« C’est peu après tout ceci qu’Ernie eut la première intuition du vide. Ne voulant pas repasser par le sentier de Wotan, il s’était frayé un chemin à travers les orties de la berge ; et, de la hauteur du talus, avait considéré un instant la prairie avant de s’y engager, tranquillement, d’un pas de cérémonie… Certaines herbes passaient son menton ; plus il pénétrait dans cette eau verte, stagnante, divisible à l’infini, de la prairie, et plus il lui semblait que les vagues d’herbe s’élevaient autour de lui comme si elles eussent l’intention de l’engloutir ou, tout du moins, de l’emprisonner en refermant instantanément le sillage qu’il traçait au hasard de ses pas. Il n’aurait pas su dire si les vagues s’avançaient grandissantes pour le noyer, ou si, au contraire, il s’enfonçait délibérément dans la mer, pas à pas, comme quelqu’un qui abandonne le rivage.
Quand le rivage lui paru suffisamment loin, il s’arrêta et vit à l’immensité du ciel qu’Ernie Lévy était une poussière égarée dans l’herbe. À cet instant, il ressentit le vide, comme si la terre se fendait sous ses pieds, et, tandis que ses yeux jouissaient de l’immensité du ciel, ces paroles virent doucement à ses lèvres : " Je suis rien. "… »
Extrait de Le Dernier des Justes, d’André Schwarz-Bart, prix Goncourt 1959, Éditions Points.
Cette série « immensité » présente des extraits de livres lus récemment dans lesquels le mot immensité apparaît
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