Ce blog est comme une série de gouttelettes, chaque billet une petite loupe prélevée à la pipette sur le cours du temps qui passe.
C'est quand le flux des activités et des pensées s'emballe qu'il devient difficile d'élire une petite goutte isolée et de l'exposer là. Quel fragment aura du sens, solitaire, exhibé ?
Les semaines de mai ont passé avec une intensité de travail telle que plusieurs jours fériés sont passés à la trappe. La tête dans le guidon, mais toujours l'envie de regarder le paysage, on risque la chute. C'était momentané, et parfois agréable, comme ces quatre jours de séminaire sur la thérapie de l'enfant qui ont clos ce tunnel d'efficacité fiévreuse.
Sans doute inspiré par le thème de l'enfance j'avais commencé la lecture d'un livre intitulé Mon métier de père, pourquoi est-il si compliqué d'élever ses enfants ?, de Gilles Verdiani. L'auteur n'est pas un spécialiste mais un jeune père de deux garçons qui propose (avec une écriture de qualité) une forme de témoignage censé fournir au lecteur des pistes de réflexions. C'est du concret. Et je dois dire que cela m'a questionné, sans me donner de réponses, sur quelques a priori œdipiens concernant l'allaitement...
J'alternais cette lecture avec celle de Bangkok Eight, acheté en Thailande, premier polar de la trilogie de John Burdett dont j'ai déjà cité ici le volume deux, Bangkok Tatoo, qui me procurait des bouffées d'exotisme.
Ensuite je suis parti à la plage pour cinq jours, ayant terminé le Verdiani et emportant, en plus de Burdett, Journal d'un corps, de Pennac, qu'un ami soucieux de ses livres m'avait prêté et que je transportais donc avec des égards de sainte châsse, le bouquin toujours ceint dans un sac de plastique transparent censé le protéger du sable du vent du soleil de la crème solaire etc. J'ai encore le nez dedans, la déception m'ayant pourtant tenu à une certaine distance de l'œuvre.
Il faut dire que j'avais des attentes assez précises créées par le titre et quelques bribes d'interview entendues rapidement à la radio je crois. Une fois le livre entre les mains il m'a fallu constater que cela n'était pas celui que j'espérais mais bien un roman 100% Daniel Pennac, avec ses qualités incontestables et les limites du genre. Personne, à part moi, n'osera bouder sa virtuosité d'auteur, mais c'est cette capacité à faire qui m'éloigne du texte, je sens trop les formulations travaillées et polies destinées à apparaître des "merveilles fondatrices" (comme le dit l'auteur à propos d'autre chose p. 170). Il me semble que côté corps, le héros de Pennac reste tout de même de papier.
Verdiani, à l'occasion d'un changement de couche au petit matin :
"Penché sur ce corps dénudé, qui s'était laissé manipuler sans résistance et me présentait ses zones érogènes, je me retrouvais dans une position déjà connue en d'autres circonstances. Et, sans aller jusqu'à l'excitation sexuelle, loin de là, cette position réveillait chez moi une sensation agréable, un réflexe de bien-être. La proximité entre les soins du bébé et la sexualité m'apparaissait pour la première fois. Cette proximité avait un nom : l'intimité. Jusque là dans ma vie d'adulte je n'avais partagé cette intimité qu'avec des partenaires de lit. Je la partageais désormais, et quotidiennement, avec deux petits garçons. "
Intéressant, non ?
Pennac, après que son narrateur a lavé ses deux petits enfants à l'ancienne, dans le tub de zinc :
"Plus jamais ils ne seront aussi denses, ni les traits de leurs visages aussi nets, ni si blanc le blanc de leurs yeux, ni leurs oreilles si parfaitement dessinées, ni tissé si serré le grain de leur peau. L'homme naît dans l'hyperréalisme pour se distendre peu à peu jusqu'à finir en un pointillisme très approximatif avant de s'éparpiller en poussières d'abstraction."
Pas mal, non ?
Dans un autre genre, Sonchai, le héros de Burdett, profite que sa mère a besoin de sa signature pour exiger qu'elle lui révèle qui est son père. Après les aveux ils se quittent :
"After I sign the plans, she pays the bill and we stand up. I embrace her warmly. She gives me a puzzled look and we say goodbye. She takes a taxi but I decide to wind my way amongst the jammed cars. What difference does it make? He adored me even before I existed. He loved her.
I'm walking on air."
C'est sans doute ce qui aura manqué à mon propre père.
Le livre de Gilles Verdiani est aux éditions JC Lattès, celui de John Burdett chez Corgi Books
et celui de Daniel Pennac édité par Gallimard.
C'est quand le flux des activités et des pensées s'emballe qu'il devient difficile d'élire une petite goutte isolée et de l'exposer là. Quel fragment aura du sens, solitaire, exhibé ?
Les semaines de mai ont passé avec une intensité de travail telle que plusieurs jours fériés sont passés à la trappe. La tête dans le guidon, mais toujours l'envie de regarder le paysage, on risque la chute. C'était momentané, et parfois agréable, comme ces quatre jours de séminaire sur la thérapie de l'enfant qui ont clos ce tunnel d'efficacité fiévreuse.
Sans doute inspiré par le thème de l'enfance j'avais commencé la lecture d'un livre intitulé Mon métier de père, pourquoi est-il si compliqué d'élever ses enfants ?, de Gilles Verdiani. L'auteur n'est pas un spécialiste mais un jeune père de deux garçons qui propose (avec une écriture de qualité) une forme de témoignage censé fournir au lecteur des pistes de réflexions. C'est du concret. Et je dois dire que cela m'a questionné, sans me donner de réponses, sur quelques a priori œdipiens concernant l'allaitement...
J'alternais cette lecture avec celle de Bangkok Eight, acheté en Thailande, premier polar de la trilogie de John Burdett dont j'ai déjà cité ici le volume deux, Bangkok Tatoo, qui me procurait des bouffées d'exotisme.
Ensuite je suis parti à la plage pour cinq jours, ayant terminé le Verdiani et emportant, en plus de Burdett, Journal d'un corps, de Pennac, qu'un ami soucieux de ses livres m'avait prêté et que je transportais donc avec des égards de sainte châsse, le bouquin toujours ceint dans un sac de plastique transparent censé le protéger du sable du vent du soleil de la crème solaire etc. J'ai encore le nez dedans, la déception m'ayant pourtant tenu à une certaine distance de l'œuvre.
Il faut dire que j'avais des attentes assez précises créées par le titre et quelques bribes d'interview entendues rapidement à la radio je crois. Une fois le livre entre les mains il m'a fallu constater que cela n'était pas celui que j'espérais mais bien un roman 100% Daniel Pennac, avec ses qualités incontestables et les limites du genre. Personne, à part moi, n'osera bouder sa virtuosité d'auteur, mais c'est cette capacité à faire qui m'éloigne du texte, je sens trop les formulations travaillées et polies destinées à apparaître des "merveilles fondatrices" (comme le dit l'auteur à propos d'autre chose p. 170). Il me semble que côté corps, le héros de Pennac reste tout de même de papier.
Verdiani, à l'occasion d'un changement de couche au petit matin :
"Penché sur ce corps dénudé, qui s'était laissé manipuler sans résistance et me présentait ses zones érogènes, je me retrouvais dans une position déjà connue en d'autres circonstances. Et, sans aller jusqu'à l'excitation sexuelle, loin de là, cette position réveillait chez moi une sensation agréable, un réflexe de bien-être. La proximité entre les soins du bébé et la sexualité m'apparaissait pour la première fois. Cette proximité avait un nom : l'intimité. Jusque là dans ma vie d'adulte je n'avais partagé cette intimité qu'avec des partenaires de lit. Je la partageais désormais, et quotidiennement, avec deux petits garçons. "
Intéressant, non ?
Pennac, après que son narrateur a lavé ses deux petits enfants à l'ancienne, dans le tub de zinc :
"Plus jamais ils ne seront aussi denses, ni les traits de leurs visages aussi nets, ni si blanc le blanc de leurs yeux, ni leurs oreilles si parfaitement dessinées, ni tissé si serré le grain de leur peau. L'homme naît dans l'hyperréalisme pour se distendre peu à peu jusqu'à finir en un pointillisme très approximatif avant de s'éparpiller en poussières d'abstraction."
Pas mal, non ?
Dans un autre genre, Sonchai, le héros de Burdett, profite que sa mère a besoin de sa signature pour exiger qu'elle lui révèle qui est son père. Après les aveux ils se quittent :
"After I sign the plans, she pays the bill and we stand up. I embrace her warmly. She gives me a puzzled look and we say goodbye. She takes a taxi but I decide to wind my way amongst the jammed cars. What difference does it make? He adored me even before I existed. He loved her.
I'm walking on air."
C'est sans doute ce qui aura manqué à mon propre père.
Le livre de Gilles Verdiani est aux éditions JC Lattès, celui de John Burdett chez Corgi Books
et celui de Daniel Pennac édité par Gallimard.
Oui, le journal d'un corps, c'est du Pennac avant tout. Je salue juste la tentative, le thème, l'éssai, en me réjouissant d'avoir bientôt la critique d'un "figuiste" donc gestaltiste à qui je l'ai laissé en prêt !
RépondreSupprimerClaude
Je serais particulièrement intéressée par un développement des "a priori oedipiens concernant l'allaitement" !!!!????
RépondreSupprimerPapa et fiston qui s'arrache un sein; c'est celà?