vendredi 7 septembre 2012

les Doltrucs

«    J'avais à l'époque une grande admiration pour Dolto, pour "Françoise", personnage central de l'École, la magicienne, celle qui, disait-on, opérait des miracles par son écoute. [...] Ce prestige augmenta à partir du congrès de Lille, alors qu'elle annonçait publiquement qu'elle prenait sa retraite pour se consacrer à la mise en ordre de ses notes. En vérité, pour lancer la prodigieuse opération médiatique qui allait doltoïser la France entière et eut pour effet de faire d'elle la papesse incontestée d'une certaine vulgarisation psychanalytique. Cette admiration ne résista pas à l'épreuve des faits. 
   [...] Je ne manquais jamais, sur le chemin de retour de l'hôpital de Meaux à Paris, d'écouter l'émission qu'elle animait chaque jour sur France Inter en compagnie de Jacques Pradel. Cette émission était riche en conseils que je me proposais de mettre en pratique, à présent que je disposais d'une consultation pour enfants au centre de Montrouge.
   Les deux complices évoquèrent un jour la question de l'énurésie, ce mal qui frappe les grands enfants qui mouillent encore leur lit pendant leur sommeil.
   "C'est un trouble facile à traiter, annonça Dolto. Comment ? En plaçant au chevet de l'enfant un verre d'eau. Si la chose ne marche pas, on remplace ce verre par un bocal renfermant un poisson rouge."
   J'étais tellement fasciné par la magicienne que pas un instant je ne me suis posé la question : qu'avait donc de freudien, de psychanalytique, ce magnifique bocal au poisson rouge ? Mais n'étais-je pas au début du long chemin de ma formation ?
   Le lendemain, un mercredi, jour de ma consultation pour enfants, je reçus un enfant de six ans, un petit Portugais qui souffrait d'énurésie. Je me frottai les mains devant une telle aubaine. Après un long entretien avec la mère et l'enfant, je sortis ma botte secrète : le verre d'eau au chevet. Mon intervention n'eut aucun effet, pas plus que le bocal au poisson rouge qu'en désespoir de cause j'administrai. Pendant son sommeil l'enfant finit par renverser le bocal sur sa couche, l'inondant copieusement cette fois. Il était temps d'arrêter les frais. Parlant à mes collègues de ma mésaventure, on me répéta la remarque qui  courait les couloirs de l'École :
   "Les trucs de Françoise ne marchent souvent qu'avec elle". »

Extrait de Le jour où Lacan m'a adopté, Gérard Haddad, Grasset 2002. Le livre existe aussi au Livre de Poche, collection Biblio essai.

1 commentaire:

  1. Recevant ce commentaire alors que j'étais à l'étranger, j'ai malheureusement fait une mauvaise manip' qui l'a supprimé, action irréversible dans l'interface de Blogger. Je le copie depuis le message d'origine. Le voici.

    Yolande a ajouté un nouveau commentaire sur votre message "les Doltrucs" :

    Je n'admire pas Dolto et ne la considère pas comme une magicienne avec des trucs qui marchent à tous les coups.
    En revanche ce qui est unique à mes yeux, révolutionnaire pour l'époque et 'toujours' incompris aujourd'hui par beaucoup de psys et donc mérite d'être souligné: c'est sa capacité à regarder l'enfant avec des yeux d'enfant et non d'avoir le regard d'un adulte dit "éclairé" sur ce que l'enfant sent, ressent, vit, comprend. Elle avait cette capacité de prise directe avec ce monde du tout petit. Peut-être parce qu' elle a su en garder avec sa propre enfance, des traces vivantes pour mieux accompagner cette période tumultueuse et parfois douloureuse.

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