Évidemment, souvenez-vous, le Covid est passé par là, interdisant dans un premier temps les visites, puis les autorisant de façon raréfiée avec des modalités « sanitaires » plus ou moins absurdes : dans un local dédié, derrière une vitre en Plexiglas qui ne servait à rien, et après avoir rempli chaque fois un questionnaire stupide sur l’état de santé du visiteur, le tout minuté dans des créneaux horaires restreints et réservables à l’avance.
Tout cela n’a d’ailleurs pas empêché que ma mère soit contaminée plusieurs fois par le personnel.
Bref. Depuis tout ce temps, la vieille dame se porte bien, sourit, babille et rigole, bien que l’on ne comprenne plus rien de ce qu’elle dit, à part quelques bribes ici et là, et que vraisemblablement elle ne comprenne, en miroir, rien de ce qu’on lui raconte. Qu’importe, puisque interaction il y a, qui semble la mettre en joie et la distraire un peu. Avec le port du masque, on a de toute façon appris à communiquer avec les yeux, de la bille toute ronde au plissement extrême, on parle aussi avec les paupières.
J’ai coutume de dire quand on me demande des nouvelles d’elle : « Elle est toujours sur son tapis volant, elle va bien. » Elle a cependant pas mal diminué physiquement, mais sa gaité et sa malice semblaient demeurer jusqu’ici.
L’autre jour une amie cherche à me joindre alors que je suis dans le rer me dirigeant vers la maison de retraite. En sortant, je dicte un sms, selon mon habitude, pour lui indiquer : « Je vais chez ma mère, là, je te rappelle plus tard. » La fonction dictée du smartphone comprend et inscrit : « Je vais chez Merlin… »
J’en souris. Entre le tapis volant et Merlin, oui, il y a bien quelque chose de magique, en tout cas quelque chose qui se fout de la réalité et va tenter de faire autre chose avec.
Cependant aussi vite quelque chose tempère mon sourire : sans me rappeler bien du Merlin l’enchanteur de Walt Disney, j’ai souvenir d’images plutôt sombres, grises ou marron, d’un petit Moustique vulnérable et d’une épée figée dans une enclume. J’y vois cette fois non plus de la magie mais de l’empêchement, de la lourdeur, de l’impossible.
Ce vilain pressentiment prend corps avec ma mère, que je trouve bizarrement absente ce jour-là, qui met beaucoup de temps à entrer en contact avec moi cette fois. Puis les fois suivantes, en tout cas ce mois-ci, j’ai l’impression qu’elle s’absente, qu’elle se dissout. Est-elle fatiguée? Est-ce le poids des ans? Entre-t-elle dans une nouvelle phase comportementale? C’est difficile à dire aujourd’hui, je n’ai pas assez de recul.
Mais parfois la magie fait disparaître des lapins, ou transforme des foulards en colombe…
Ma mère rieuse va peut être se transformer en mère morne (j’évite, on comprendra, le jeu de mot mère morte).
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