- Quelle est la période que tu préférais avec les enfants : quand ils étaient bébés ? quand ils allaient à l'école ?...
Moue hésitante.
- Les enfants ?..., reprend-elle.
Je regarde ma mère chercher dans la forêt de ses souvenirs, j'imagine la jungle de ses neurones crépiter sous l'effet de la surchauffe.
Moi j'ai perdu aussi momentanément la mémoire, ne me souvenant pas de ses paroles exactes, impressionné par cet instant où elle dit quelque chose comme :
"Il y a des moments heureux mais je n'arrive pas...
Mais, pourquoi c'est comme ça, pourquoi je n'y arrive pas ?...
Je ne veux pas m'en souvenir parce qu'après je vais avoir le cafard." Ce qui pourrait être un raccourci de sa perte de mémoire prématurée.
Ensuite elle enchaîne, parlant toujours des "enfants" comme si c'étaient des personnes distinctes de ses enfants devenus adultes :
- Ils étaient très gais.
- Ah bon ? Très gais ? Mais à quelle occasion, à quelle époque ?
- Eh bien à la maternelle, quand ils faisaient des rondes, des choses comme ça, dit-elle en levant les bras à ses épaules, comme pour mimer une danse.
Elle évoque la maison où, jeune mariée, elle a vécu avec mon père, et qu'ils ont quittés quelques jours après ma naissance.
- Les enfants sont tous nés à Nemours, je crois. P., V. et F.
Mais elle hésite. Je l'entends dire mon prénom comme s'il s'agissait de quelqu'un d'autre. Puis subitement, se tournant vers moi :
-Toi aussi F., tu es né à Nemours ?
- Oui moi aussi maman. Mais je n'ai pas connu la maison, vous avez déménagé tout de suite après.
Rephotographiée sur un album, une image de ma mère et ma sœur aînée sur la plage. |
Ses mains, environ cinquante-cinq ans après la photo ci-dessus, trahissent sa passion récente pour les vernis colorés. |
Maman tente de me faire une description de la maison mais, là encore, la mémoire lui fait défaut. Elle est persuadé de pouvoir trouver dans les albums photos des images de l'intérieur de cette bâtisse qu'ils partageaient avec une autre famille. On sort quelques albums photos – ils sont légion –, de la grosse armoire. Elle est bien sûr incapable de se repérer dans les dates, il y a pas mal de personnes qu'elle ne reconnaît plus sur les clichés mais on feuillette ensemble quelques pages. J'essaye de photographier ses mains vieillies quand elle tourne les pages mais sans succès.
Après je lui demande de les poser sur la table. Elle s'exécute sans rechigner, me demandant depuis quand je fais des photos. Avant le dîner, elle m'avait avoué qu'elle ne savait pas ce que je faisais comme métier. Quand je le lui dis, cela ne lui paraît pas clair.
- Mais qu'est-ce que tu vends ?, demande-t-elle.
Ma réponse l'étonne. Elle a l'air un peu perplexe que l'on puisse faire un métier sans rien vendre. Pour revenir alors à l'un de ses modes maternels préférés, l'inquiétude :
- Mais tu dois être fatigué alors ?
C'est très touchant
RépondreSupprimerMerci
Claude
Frédéric, tu sais bien, pour retrouver la maison, tu viens si tu veux et je t'accompagnerai avec plaisir !
RépondreSupprimerOui, j'ai pensé à toi en rédigeant ce billet. Merci !
SupprimerMoi, les fleurs artificielles et les vernis colorés, j'adore. J'y ai pas droit, je m'en sens privé.
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