samedi 23 mai 2020

les visionnaires

Je termine ces jours-ci le dernier livre d'un auteur que je suis un peu, Alain Blottière, car c'est un ami d'amie. L'écrivain en question a déjà reçu de nombreux prix, et compte dans son fan club Amélie Nothomb, excusez du peu...

Azur noir
, sa dernière publication, tourne autour de la figure d'un adolescent, comme c'est le cas de plusieurs de ses œuvres récentes, et restitue, par un habile voyage dans le temps, le premier séjour parisien de Rimbaud, la cohabitation avec Verlaine, sa femme et ses beaux-parents, le tout avec un luxe de détails qui donne envie de suivre les déambulations du poète sur Google street. Les spécialistes de Rimbaud n'apprendront sans doute rien, les simples amateurs (dont je suis) ne bouderont pas leur plaisir.

Mais c'est pour une toute autre raison que je mentionne aujourd'hui ce livre. Au cours des cent cinquante et quelques pages, l'auteur dépeint une situation climatique qui se dégrade de jour en jour, depuis des images d'incendies spectaculaires à la télévision jusqu'à une tempête de poussière mortelle qui oblige des pays entiers... au confinement. Extraits.

"La tempête de poussière jaune couvrait une partie de l'Europe et s'insinuait dans les bronches avec ses particules toxiques. Il était recommandé de fermer ses fenêtres et de ne pas sortir, mais la nuée entrait partout et l'on commença à compter les morts. Un de ces derniers jours, Léo fit une tournée d'adieu." [...]
"Cette panne d"Internet, disait-on, était due au nuage de poussière brûlante qui s'infiltrait même dans les centres de données, en particuliers leurs climatiseurs, conjugué à la panique qui poussait tous les confinés à se relier les uns aux autres, saturant les réseaux. Sa mère l'appela, mais cette fois il ne décrocha pas puis l'écouta lui dire dans son message que le nuage n'avait pas encore atteint la Finlande mais s'en approchait, qu'elle se demandait si son vol ne serait pas annulé [...]."

Le livre est sorti début janvier 2020, et je crois que c'est la première fois que je lisais dans un roman le mot "confiné". On peut dire que Blottière a le chic de l'air du temps. Ou que c'est lui le voyant...

Azur noir, d'Alain Blottière, est publié chez Gallimard.



dimanche 17 mai 2020

et après ?...

Semis de confinement, jour 40.
Une semaine déjà que nous sommes dans "le monde d'après". Alors, ça vous fait quoi ? 
Non, je blague, là nous ne sommes que dans l'après-confinement. "Le monde d'après", c'est pour plus tard. Ou alors on va passer dans ce monde-là, celui d'après, tout progressivement sans s'en rendre compte ?... Sans même qu'on nous demande notre avis ?...

J'ai retrouvé le plaisir du vélo. Ce n'était pas interdit de faire du vélo, mais il y a eu tellement de couacs et de déclarations contradictoires émanant des différents ministères à ce sujet que le risque était grand de se trouver devant un flic qui, lui, n'aurait pas été au courant que c'était permis. J'avais la flemme d'une prune et d'une contestation de prune.

Côté monde d'après et légalité, je mets ici un lien très utile, clair et précis, sur les dispositions prévues dans le cadre de la gestion de la Covid 19.
Ne pas se laisser influencer par la banalisation ambiante de la délation. On parle ici de santé publique, et c'est justement une raison de ne pas faire n'importe quoi.

Extrêmement docile, j'ai rédigé
une quantité industrielle d'attestations pendant
le confinement. Et ça, c'est vraiment fini!

samedi 9 mai 2020

vive la vie !


J'ai reçu des masques par la poste : le cadeau d'une amie. Avec ces deux créations en tissu, une carte postale du Japon qui reproduit un très beau Picasso.

Le même jour, une voisine m'offre des boutures. Elle ne sait pas me dire le nom de ses plantes quand elle m'en parle dans le hall de l'immeuble, et, plus tard, elle m'apporte un bocal qui doit venir directement de son rebord de fenêtre. Pourtant, l'une de ces espèces aime plutôt la chaleur : le récipient contient en effet un géranium et des boutures de tamaya, fleur que je connais mal mais qui préfère vivre en intérieur.

"Nature morte avec crâne", Pablo Picasso.

Evidemment plus que les plantes, c'est le geste qui me fait plaisir, mais plus encore la résonance de ce cadeau "green" avec le vert de la carte de M. Je la glisse chez moi sous un cadre ancien en verre biseauté olive et noir qui jouxte un crâne de chèvre.

J'établis une analogie soudaine entre le masque et le crâne d'ailleurs. Sans doute par ce que le jeune homme à qui appartenait ce trophée m'avait raconté que, lors de ses études d'art, son professeur de dessin avait l'habitude de montrer un crâne humain aux élèves, et plus spécialement les rangées de dents, en leur disant : "N'oubliez jamais que derrière tout visage il y a ce sourire... éternel!"
Je ne peux m'empêcher de penser à lui d'ailleurs, emporté par l'épidémie du sida il y a plusieurs dizaines d'années, me demandant quel serait son regard sur la situation que nous sommes en train de vivre. Car nous sommes bien vivants, encore (en tout cas ceux qui peuvent lire cette phrase).

Au 50, rue du Faubourg-Saint-Denis, le PNY (des burgers),
aime toujours amuser la galerie avec son enseigne à thème.

vendredi 8 mai 2020

tentation générale


C'est presque la fin du confinement, dans trois jours, et ça frétille de partout. Les voitures sont déjà en nombre, les passants plus décontractés, invincibles avec leurs masques.
En passant devant ce qu'on appelait avant une supérette, qui a pris la place de ce qu'on appelait avant une alimentation, je remarque l'enseigne récente endommagée qui découvre l'ancienne, et je ne peux m'empêcher de lire "Tentation générale". J'ai le sentiment que c'est le ton ambiant.


Autant le dire : le jour d'après, je n'y crois pas. Cette sorte de monde de demain qui par magie prendrait en compte les erreurs du passé pour faire du mieux. Mouaif. Disons que je suis sceptique, plutôt sur la ligne du Nicolas Mathieu du 31 mars.
Faut dire que j'ai remarqué la clameur au balcon, tous ces gens qui applaudissaient les soignants, faisaient du bruit. Eh bien j'ai aussi remarqué que les jours de pluie, plus rien. Même ceux dont la banderole criait à la face de l'univers : "On n'oubliera pas." Secs au soleil, sur le mode apéro, on est solidaires. Par temps gris, plutôt solitaires. Ce n'est pas une critique, je le conçois fort bien : c'est simplement que c'est tellement humain, comme sans doute de stocker des pâtes et du PQ. On y revient toujours.

Tout le monde veut bien faire, mais en s'économisant au maxi. Un peu comme les masques. Tout le monde veut bien en mettre, mais les mettre convenablement, c'est plus compliqué, pas sûr que ça plaise. Par exemple, si l'on voulait être efficace, les barbus devraient se raser pour porter un masque. (Aie ! crise identitaire en vue, même si on autorise toujours les Stan Smith et les claquettes Adidas). C'est dire.

Donc le signal, c'est cela. Je ne vois pas comment on pourrait faire un demain différent, alors qu'à l'avant-veille de la fin du confinement, tout le monde frémit de vouloir déjà tout refaire à l'identique.