"C'est trop cher!"
La voix est grasseyante, posée, un peu trop forte, connue. C'est son physique qui m'étonne : j'avais toujours imaginé Bernard Tapie plus grand que cela. Quelques bons centimètres de plus que moi, ça reste assez petit.
"Nan nan, c'est trop cher, ça va pas le faire," continue-t-il, le coude haut dressé, à hauteur de son téléphone mobile, les pieds bien campés dans le sol, en plein milieu du couloir. Je me demande, en poursuivant vers ce restaurant d'entreprise où les aléas du métier me conduisent, ce qu'il est en train d'acheter, ou plutôt de non acheter. Un yacht ? Un groupe de presse ? Une mairie ?
"Ben c'est pas votre heure !"
Je vais souvent dans la même boulangerie où l'une des vendeuses m'a "à la bonne". Pour dire qu'elle a ses têtes, celles qui lui reviennent, elle dit : "Ah, moi, j'ai mes gens..." Cette fois mon horaire inhabituel la perturbe :"si c'est pas votre heure je sais plus où j'en suis. Moi mes clients, c'est mes horloges." C'est l'image d'une montre molle que cela fait naître en moi. Pas très croustillant.
"Les parents de son copain sont..."
Je dîne avec ma mère et si je vous épargne une nouvelle photo de ses ongles, c'est que la couleur était la même que la dernière fois. J'attends la prochaine teinte.
Les mots lui manquent, mais lui reviennent parfois plus tard. On regarde le jardin de l'immeuble par ses fenêtres. Elle se félicite que rien ne bouge, que chaque arbre soit immobile car elle y voit un signe de beau temps à venir. "Parce qu'il n'y a pas de..." et le mot vent lui échappe. Avec ses mains, elle mime une rafale, un coup de balai.
Je lui demande des nouvelles de mes neveux et nièces, des enfants adorables qui viennent la voir régulièrement. Elle raconte que l'un d'eux est chez un ami. "Les parents de son copain sont..." et le mot lui échappe. Avec ses mains elle fait de drôle de gestes dans l'espace, comme pour placer des choses à différentes hauteurs, si bien que le mot qui me vient à l'esprit est "acrobates". "Sont juifs", termine-t-elle. Je rigole de bon cœur. Tout cela pour expliquer que l'enfant se rend à une cérémonie religieuse, dont la nature exacte est perdue dans l'oubli.
Elle questionne beaucoup les objets et les meubles qui l'entourent, qui lui paraissent familiers mais incongrus. Avant de partir, je remarque des objets rangés en groupe (lunettes et capuchons de stylos Bic) et je me demande si c'est un hasard.
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