Cela commence par une balade tout ce qu'il y a de plus réelle.
Prenant le RER direction Orly pour me rendre à Ibiza dernièrement, je passe à la Croix de Berny devant cet ensemble dont l'architecture m'a toujours ému, la résidence universitaire Jean Zay (architecte Eugène Beaudouin).
Je vois les bâtiments vidés de tout, se réduisant à des carcasses de planchers et de murs. Réhabilitation, ou démolition ?
Avant même de chercher des informations autre part, je me rue sur le blog architectures de cartes postales persuadé d'y trouver les informations correspondantes. Ce n'est curieusement pas le cas, mais j'échange avec David Liaudet, qui tient ce blog indispensable.
(J'apprends par la suite que le projet de réaménagement a été confié en 2011 à Jean Nouvel, qui indique sur son site, sans rire : "ce projet rend un hommage discret (sic) à Eugène Beaudouin, non dans la lettre comme pourrait le faire un vestige archéologique ou un édifice de notre passé lointain (re-sic), mais dans son esprit, incurablement moderne." Une discrétion qui confine à l'effacement, donc.)
C'est toujours sur le blog de Liaudet que je remarque que l'un des livres mis en vedette sur ses pages est signé de son nom (Royan, l'image absolue, cartes postales de la ville moderne, éditions Le Festin). Il date d'il y a plus d'un an déjà (mars 2014).
Je reprends le billet posté à l'occasion de sa publication, que j'avais loupé, et j'y trouve mention de Serge Daney.
Un lien renvoie à un autre billet posté précédemment à propos de la notion d'image absolue, où Daney est décrit avec "la silhouette amaigrie, la casquette trop grande et ce pull-over improbable.". Ceux qui ont déjà vu L'Itinéraire d'un "ciné-fils" ne peuvent que reconnaître dans ces notations l'accoutrement fixé par la pellicule à cette occasion. Nous sommes en 1992, Daney meurt la même année.
Envie me prend de revoir cette interview fleuve, de retrouver le fil cette pensée claire, incisive, qui s'autorise tous les détours. Un sujet, jamais d'ego. Quelques heures de pur bonheur (que j'ai retrouvées sur Internet ici.)
Et voilà ce que j'entend, qui me ramène à la photo insignifiante d'Aylan Kurdi.
Serge Daney s'exprime à propos des clips "solidaires", où des chanteurs s'affichent au bénéfice d'une cause, par exemple la faim dans le monde, et où l'image des chanteurs se substitue à celle des mourants :
"On pourrait appeler temporairement "visuel" la somme des images de remplacement, pour des raisons très précises [...]. Sur tous les événements qui se passent dans le monde, il y a une image qui vient très très vite couvrir toutes les autres et empêcher les autres : ce qui se passe pour les informations télévisées où tout d'un coup l'image..., même la plus belle image qu'on ait vue récemment qui est le petit bonhomme devant les chars en Chine qui, moi, me fait pleurer - pour une fois il y a une image de la liberté, de la liberté !- mais même cette image, elle a fini par empêcher toutes les autres de la Chine. Maintenant, la Chine, c'est ça [...].
Quand on ne comprend plus rien, quand plus aucune conception de où est l'autre, et de où je suis moi comme autre - car je suis l'autre de l'autre évidemment - quand la question de l'autre a sauté, toutes les images ont sauté et il n'y a plus que du "visuel", n'importe quoi [...] On zoome, c'est-à-dire, c'est le zoom quoi : le zoom, c'est la masturbation."
Prenant le RER direction Orly pour me rendre à Ibiza dernièrement, je passe à la Croix de Berny devant cet ensemble dont l'architecture m'a toujours ému, la résidence universitaire Jean Zay (architecte Eugène Beaudouin).
Je vois les bâtiments vidés de tout, se réduisant à des carcasses de planchers et de murs. Réhabilitation, ou démolition ?
Résidence universitaire Jean Zay, Antony. |
Avant même de chercher des informations autre part, je me rue sur le blog architectures de cartes postales persuadé d'y trouver les informations correspondantes. Ce n'est curieusement pas le cas, mais j'échange avec David Liaudet, qui tient ce blog indispensable.
(J'apprends par la suite que le projet de réaménagement a été confié en 2011 à Jean Nouvel, qui indique sur son site, sans rire : "ce projet rend un hommage discret (sic) à Eugène Beaudouin, non dans la lettre comme pourrait le faire un vestige archéologique ou un édifice de notre passé lointain (re-sic), mais dans son esprit, incurablement moderne." Une discrétion qui confine à l'effacement, donc.)
C'est toujours sur le blog de Liaudet que je remarque que l'un des livres mis en vedette sur ses pages est signé de son nom (Royan, l'image absolue, cartes postales de la ville moderne, éditions Le Festin). Il date d'il y a plus d'un an déjà (mars 2014).
Je reprends le billet posté à l'occasion de sa publication, que j'avais loupé, et j'y trouve mention de Serge Daney.
Un lien renvoie à un autre billet posté précédemment à propos de la notion d'image absolue, où Daney est décrit avec "la silhouette amaigrie, la casquette trop grande et ce pull-over improbable.". Ceux qui ont déjà vu L'Itinéraire d'un "ciné-fils" ne peuvent que reconnaître dans ces notations l'accoutrement fixé par la pellicule à cette occasion. Nous sommes en 1992, Daney meurt la même année.
Serge Daney dans L'Itinéraire d'un "ciné-fils", de Pierre-André Boutang, Dominique Rabourdin. Trois heures d'entretien avec Régis debray. |
Et voilà ce que j'entend, qui me ramène à la photo insignifiante d'Aylan Kurdi.
Serge Daney s'exprime à propos des clips "solidaires", où des chanteurs s'affichent au bénéfice d'une cause, par exemple la faim dans le monde, et où l'image des chanteurs se substitue à celle des mourants :
"On pourrait appeler temporairement "visuel" la somme des images de remplacement, pour des raisons très précises [...]. Sur tous les événements qui se passent dans le monde, il y a une image qui vient très très vite couvrir toutes les autres et empêcher les autres : ce qui se passe pour les informations télévisées où tout d'un coup l'image..., même la plus belle image qu'on ait vue récemment qui est le petit bonhomme devant les chars en Chine qui, moi, me fait pleurer - pour une fois il y a une image de la liberté, de la liberté !- mais même cette image, elle a fini par empêcher toutes les autres de la Chine. Maintenant, la Chine, c'est ça [...].
Quand on ne comprend plus rien, quand plus aucune conception de où est l'autre, et de où je suis moi comme autre - car je suis l'autre de l'autre évidemment - quand la question de l'autre a sauté, toutes les images ont sauté et il n'y a plus que du "visuel", n'importe quoi [...] On zoome, c'est-à-dire, c'est le zoom quoi : le zoom, c'est la masturbation."
Quand on ne comprend plus rien, quand plus aucune conception de où est l'autre, et de où je suis moi comme autre - car je suis l'autre de l'autre évidemment - quand la question de l'autre a sauté, toutes les images ont sauté et il n'y a plus que du "visuel", n'importe quoi [...] On zoome, c'est-à-dire, c'est le zoom quoi : le zoom, c'est la masturbation."
RépondreSupprimerUn beau résumé pour notre prochain flyer? Plutôt que nous masturber les méninges comme nous l'avons fait il y a si peu de temps :))