« [...] Je dois rentrer à Paris, il faut pratiquer l’avortement thérapeutique sélectif et séjourner à l’hôpital le temps nécessaire pour vérifier que mon corps ne rejette pas les deux bébés, lorsque l’un aura arrêté de vivre. Pour l’opération, on ne m’endort pas, on m’anesthésie. Le médecin m’explique en direct ce qu’il fait. Avec cette grande aiguille, il inocule un produit dans la poche du bébé malade, ce produit va interrompre son processus de vie sans se répandre dans l’autre poche puisqu’il s’agit de deux œufs séparés. De retour dans ma chambre d’hôpital, je porte en moi un bébé mort et un bébé vivant. Je n’ai aucune idée de la façon dont on peut vivre une situation aussi duale. Je ne connais aucune histoire similaire. Je passe les premiers jours de ce nouvel état dans un semi-coma, entre les médicaments destinés à empêcher mon corps de faire une fausse couche et les calmants prodigués pour éviter mon effondrement psychique. Je ne m’accroche qu’à une chose : la visite quotidienne de l’obstétricien qui m’a opérée ; ça s’appelle un transfert. Il arrive le soir après la fin de sa journée hospitalière, il reste peu de temps mais je ne vis que pour ces quelques minutes où cet homme me regarde, me sourit, me prend la main, me parle. Il s’assoit à côté de moi et nous reprenons notre discussion, toujours la même. Il décortique le processus biologique qui a conduit à la catastrophe, je le questionne à l’infini, j’essaye de comprendre, de trouver du sens à une situation qui n’en a pas. Avec douceur, il me répète jour après jour ce que j’ai tant besoin d’entendre : “Il n’y a aucune raison scientifique à ce type de malformation, aucune explication génétique, c’est le hasard, c’est la malchance. Vous pourrez être enceinte cent fois, ça ne se reproduira jamais, jamais. Cela, je peux vous le jurer.” Je pleure. Je ne serai jamais plus enceinte. Je ne désirerai plus jamais avoir un enfant. C’est trop dangereux d’être enceinte, on perd son amour, puis après on perd son bébé. On ignore l’immensité des dangers qu’on court lorsqu’on attend un enfant. »
Extrait de L’Effet maternel, de Virginie Linhart, éditions Flammarion, 2020.
Cette série « immensité » présente des extraits de livres lus récemment dans lesquels le mot immensité apparaît.
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