Eternel recommencement. Les mêmes scènes, qui seront de son côté oubliées dans quelques minutes.
Mon arrivée dans la salle où les pensionnaires dînent, ma mère toujours de dos par rapport à l'entrée. Le personnel qui me regarde d'un air entendu, et la fixe pour voir l'imparable effet de surprise, son sursaut quand je pose ma main sur son épaule, le visage qui se lève, la mimique qui mèle stupeur et plaisir et se déforme en rire. Parfois un commentaire : "ah, elle vous attend depuis ce matin!" L'air attendri des gens qui servent le dîner là où ils voient une image de l'amour maternel alors que pour moi s'affiche l'image de la folie grandissante.
La tête de ma mère encore assise qui vient faire contact avec mon corps, touchant mon flanc, et moi, bêtement gêné vis-à-vis des autres pensionnaires qui, je l'invente, doivent recevoir peu de visite.
"Qu'est-ce que je suis contente de te voir." La phrase ponctue le premier quart d'heure de notre rencontre régulièrement, parfois au passé :"Qu'est-ce que je suis contente de t'avoir vu." Et maintenant elle m'idéalise de façon systématique :
-"Tu as de la chance d'être aussi beau. Toutes les filles doivent te courir après!"
Elle ne sait plus tenir une conversation. Sans doute parce qu'il lui manque les mots ("Il est bien ce papier, il est épais", dit-elle en palpant le tissu de mon jean). Elle commence à répondre à une question, puis finit ailleurs, racontant des trucs sans queue ni tête mais qui ont sûrement leur propre logique, un système d'associations peut-être, ou de glissement d'un terme à l'autre.
Elle dit qu'elle aimerait faire "quelque chose".
- "Qu'est-ce que tu aimerais faire ? Réfléchis bien, si il y a des endroits que tu veux voir, où je pourrais t'emmener."
- "Oui je vais réfléchir. Je n'y ai pas encore pensé. Des fois je prends des choses là, et puis on ne sait jamais (avec ses mains elle mime des déplacements), si il n'y a pas de lumière ou si ca ne prend pas, mettre des choses là, ou là par exemple (elle montre le dessous de la table où nous sommes installés), comme ça, dans des petites boîtes."
- "Et alors..., tu aimerais faire quoi ?"
- "Je veux dire que comme ça j'aurais peut-être plus de temps pour te voir."
Je rigole :
- "Eh bien tu exagères, tu trouves que je ne te vois pas assez souvent dans la semaine!"
Elle rigole aussi beaucoup, la main devant la bouche comme elle le fait dans ce cas, presque au bord du fou rire :
- "On est deux idiots", ajoute-t-elle en riant encore, "hein, on est deux idiots mais je crois qu'on se comprend, non ?"
Je ris encore à cette idée, qu'on se comprendrait.
- " Tu dois me trouver zinzingue" commente-t-elle devant mon rire.
Mutation linguistique, elle vient d'accoupler les mots zinzin et dingue. Coup double.
Mon arrivée dans la salle où les pensionnaires dînent, ma mère toujours de dos par rapport à l'entrée. Le personnel qui me regarde d'un air entendu, et la fixe pour voir l'imparable effet de surprise, son sursaut quand je pose ma main sur son épaule, le visage qui se lève, la mimique qui mèle stupeur et plaisir et se déforme en rire. Parfois un commentaire : "ah, elle vous attend depuis ce matin!" L'air attendri des gens qui servent le dîner là où ils voient une image de l'amour maternel alors que pour moi s'affiche l'image de la folie grandissante.
La tête de ma mère encore assise qui vient faire contact avec mon corps, touchant mon flanc, et moi, bêtement gêné vis-à-vis des autres pensionnaires qui, je l'invente, doivent recevoir peu de visite.
"Qu'est-ce que je suis contente de te voir." La phrase ponctue le premier quart d'heure de notre rencontre régulièrement, parfois au passé :"Qu'est-ce que je suis contente de t'avoir vu." Et maintenant elle m'idéalise de façon systématique :
-"Tu as de la chance d'être aussi beau. Toutes les filles doivent te courir après!"
Elle ne sait plus tenir une conversation. Sans doute parce qu'il lui manque les mots ("Il est bien ce papier, il est épais", dit-elle en palpant le tissu de mon jean). Elle commence à répondre à une question, puis finit ailleurs, racontant des trucs sans queue ni tête mais qui ont sûrement leur propre logique, un système d'associations peut-être, ou de glissement d'un terme à l'autre.
Elle dit qu'elle aimerait faire "quelque chose".
- "Qu'est-ce que tu aimerais faire ? Réfléchis bien, si il y a des endroits que tu veux voir, où je pourrais t'emmener."
- "Oui je vais réfléchir. Je n'y ai pas encore pensé. Des fois je prends des choses là, et puis on ne sait jamais (avec ses mains elle mime des déplacements), si il n'y a pas de lumière ou si ca ne prend pas, mettre des choses là, ou là par exemple (elle montre le dessous de la table où nous sommes installés), comme ça, dans des petites boîtes."
- "Et alors..., tu aimerais faire quoi ?"
- "Je veux dire que comme ça j'aurais peut-être plus de temps pour te voir."
Je rigole :
- "Eh bien tu exagères, tu trouves que je ne te vois pas assez souvent dans la semaine!"
Elle rigole aussi beaucoup, la main devant la bouche comme elle le fait dans ce cas, presque au bord du fou rire :
- "On est deux idiots", ajoute-t-elle en riant encore, "hein, on est deux idiots mais je crois qu'on se comprend, non ?"
Je ris encore à cette idée, qu'on se comprendrait.
- " Tu dois me trouver zinzingue" commente-t-elle devant mon rire.
Mutation linguistique, elle vient d'accoupler les mots zinzin et dingue. Coup double.
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