveau sollicité mais je n'avais pu l'aider, sorti juste pour aller boire un verre et n'ayant quasiment rien en poche.
Ce soir je retrouve sur son visage cet air d'extrême gentillesse, remarquable, qui le caractérise. Une allure de prophète. Que devient-il ?
-Je suis toujours avec mon fils, dit-il, il a cinq ans. J'ai un petit boulot, un foyer. C'est difficile mais ça va.
Il travaille dans le service courrier d'une entreprise, a repris contact avec son oncle, qui peut l'aider pour le petit :
- Par exemple ce week-end le petit est avec lui.
- Mais tu n'es plus avec la mère de l'enfant ?
- Tu n'as pas su ? La mère est décédée d'une embolie pulmonaire, je me suis retrouvé seul avec lui, il n'avait pas fêté son premier anniversaire.
Non, je n'avais pas su. Tout ce par quoi Farid est passé, et il est toujours là, avec son regard d'agneau, là où d'autres seraient devenus loups...
Je remarque que physiquement il va mieux, pendant une période des problèmes de genou l'avaient handicapé par-dessus tout le reste. On dit quelques mots sur le mieux auquel il est parvenu. Je l'encourage à m'appeler.
- Non, toi donne moi ton numéro, je n'ai pas de téléphone, je me le suis fait voler.
Je l'ai toujours entendu dire cela, je n'ai jamais su si ces histoires d'appareils volés étaient vraies ou bien si Farid avait une forme de phobie téléphonique.
Je lui tends une carte, qu'il lit :
- Psychothérapie, j'en aurais bien besoin, plaisante-t-il
Plus tard dans la soirée je repense à lui. Sa fierté quand il a dit : "Je suis toujours avec mon fils". En terme de résilience, c'est lui qui pourrait en apprendre à beaucoup.
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