"Une fille amoureuse dit un jour à l'homme qu'elle aimait : moi aussi je pourrais écrire de ces histoires qui vous plaisent... Vous croyez ? répondit-il. Ils se rencontraient deux ou trois fois la semaine, et jamais aux vacances, et jamais aux fins de semaine. Le temps qu'ils passaient ensemble, chacun le volait à la famille et au travail. Les après-midi de janvier et de février, quand les jours allongent et que le soleil envoie de l'ouest des reflets rouges sur la Seine, ils se promenaient sur les berges, quai des Grands Augustins, quai de la Tournelle, s'embrassaient sous l'ombre des ponts. Un clochard une fois leur a crié : Vous voulez qu'on vous paie une chambre ? [...]
Restaient les chambres en effet. La même plusieurs fois de suite. Ou d'autres, selon le hasard. Il y a d'étranges douceurs dans le maigre éclairage des chambres à louer dans les hôtels de gare ; le luxe modeste du grand lit, dont on abandonne en partant les draps défaits, a ses charmes. Et le temps vient où l'on ne peut plus séparer le bruit des paroles et des soupirs d'avec le bourdonnement continu des moteurs et le chuintement des pneus qui montent de la rue. Pendant plusieurs années, ces haltes furtives et tendres, dans le répit qui suit l'amour, jambes mêlées et bras défaits, avaient été bercés de ces racontages et si l'on peut dire de ces récitages, où les livres ont la première place. Les livres étaient leur seule entière liberté, leur commune patrie, leurs vrais voyages ; ils habitaient ensemble les livres qu'ils aimaient comme d'autres une demeure de famille [...]."
Extrait de Une fille amoureuse, Retour à Roissy, Pauline Réage, Jean-Jacques Pauvert (1969)
Touchant aux larmes....
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