jeudi 25 mars 2021

immensité 7

« [...] Je  dois rentrer à Paris, il faut pratiquer l’avortement thérapeutique sélectif et séjourner à l’hôpital le temps nécessaire pour vérifier que mon corps ne rejette pas les deux bébés, lorsque l’un aura arrêté de vivre. Pour l’opération, on ne m’endort pas, on m’anesthésie. Le médecin m’explique en direct ce qu’il fait. Avec cette grande aiguille, il inocule un produit dans la poche du bébé malade, ce produit va interrompre son processus de vie sans se répandre dans l’autre poche puisqu’il s’agit de deux œufs séparés. De retour dans ma chambre d’hôpital, je porte en moi un bébé mort et un bébé vivant. Je n’ai aucune idée de la façon dont on peut vivre une situation aussi duale. Je ne connais aucune histoire similaire. Je passe les premiers jours de ce nouvel état dans un semi-coma, entre les médicaments destinés à empêcher mon corps de faire une fausse couche et les calmants prodigués pour éviter mon effondrement psychique. Je ne m’accroche qu’à une chose : la visite quotidienne de l’obstétricien qui m’a opérée ; ça s’appelle un transfert. Il arrive le soir après la fin de sa journée hospitalière, il reste peu de temps mais je ne vis que pour ces quelques minutes où cet homme me regarde, me sourit, me prend la main, me parle. Il s’assoit à côté de moi et nous reprenons notre discussion, toujours la même. Il décortique le processus biologique qui a conduit à la catastrophe, je le questionne à l’infini, j’essaye de comprendre, de trouver du sens à une situation qui n’en a pas. Avec douceur, il me répète jour après jour ce que j’ai tant besoin d’entendre : “Il n’y a aucune raison scientifique à ce type de malformation, aucune explication génétique, c’est le hasard, c’est la malchance. Vous pourrez être enceinte cent fois, ça ne se reproduira jamais, jamais. Cela, je peux vous le jurer.” Je pleure. Je ne serai jamais plus enceinte. Je ne désirerai plus jamais avoir un enfant. C’est trop dangereux d’être enceinte, on perd son amour, puis après on perd son bébé. On ignore l’immensité des dangers qu’on court lorsqu’on attend un enfant. »

Extrait de L’Effet maternel, de Virginie Linhart, éditions Flammarion, 2020.

Cette série « immensité » présente des extraits de livres lus récemment dans lesquels le mot immensité apparaît.

lundi 22 mars 2021

mon Covid

J’ai envie de mettre quelques mots sur l’épisode Covid que je viens de traverser, et dans le même temps ces jours passés ont été tellement désagréables que m’y replonger me colle la nausée.
Lorsqu’il y a peu de temps mon généraliste m’avait annoncé qu’il pourrait bientôt réaliser la vaccination dans son cabinet, avec le vaccin AstraZeneca, il avait précisé : « Cela vous donnera deux ou trois jours d’effets secondaires, un peu comme si vous aviez le Covid. » Rétrospectivement je me dis que j’aurais bien aimé un Covid qui dure deux ou trois jours. Ce n’est pas ce que j’ai vécu. 
La première semaine qui a suivi la contamination, j’étais donc officiellement cas contact, j’ai eu un petit épisode fiévreux façon état grippal le samedi, et le dimanche j’étais à nouveau en très grande forme. J’hésitais entre «  ah c’est donc ça le Covid, ce n’était pas grand chose » et « finalement je n’ai rien eu, mon test de contrôle sera négatif ».
C’est le lundi que la réalité m’est tombée dessus. Des douleurs au crâne suspectes (je n’ai jamais mal au crâne d'ordinaire) m’ont fait imaginer que déjouant mes joyeux pronostics j’allais être clairement positif, ce qui s’est confirmé. Et pendant les cinq jours qui ont suivis, j’ai eu l’impression d’être roué de coups. Passé à tabac. Évidemment pas tout le temps, car la plus grande partie de mes journées se passait à dormir. Mais à chaque réveil, le match de boxe recommençait. Il y avait à la fois les endroits douloureux de façon régulière et répétée (tête, yeux, cou, épaule, estomac, intestins...), puis des vagues, comme des inflammations subites, envahissant et torturant d’autres parties du corps (mains, avant-bras, poitrine, sinus...). Bref, pas très agréable.
Aujourd’hui, à l’heure où j’écris ce texte, j’ai réalisé la quatorzaine traditionnelle prescrite, mais à cause des nouveaux variants plus contagieux, il faut rester isolé encore quelques jours de plus, bien que tout cela soit assez flou : certains préconisent 10 jours d’isolement après le test positif, d’autres indiquent 10 jours après les premiers symptômes et ce week-end, avant donc la fin de la petite quatorzaine, j’ai reçu deux Sms de l'assurance maladie, l’un qui me félicitait d’avoir respecté les consignes et l’autre qui m’indiquait que si j’avais du mal à respirer il fallait appeler le 15. Bon...
J’ai encore quelques symptômes légers, et j’aimerais bien que tout cela disparaisse définitivement dans la catégorie mauvais souvenirs...


mercredi 17 mars 2021

Louise Lawler et Louise Bourgeois...

Cet été je m’étais acheté un livre consacré à Alvin Baltrop, The Life and Times of Alvin Baltrop, aux éditions Skira. C’est un livre de photos, plutôt format beau livre, donc impossible à consulter en balade ou dans le métro, et en anglais, ce qui me demande une légère concentration supplémentaire, toutes choses qui m’avaient jusqu’à aujourd’hui empêché de m’y plonger vraiment.

Ces jours-ci, ayant été déclaré positif au Covid, me voilà en isolement forcé et souvent allongé sur mon lit, situation cette fois propice à entrer dans cet ouvrage,
Peu connu du grand public, Alvin Baltrop (1948-2004) est cependant réputé pour son travail de photographie autour des docks new-yorkais dans les années 1970. Sur l’Hudson River, du côté ouest de Manhattan, tout un complexe d’entrepôts abandonnés et de jetées sur l’eau devient à cette époque un immense terrain de jeux fantasmatique : c’est autant la plage nudiste de Manhattan qu’un lieu de drague et de consommation sexuelle homosexuelle, ainsi qu’un territoire à explorer pour des artistes cherchant à s’exprimer en dehors des musées et des galeries. Le plus célèbre exemple en est sans doute le travail de Gordon Matta-Clark avec l’emblématique Day’s End au Pier 52. Les lieux sont cependant loin d’être de tout repos, car ces espaces underground sont aussi l’endroit idéal pour venir s’y suicider ou y commettre un crime loin de tout regard.
Day’s End, de Gordon Matta-Clark

Cependant l’objet de ce billet n’est pas d’introduire le travail de Baltrop, mais de partager avec vous une découverte amusante. Dans un des premiers textes du bouquin, l’historien et critique d’art Douglas Crimp, récemment décédé, liste certaines des manifestations artistiques qui se sont déroulées en ces lieux. Dont, en 1971, une série d’actions arty commanditées par Willoughby Sharp, qui rassemble plus de 25 artistes, tous masculins! Louise Lawler, artiste qui s’est impliquée dans la création de l’événement, proteste en réalisant une bande son, Birdcalls, où tous les noms de ses confrères sont assimilés à des cris d’oiseaux. Par chance cette œuvre délicieusement drôle est accessible ici. 
Cette dérision créative et féministe m’a rappelé aussi le titre Otte, de Louise Bourgeois, que j’avais déjà partagé ici, en 2015.