mardi 28 avril 2015

exercices de style 7

Au Monoprix, un homme à cheveux longs et moustache, accompagné d'une jolie femme vêtue de noir. J'ai parié pour la seule option qui me paraissait possible : ils vont à une fête costumée... Le blouson de la jeune femme portait en effet quelques motifs colorés qui pouvaient, de très très loin, évoquer des motifs indiens.
Une soirée "Vache de cow boy!" ou "Tipi caca".



"[...] Une hule aprule, devant la gule Saint-Lazule je l'aperçule qui discule à propos de boutules, de boutules de pardessule."
Extrait du chapitre Homéotéleutes, Exercices de styles, Raymond Queneau, éditions Gallimard.

une fin

Les quinze derniers jours ont été marqués d'événements particuliers. 
Il y a trois ou quatre semaines j'avais donné mon accord au reste de ma famille pour que ma mère intègre une maison de retraite, au vu de son état de dinguerie avancé, et au vu aussi des désordres familiaux qu'avait créé une pauvre escapade de ma mère, partie seule au bistrot du coin pour siroter du vin rouge.
J'imaginais que cela prendrait plusieurs mois. En réalité, dix jours plus tard on nous annonçait une place libre dans un établissement à deux pas de son appartement, un lieu médicalisé et tout à fait hors de prix que ma soeur avait déjà visité. Entrée dans les lieux prévue le 22 avril.

La semaine précédant cette date a été pénible, baignée pour moi d'un climat de "dernières fois": dernier repas cuisiné pour elle, dernier dîner à la maison etc. 
Difficile de la préparer à ce changement, puisque sa capacité mémorielle n'excède pas trois ou quatre minutes. Mon frère et ma soeur lui parlaient sans cesse d'une "pension de famille", et semblaient imaginer plein de bénéfices à ce déménagement. 

Le mardi, mon frère amène les meubles de ma mère dans sa nouvelle chambre, et réalise une décoration qui synthétise un peu son ancien appartement dans une seule pièce. C'est réussi. Elle dîne dans cette maison de retraite avec ses petits-enfants et y passe sa première nuit.
Le lendemain, mercredi, je passe la voir le matin. La folie est dans notre camps cette fois : elle semble n'avoir pas même remarqué de changement de lieu. 

En début d'après-midi, je vais faire du ménage dans son ancien appartement : j'ai l'impression de m'occuper des affaires d'une morte. Des heures lourdes. Je jette quantité de choses sans importance comme on le fait après un décès.

Plus tard je vais la retrouver dans sa maison de retraite. Elle est de bonne humeur. C'est comme si rien n'avait changé. On quitte sa chambre pour aller dîner dehors. Il est tôt, il fait très beau, elle s'extasie sur le bleu du ciel :
- Regarde, c'est magnifique. C'est tout bleu. Des fois il y a des trucs qui traînent là ou là dans les coins, mais là non, c'est splendide.
Elle m'embrasse soudainement sur la joue :
- Excuse-moi, dit-elle, j'avais envie.
On prend le soleil sur une terrasse, elle veut à nouveau commander du vin rouge. Elle lit la carte :
- Coca, non. Bière, non. Vin rouge !
On boit ensemble, on rigole, ensuite on va dîner dans un restaurant thaï. 

Le retour est difficile. Dans ce quartier qui est le sien, elle ne reconnaît pas le chemin que je lui fais prendre. Devant la maison de retraite, elle s'interroge : 
- Mais qu'est-ce qu'on fait là, ce n'est pas chez nous!
Même chose dans l'escalier qui monte à l'étage : -"Mais enfin on est où ?
Dans sa chambre, elle regarde tout de façon suspicieuse. Elle n'est pas toujours folle. 
Une fois dévêtue pour la nuit, puis allongée, elle ne retrouve pas non plus le confort de son lit (celui-ci est un lit médicalisé) ni la bonne hauteur de son oreiller en plume.
Le rituel de la lecture la calme. Elle s'endort. Puis se réveille, comme chaque fois, quand je m'apprête à partir. On se dit à dimanche.


mardi 21 avril 2015

gambettes en goguette

Ce week end, c'est indéniable, il fait beau à Paris. 

Lui, pris de court sans doute mais bien décidé à en être du point de vue vestimentaire au moins, a improvisé un short (on ne peut, à ce niveau, imaginer une quelconque préméditation). 

Un cutter (ou une paire de ciseaux) sorti(e) du tiroir de son bureau et hop!, le pantalon se métamorphose : notre badaud est prêt pour un apéro en terrasse avec quelques amis.

Bon, le bas de la panoplie (chaussettes et chaussures) ne semble guère en harmonie avec l'impérieux désir de décontraction printanière qui a donné naissance à ce look arty summer. Qu'importe : le hipster pense toujours qu'on ne regarde que sa barbe.

Pas sûr, pourtant.

mercredi 15 avril 2015

mère de famille

Récemment elle me regarde intensément, c'est signe qu'une question très personnelle la taraude, comme ce jour où elle m'avait demandé si j'avais des frères et des soeurs :
- Tu es resté longtemps bébé ?, questionne-t-elle, sans que rien avant n'ait laissé prévoir cette interrogation.
- Euh, je ne sais pas ce que tu appelles bébé... Si c'est simplement petit, c'est plusieurs années ; si c'est avant que je marche, ça doit être un an environ ; si c'est tout petit qu'on tient dans ses bras, ça doit être quelques mois...
Ma réponse ne lui convient pas, elle secoue la tête. Elle cherche comment exprimer plus justement sa question, mais le vocabulaire lui manque, et dans son cerveau, c'est un tel foutoir maintenant que quand elle se concentre, ça a plutôt un effet paradoxal, elle chevauche plus souvent un autre sujet de conversation qui passe par là. Cette fois pourtant elle réussit à préciser :
- Je veux dire, à quel moment toi tu as su que tu n'étais plus bébé ?

Ce soir elle chante tout le temps ; quand elle cesse, c'est pour discuter avec ce qui l'entoure. Elle parle à son cor au pied, elle parle au plancher. Elle parle aux verres qu'elle dépose sur la table :
- Ils sont mignons, dit-elle en les caressant comme si c'était des chatons.

Au cours du dîner, je ne sais plus à quelle occasion je lui balance : 
 - Tu es vraiment une drôle de femme, une drôle de maman!
- Mais est-ce qu'il y a des choses que j'ai faites qui ne vous ont pas pris ?
J'imagine d'après ses mimiques qu'elle veut dire "qui ne vous ont pas plu". Je tente l'interprétation :
- Est-ce que tu aurais peur d'avoir été une mauvaise mère ?
- Ah non, pas du tout, je ne me suis jamais posé la question. Tu sais, je ne suis pas du genre à prendre le truc du voisin.
- Mais tu étais contente d'avoir des enfants, non ?
- Je ne me souviens plus. Je crois que oui, mais je ne sais plus.

Plus tard, au moment du coucher, une scène répétée déjà des dizaines de fois se remet en place autour du deshabillage :
- Tiens maman, assieds-toi sur le lit que je t'enlève tes chaussures et tes chaussettes.
- Oh, mais ce n'est pas la peine, je peux le faire, dit-elle en s'asseyant.
- Oui je sais, mais quand je le fais c'est plus facile, ça va plus vite, non ?
- Mais regarde ce que ça t'oblige à faire. Déjà que tu travailles tant.
L'idée que l'on s'occupe d'elle reste toujours un peu dérangeante en même temps qu'elle est plaisante.
- Oui, mais ce n'est rien, dis-je en lui ôtant ses chaussures. Puis tirant sur ses chaussettes : On s'en fout, sois un peu rock'n roll...
Elle rit :
- Eh bien ton rock'n roll je vais le mettre dans une boîte.
Elle rit encore. Puis, gravement :
- On s'entend bien quand même. Je veux dire, on est bien ensemble.
- Oui maman. On est une bonne famille.

jeudi 9 avril 2015

un soupçon de Japon


Ce midi je m'achète encore quelques tee-shirts Uniqloo de la collection Shochiku Kabuki. J'étais trop pris le jour de la sortie de cette collection événement pour jouer les fashion groupies et acquérir les pièces qui m'intéressaient le plus, et qui sont déjà épuisées. Donc, je fais fortune bon coeur avec ce qui reste. Surprise! A la caisse on m'annonce que grâce à mon achat de deux tee-shirts, j'aurai droit à un cadeau : un éventail.
C'est trop de bonheur... Comment résister, alors, à parfaire ce moment en filant au Gyoza bar (Passage des panoramas) dont j'ai déjà parlé ici ?


street art


Hier soir, dans la nuit, quelques jeunes gens finissaient de "customiser" l'espace ovale qui sépare les deux volées de l'escalier de la rue d'Alsace, à côté de la Gare de l'Est. Des bougies fichées dans le sol promettaient d'éclairer la fresque à laquelle ils mettaient la touche finale.
Je ne suis pas repassé voir leur happening, car j'imagine bien qu'il y en eut un : le lendemain, le lieu était couvert de pages de magazine calcinées, dont des fragments s'envolaient au passage des badauds et flottaient lentement, suspendus dans la lumière aveuglante du matin.



Le week-end précédent, j'avais profité de la luminosité pour saisir quelques unes des photos disséminées ici et la dans Paris, que j'avais déjà remarquées depuis longtemps sans trouver le temps de les reproduire.
Elles portent pour signature le mot clé #backtothestreet. Vous trouverez sur le Net plein d'autres images en cherchant avec ce hashtag. Je ne sais quel photographe ou quel collectif d'artistes est à l'initiative de cette "expo urbaine"plutôt sympathique.








mercredi 1 avril 2015

se souvenir des belles choses

Maintenant notre livre du soir, à ma mère et à moi, c'est Bronx amer, un recueil de nouvelles de Jerome Charyn (édition Mercure de France). C'est un peu par hasard, une amie me l'a mis entre les mains. Je trouve l'écriture peu fluide, mais c'est peut être la traduction qui rigidifie le style. En tout cas pour ce à quoi elle nous sert, cette prose est suffisante.

Je commence une historiette qui s'intitule Silk & Silk. Comme le précédent livre, qui comportait des mots indiens et anglais (la Nuit de l'indigo, de Satyajit Ray), celui-ci m'oblige parfois à des traductions ou à des éclaircissements.
- Silk, c'est un mot anglais qui veut dire soie. Là, c'est aussi le nom de famille d'une personne, dis-je.
- Ah, ça veut dire qu'il croit en Dieu et en Diable.
- Non, pas foi, soie!
- Ah, c'est rigolo comme on peut se tromper, parfois, avec un mot ! 
Elle rit beaucoup, de bon coeur, comme si elle découvrait à l'instant la possibilité de la méprise.

Elle aime ces moments de lecture. Elle ne comprend plus rien des histoires que je lui raconte, mais elle apprécie le ronron des phrases, et la proximité physique, moi allongé sur le lit à côté d'elle, ce qui lui permet de détailler mon visage.
- Tes pieds..., commence-t-elle en me touchant la tempe...
- Non maman, les pieds c'est là ( je pointe mes chaussures qui dépassent du lit). Ça, c'est les cheveux.
- Tes cheveux ils sont trop courts...
- Tu les trouves trop courts?
- Ils sont courts et ils sont longs.
- Ah...
- C'est-à-dire qu'ils sont courts, et puis quand tu veux autre chose ( Elle caresse mes cheveux comme si elle voulait les coiffer en arrière) , si vous êtes plusieurs, trois ou quatre, et que vous voulez aller plus loin, c'est bien.
- Oui, c'est bien, tu as raison.
Évidemment le mot raison est tout relatif.

Samedi dernier je l'emmène acheter des chaussures. Toutes les trois minutes, je lui rappelle le but de notre promenade, qu'elle redécouvre.
- Et là on va où, à droite ou à gauche?
- A gauche, le magasin de chaussures, je crois qu'il est là-bas.
- Les chaussures! Tu ne vas pas me croire, j'avais complètement oublié !
Elle rit encore, la main devant la bouche, c'est tellement incroyable qu'elle ait pu oublier, comme c'est drôle.

Chez Mephisto, on essaye des chaussures, plusieurs paires, des demi pointures selon les formes plus ou moins étroites, grâce à l'efficacité de la vendeuse, adorable. Finalement restent un modèle noir et un beige, qu'elle a maintenant aux pieds.
- Alors tu préfères lesquelles, celles-ci ou les noires?
Ma mère, pointant ses pieds :
- Les noires ce sont celles-ci? 
- Non, ça, ce sont les beiges. (Tout le personnel du magasin sourit, qui prend juste à l'instant la mesure de la perdition de maman).
Bien sûr, elle n'a plus de souvenir des précédentes. On recommence l'essayage.
- Ah, celles-ci!, dit-elle, catégorique, après avoir passé à nouveau les noires. Ce sont les mieux, celles-ci.
- Bon, très bien, alors on prend celles-ci.
Elle est heureuse. Elle se tourne vers la vendeuse avec un large sourire :
- Eh bien, on peut dire que vous avez bien travaillé!
Le souvenir du plaisir perdure un peu : dans la rue, elle me remercie de ce cadeau.
- De rien, dis-je bêtement.
- Si, de quelque chose.
- Oui, c'est vrai, tu as encore raison. C'est quelquechose.

Une heure plus tard elle ne sait plus rien. Qu'on est sorti, que je lui ai acheté des nouvelles chaussures, qu'elle a été heureuse. En tout cas consciemment, elle ne le sait plus.

"Se souvenir des belles choses" est le titre d'un film de Zabou Breitman, de 2002.