Il y a peu j'ai acheté à ma mère un album de coloriage "pour adultes", de ces produits néo bobos que l'on aurait pas pu imaginer, penser, il y a encore quelques années.
En fait, je cherchais quelque chose qui aurait pu lui redonner le goût de la peinture qu'elle montrait quand nous étions enfants (tout cela sans y croire un seul instant) : elle et mon père étaient des peintres du dimanche, reproduisant des toiles d'art moderne (Vlaminck, Cézanne, Van Gogh...), quelques-unes de ses toiles avaient du charme.
Entre tous les modèles de coloriages - psychédélique, girly fashion, motifs tattoo... - j'ai opté pour un modèle "anti-stress", qui propose des planches graphiques principalement d'inspiration florale. J'invite ma mère à choisir un dessin qu'elle aimerait colorier avec moi. Elle n'aime pas ceux avec de gros traits noirs, et se décide pour un pêle-mêle de fleurs tracées finement.
L'expérience n'est pas vraiment concluante : ma mère peine à décider d'une couleur, craint visiblement de "mal faire", met dix minutes à teinter de façon maladroite une mini surface. On renonce assez vite, mais cela l'amuse un peu :
-" Tu me fais faire de ces trucs ! Que je n'ai pas faits depuis des années!"
Puis ensuite, quand je la quitte :
- "J'ai passé une excellente journée!"
Le lendemain je retente l'expérience avec elle. C'est après le dîner cette fois, et l'activité s'avère trop fatiguante pour elle à ce moment de la journée. Son équilibre est fragile, la moindre sollicitation en trop la malmène.
Après le coloriage, un autre jour, la lecture.
C'est le soir, je m'installe sur son lit, elle s'est calmement préparée pour la nuit à l'idée de ce moment partagé (alors que se déshabiller et se coucher est parfois l'objet d'extrêmes complications, tensions, incompréhensions, paniques). Je lui lis une des nouvelles contenues dans un livre qui traînait chez elle ("Sept histoires qui reviennent de loin", de Jean-Christophe Ruffin, éd. Gallimard).
Je me demande si elle comprend la situation exposée. Le sommeil l'envahit peu à peu, elle commente ma lecture par quelques interventions censées signifier à la fois qu'elle suit, à la fois qu'elle ne dort pas. Au début c'est pertinent ("Ah, on va savoir ce qui s'est passé...") puis visiblement elle perd le fil avant de s'endormir tout à fait.
Quand je quitte la chambre, elle se réveille le temps seulement d'éteindre sa lampe de chevet et de me faire un signe de la main, ce qu'elle fait avec une joie particulière que je ne sais pas définir.
Je sors de l'appartement sur la pointe des pieds, j'ai l'impression d'être le personnage d'un livre pour enfant où toutes les époques se mélangeraient.
En fait, je cherchais quelque chose qui aurait pu lui redonner le goût de la peinture qu'elle montrait quand nous étions enfants (tout cela sans y croire un seul instant) : elle et mon père étaient des peintres du dimanche, reproduisant des toiles d'art moderne (Vlaminck, Cézanne, Van Gogh...), quelques-unes de ses toiles avaient du charme.
Entre tous les modèles de coloriages - psychédélique, girly fashion, motifs tattoo... - j'ai opté pour un modèle "anti-stress", qui propose des planches graphiques principalement d'inspiration florale. J'invite ma mère à choisir un dessin qu'elle aimerait colorier avec moi. Elle n'aime pas ceux avec de gros traits noirs, et se décide pour un pêle-mêle de fleurs tracées finement.
L'expérience n'est pas vraiment concluante : ma mère peine à décider d'une couleur, craint visiblement de "mal faire", met dix minutes à teinter de façon maladroite une mini surface. On renonce assez vite, mais cela l'amuse un peu :
-" Tu me fais faire de ces trucs ! Que je n'ai pas faits depuis des années!"
Puis ensuite, quand je la quitte :
- "J'ai passé une excellente journée!"
Le lendemain je retente l'expérience avec elle. C'est après le dîner cette fois, et l'activité s'avère trop fatiguante pour elle à ce moment de la journée. Son équilibre est fragile, la moindre sollicitation en trop la malmène.
Après le coloriage, un autre jour, la lecture.
C'est le soir, je m'installe sur son lit, elle s'est calmement préparée pour la nuit à l'idée de ce moment partagé (alors que se déshabiller et se coucher est parfois l'objet d'extrêmes complications, tensions, incompréhensions, paniques). Je lui lis une des nouvelles contenues dans un livre qui traînait chez elle ("Sept histoires qui reviennent de loin", de Jean-Christophe Ruffin, éd. Gallimard).
Je me demande si elle comprend la situation exposée. Le sommeil l'envahit peu à peu, elle commente ma lecture par quelques interventions censées signifier à la fois qu'elle suit, à la fois qu'elle ne dort pas. Au début c'est pertinent ("Ah, on va savoir ce qui s'est passé...") puis visiblement elle perd le fil avant de s'endormir tout à fait.
Quand je quitte la chambre, elle se réveille le temps seulement d'éteindre sa lampe de chevet et de me faire un signe de la main, ce qu'elle fait avec une joie particulière que je ne sais pas définir.
Je sors de l'appartement sur la pointe des pieds, j'ai l'impression d'être le personnage d'un livre pour enfant où toutes les époques se mélangeraient.