Elle est tout à fait incroyable Jamaica Kincaid. Son dernier livre, Voyons voir, est un petit bijou de lyrisme, de poésie et de drôlerie macabre comme on n'en a jamais lu auparavant.
On y retrouve son phrasé répétitif, obsédant, incantatoire, produisant un charme hypnotique incomparable (mais qui rend la lecture parfois ardue) et sa narration singulière qui n'emprunte jamais les sentiers attendus. La trame fictionnelle se nourrit, comme chaque fois, de l'expérience de l'auteur : ici, il s'agit de l'usure du couple, de la liaison de son mari, musicien, avec une jeune femme, musicienne elle aussi. Leurs deux enfants sont nommés pour l'occasion... Persephone et Heracles. Car la tragédie n'est pas loin. A travers elle, l'auteur questionne le retour du passé dans le présent, la répétition, l'immuable théâtre grec de la destruction.
Aujourd'hui et hier, maintenant et alors (le titre original est See now then), futur, surgissent sans cesse dans le texte et sont interrogés, parfois d'une façon absconse qui pourra évoquer le film de Terrence Malik, Tree of Life.
Le récit avance comme une épopée : on passe de l'Odyssée aux Indestructibles, au fil de la détestation du mari et de ses envies de massacres (la femme, le fils), de l'immensité et du dérisoire de l'amour maternel (les soufflés au crabe pour les enfants qui voudraient un burger), de la lente construction des êtres (maille après maille, comme un tricot), et du temps éternel (la musique, les saisons qui fleurissent).
Le temps qui est, selon l'auteur, le thème du livre. Jamaica Kincaid se défend de toute autobiographie. Mais le portrait du mari, haut comme un rongeur, ne supportant rien, et qui trouve dans son veston un mot de son père décédé lui indiquant la bonne façon de vivre : "Deux maisonnées, deux épouses, deux canapés, deux couteaux", est d'une façon hilarante un décalque de Allen Shawn, son ex, multiphobique, fils de William Shawn, éditeur du New Yorker et célèbre pour avoir mené une double vie avec sa maîtresse (Lillian Ross) à qui était dédiée une ligne téléphonique dans le foyer conjugal. Dans le roman, le si "charmant" Mr. Sweet compare sa femme à Charles Laughton dans Les révoltés du Bounty...
Un extrait, qui donne la mesure de la liberté de l'auteur. Elle décrit son fils Heracles, né depuis peu.
"... Il était si beau mais pas par comparaison avec quoi que ce soit d'autre, il était si beau et plus encore en lui-même. Il avait un pelage épais juste au-dessus des yeux qui le faisait ressembler à un lion ; mais il avait aussi de gigantesques yeux ronds (fermés pour l'heure dans le sommeil, sous le regard de Mrs. Sweet) et cela lui donnait l'air d'un hibou ; mais il avait aussi le nez très épaté, ce qui lui donnait l'air d'un ours imaginaire, un nounours, jouet conçu pour calmer les enfants ; sa bouche, oh sa bouche, était aussi vaste que celle du soleil, ce même soleil qui s'élève au-dessus de l'horizon connu de tous et puis couvre le ciel pendant quelque temps, le temps d'une journée, et être témoin de cet événement, le soleil montant de l'horizon pour couvrir l'étendue du ciel pendant tout le temps qu'il le fait, c'est la définition même du fait d'être en vie ; ses oreilles étaient gigantesques, leur lobe lui-même semblait une de ces fleurs qu'on trouve dans un univers écosystème, et aussi une antenne parabolique, instrument conçu pour recevoir de l'information d'une façon qui n'est pas commune aux autres êtres humains. Tandis que Mrs. Sweet se penchait sur lui, admirant sa forme de nourrisson, sa jeune tendresse, et distinguant dans ses traits radieux d'exceptionnels attributs, elle fondit en sanglots, ses larmes ruisselant impétueusement et en telle quantité qu'elle dut immédiatement les recueillir et les déposer à l'extérieur, formant une mare dans laquelle grenouilles, truites et autres bêtes du même genre allaient vivre et pondre leurs oeufs. Oh se dit-elle, oh, sa beauté me noiera, elle ressemble tant à la force de quelque chose d'immortel : le fleuve à Mahaut, dans l'île de la Dominique, que ma mère devait traverser chaque jour pour aller à l'école ; la montagne vêtue d'arbres, qui tantôt se parait du vert étincelant des feuilles nouvelles et tantôt de l'or aveuglant des vieilles feuilles..."
Voyons voir, de Jamaica Kincaid, est paru aux éditions de l'Olivier.
Aujourd'hui et hier, maintenant et alors (le titre original est See now then), futur, surgissent sans cesse dans le texte et sont interrogés, parfois d'une façon absconse qui pourra évoquer le film de Terrence Malik, Tree of Life.
Le récit avance comme une épopée : on passe de l'Odyssée aux Indestructibles, au fil de la détestation du mari et de ses envies de massacres (la femme, le fils), de l'immensité et du dérisoire de l'amour maternel (les soufflés au crabe pour les enfants qui voudraient un burger), de la lente construction des êtres (maille après maille, comme un tricot), et du temps éternel (la musique, les saisons qui fleurissent).
Le temps qui est, selon l'auteur, le thème du livre. Jamaica Kincaid se défend de toute autobiographie. Mais le portrait du mari, haut comme un rongeur, ne supportant rien, et qui trouve dans son veston un mot de son père décédé lui indiquant la bonne façon de vivre : "Deux maisonnées, deux épouses, deux canapés, deux couteaux", est d'une façon hilarante un décalque de Allen Shawn, son ex, multiphobique, fils de William Shawn, éditeur du New Yorker et célèbre pour avoir mené une double vie avec sa maîtresse (Lillian Ross) à qui était dédiée une ligne téléphonique dans le foyer conjugal. Dans le roman, le si "charmant" Mr. Sweet compare sa femme à Charles Laughton dans Les révoltés du Bounty...
Un extrait, qui donne la mesure de la liberté de l'auteur. Elle décrit son fils Heracles, né depuis peu.
"... Il était si beau mais pas par comparaison avec quoi que ce soit d'autre, il était si beau et plus encore en lui-même. Il avait un pelage épais juste au-dessus des yeux qui le faisait ressembler à un lion ; mais il avait aussi de gigantesques yeux ronds (fermés pour l'heure dans le sommeil, sous le regard de Mrs. Sweet) et cela lui donnait l'air d'un hibou ; mais il avait aussi le nez très épaté, ce qui lui donnait l'air d'un ours imaginaire, un nounours, jouet conçu pour calmer les enfants ; sa bouche, oh sa bouche, était aussi vaste que celle du soleil, ce même soleil qui s'élève au-dessus de l'horizon connu de tous et puis couvre le ciel pendant quelque temps, le temps d'une journée, et être témoin de cet événement, le soleil montant de l'horizon pour couvrir l'étendue du ciel pendant tout le temps qu'il le fait, c'est la définition même du fait d'être en vie ; ses oreilles étaient gigantesques, leur lobe lui-même semblait une de ces fleurs qu'on trouve dans un univers écosystème, et aussi une antenne parabolique, instrument conçu pour recevoir de l'information d'une façon qui n'est pas commune aux autres êtres humains. Tandis que Mrs. Sweet se penchait sur lui, admirant sa forme de nourrisson, sa jeune tendresse, et distinguant dans ses traits radieux d'exceptionnels attributs, elle fondit en sanglots, ses larmes ruisselant impétueusement et en telle quantité qu'elle dut immédiatement les recueillir et les déposer à l'extérieur, formant une mare dans laquelle grenouilles, truites et autres bêtes du même genre allaient vivre et pondre leurs oeufs. Oh se dit-elle, oh, sa beauté me noiera, elle ressemble tant à la force de quelque chose d'immortel : le fleuve à Mahaut, dans l'île de la Dominique, que ma mère devait traverser chaque jour pour aller à l'école ; la montagne vêtue d'arbres, qui tantôt se parait du vert étincelant des feuilles nouvelles et tantôt de l'or aveuglant des vieilles feuilles..."
Voyons voir, de Jamaica Kincaid, est paru aux éditions de l'Olivier.
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