jeudi 30 août 2012

écran total

Août. Je fais le bilan des messages que j'ai postés ce mois-ci. Six.
Sigmund, mes j.o., firmament(s), stèle, technicolor, ramadan. C'est peu, mais cela reflète bien ces quelques semaines.

Cartes postales reçues cette semaine :
en haut, l'île grecque de
Sifnos ; en bas, chapelle
mauresque de Lège-Cap-Ferret.
En proximité, dans ce quartier que je connais peu – j'y réside depuis cet hiver seulement –, j'ai vu les voisins se mettre à l'heure d'été.
Ici les locataires, presque nus toute la journée, ont banni les rideaux et vivent dans les courants d'air et de lumière qui traversent leur appartement ; là c'est la jeune femme de la chambre de bonne sous le zinc des toits, à l'atmosphère sûrement surchauffée, qui passe ses soirées à lire et à téléphoner en nuisette sur un gros coussin qui recouvre entièrement sa micro terrasse (entre scène d'opéra et Paris vu par Hollywood*) ; un balcon tout vilain il y a quelques mois verdit et fleurit en un temps record, pris en charge par un jardinier torse nu. Plus loin, d'autres qui se devinent à demi dévêtus, en taches couleur chair.

Moins plaisant : ce jeune couple que j'ai déjà entendu s'engueuler et qui cette fois, toute fenêtre ouverte, ne nous épargne aucun détail de sa dernière crise. Les portes claquent, les propos enflent, et malgré tout, dans les invectives, on sent une tentative désespérée de rester en lien, ne serait-ce que de cette façon. Il y en a, comme ça, qui ont besoin de tirer sur la corde pour vérifier sa solidité.



C'est les vacances pour d'autres que moi. Je reçois de charmantes cartes postales. Parfois, je flâne dans la ville avec mon amie N. qui, de s'être éloignée de la France, se permet une âme de touriste. Près du Forum des halles en travaux, je lui décris le vilain projet et l'amène devant les palissades qui en affichent une simulation (voir aussi le billet l'affaire du trou, 8 juin 2011). Elle n'en croit pas ses yeux. Soudain, détaillant l'image, je remarque que les passants y sont représentés plongés jusqu'à mi-cuisses dans l'herbe... ou le béton. J'en ricane encore.

Pour me mettre définitivement de bonne humeur, je file voir la Vierge, les Coptes et moi, de Namir Abdel Messeeh, faux vrai documentaire, comédie qui s'intéresse moins à la vérité qu'à la possibilité de l'apparition et aux conditions nécessaires et suffisantes pour qu'on y croit.
Qu'on croit à quoi ? Au retour de la mère, au projet collectif, à la puissance de l'illusion. C'est-à-dire à l'amour, à la politique, au destin. Ou à la parole, au lien, à l'image. Ou ou ou, car la force de ce film faussement maladroit est de multiplier, sans rien paraître, les niveaux de lecture.
Cerise sur le gâteau, ceux qui ne connaissent pas l'Égypte découvriront sa campagne et ses visages magnifiques ainsi que sa singulière gaieté.

Scène du film la Vierge, les Coptes et moi. Au centre,
le réalisateur Namir Abdel Messeeh.


* Il y a une expo sur ce thème par ailleurs à l'Hôtel de ville de Paris à partir du 18 décembre.

mardi 21 août 2012

ramadan

« J'étais Dieu ; maintenant je suis une femme. » 


J'ai évidemment l'esprit retors mais quand j'ai lu cette phrase, je me suis dit qu'elle était parfaite pour clore les festivités du ramadan qui se sont achevées dimanche 19. Fête que j'honore avec gourmandise grâce au talent de Z., experte en pâtisserie ad hoc. Merci encore.

Cette phrase, si elle m'a fait sourire, porte pourtant en elle son poids de souffrance. Il s'agit des propos de Joan, jeune femme schizophrène suivi à Chestnut Lodge à partir de 1953 par Harold Searles.

« Au long des années il devint peu à peu évident qu'elle était engagée simultanément dans deux tâches fort absorbantes. L'une était sa lutte pour naître [...] et ne plus vivre comme un "élément" (illimité, qui pouvait, selon les cas, être la lumière, l'électricité, l'air ou l'eau) et pour avoir un corps à elle dans lequel habiter. [...] mais d'autre part naître signifiait l'abandon de son omniprésence infinie et de son immortalité. Durant ces années-là, elle consacra une bonne partie de son temps, entre les séances, à tenter de construire, au sens propre, un corps (au moyen de toute sorte de matériaux – bois, toile, fils de coton avec lesquels elle assemblait les parties du corps), à tenter aussi de transformer, comme si elle était Dieu, en formes humaines et vivantes, des feuilles mortes et d'autres choses, qu'elle jetait dans les toilettes, persuadée que "les tuyaux" pouvaient servir à créer magiquement la vie. C'est de toute évidence avec des sentiments mêlés d'accomplissement et de perte qu'elle m'a dit il y a six ans environ, lorsque le travail de naissance fut bien avancé : "J'étais Dieu ; maintenant je suis une femme."»

Extrait de : le Contre-transfert, Harold Searles, éditions Gallimard, coll. connaissance de l'inconscient.

lundi 20 août 2012

technicolor

-"Vous n'allez pas la mettre sur Internet, n'est-ce pas," affirme plus qu'il ne le demande le compagnon de la femme aux ongles multicolores dont je viens de photographier les pieds. Pour ne pas mentir, j'esquisse un sourire imbécile en guise de réponse.

Bien entendu que je comptais faire profiter la Toile entière de cette petite fantaisie de manucure. Et il me semblait, ce soir ou nous attendions la projection des Demoiselles de Rochefort en plein air, que toute fantaisie se devait d'être déployée sur grand écran. C'était donc la semaine dernière, soirée finale du festival Cinéma au clair de lune (organisé par le Forum des Images) dans le creux du pont du 15 août. Pas trop de monde, pas de lever de lune, et un Demy bien frais.


samedi 11 août 2012

firmament(s)


À quels cieux se vouer ? Les jours et les nuits s'emmêlent et avec le recul, petites anecdotes et grands événements se retrouvent, comme par l'illusion d'optique que la distance permet, rassemblés les uns avec les autres en toute négligence de leur échelle.

Je me demande ce qu'aurait pensé Ray Bradbury des images qui nous sont parvenues de Mars : photo en noir et blanc rétro dont émane le charme des clichés des découvreurs du Moyen ou de l'Extrême-Orient, photo couleur qui reproduit à l'identique l'image qui naissait dans mon esprit à la lecture des Chroniques martiennes.


Photos de mars : Nasa/JPL-Caltech

Deux jours avant, dans un ciel obscurci que les nuées d'oiseaux avait finalement délaissé, le clair de lune au-dessus de la Place des Vosges rendait hommage au festival de cinéma en plein air du même nom : j'étais avec N., sur l'herbe, à visionner les Diaboliques, de Clouzot, entouré du public le plus éclectique qui soit. Collusion d'écranc : il était si imposant ce disque lunaire, c'était presque Melancholia, de Lars von Trier, qui se profilait au-dessus des toits.

Finalement les étoiles des jo sont plus faciles à suivre pour moi quand les manifestations sont en décalage horaire, à regarder la nuit tombée. Je n'ai rien vu en direct sauf les demi-finales de la perche que j'avais affichées sur un écran alors que je bossais sur un autre : hypnotique ballet des corps s'élevant et chutant, chaque fois rediffusé au ralenti et accentuant cette sensation d'apesanteur et de fluidité comme si l'on assistait à des plongeons diffusés à rebours. Petites vidéos saisies ensuite ici et là, bourrées de tension, de réussite et d'échec. Mon dieu que ces athlètes sont jeunes!




lundi 6 août 2012

mes j.o.

Samedi, l'après-midi me trouve dans une salle de gym quasi déserte : c'est un week-end de transhumance estivale. Moi, je n'ai pas vu la matinée qui s'est perdue dans ma nuit de sommeil : grasse mat'.
Je m'active sur mon tapis de course alors que l'écran plat au-dessus de ma tête, au lieu de diffuser les habituels clips musicaux, affiche les demi-finales du 100 mètres hommes. Des millions de téléspectateurs pour des courses de plus ou moins dix secondes alors que personne ne m'observe, moi qui souffle depuis déjà dix minutes, n'est-ce pas injuste ? 
Les séries s'arrêtent bientôt, j'ai seulement le loisir de voir les 6 et 7, cette dernière avec Dwain Chambers, qui malheureusement est presque plus connu aujourd'hui pour ses déboires avec le dopage que pour ses résultats. 10,02 secondes sur 100 mètres, il passe les 35 km/h si j'ai bien fait le calcul, tandis que moi je fais du sur place à 10km/h. C'est une bien étrange sensation que de courir en même temps que ces athlètes.

Suit une interview de Teddy Riner, sur un plateau télé genre JT, mais nous sommes privés du son dans la salle de sport. 
J'ai fait par le passé l'expérience de mon imbécilité avec ce sportif : j'avais vu de lui une interview filmée il y a fort longtemps, sans doute lors de ses premiers résultats signifiants vers 2005 et son mutisme me l'avait fait ranger dans la catégorie "sportif écervelé". J'avais alors la subtilité d'un Franck Annesse (voir billet Eurologue) et la stature de Riner m'avait sans doute, de plus, trompé sur son âge. Puis les années passant j'ai découvert, comme chacun a pu le faire au travers de la presse et des interview, un personnage d'une toute autre nature. D'ailleurs, le citant l'autre jour, je fais le lapsus suivant : artiste au lieu d'athlète !
Donc je m'amuse, n'ayant que l'image, à décrypter l'expression de la joie tranquille du judoka à la coiffure spiralée, la très douce jubilation qui allume son regard et ses sourires, et le sentiment de plénitude qui semble couler comme une soie autour de ses muscles pleins.

jeudi 2 août 2012

Sigmund

Submergé cette semaine (on le verra, c'est un thème...) d'activités rébarbatives ou réjouissantes, j'ai le sentiment que mon week-end viennois est déjà très loin derrière. La fragile émotion ressentie devant les paysages de Klimt s'estompe déjà et peine à être convoquée et réactualisée. Vibration de la matière peinte : d'étranges cousinages avec les jardins de Van Gogh m'apparurent au musée du Belvédère. 

Mais dans cette ville que je ne connaissais pas, ce qui m'a frappé chaque jour, c'est la multitude de monstres marins, ou plus exactement de combats mis en scène avec des créatures aquatiques. À chaque coin de rue, sur chaque fontaine, au bord ou au centre des plans d'eau, ce ne sont que guerres et corps-à-corps : ici des angelots fessus s'acharnent sur un presque frère à la queue écaillée, là c'est à coups de canif joliment doré à la feuille que l'un d'eux zigouille un poisson démesuré, plus loin ce sont de véritables scènes d'épouvante, des chutes d'êtres marins, renversés jambes par-dessus tête, figés dans leur chair de pierre blanche, ailleurs des pugilat à mains nues...
Cette frayeur du monde des flots orchestrée de façon aussi obsessionnelle dans une ville si continentale était-elle une banale peur de l'inconnu ? Ou bien née de l'omniprésence du fier Danube ? Ou encore de récits fabuleux de la flotte de l'empire d'Autriche ?
Je remarque d'autres sculptures, nombreuses, qui montrent des jeunes gens aux prises avec des chevaux fougueux qu'ils tentent de maîtriser.
Sans doute la science de l'inconscient devait-elle éclore dans ce lieu où l'animalité inquiétait autant que les manifestations des profondeurs habitées.