lundi 20 janvier 2020

Gabriel Matzneff et les pièces jaunes

Il y a quelques années (Mince ! déjà 2015 quand je recherche mon billet), j'avais lu et mentionné ici un livre passionnant sur le sujet de la pédophilie, "L'Enfant interdit", de Pierre Verdrager.

Bernadette Chirac.
Ah non, mince, je me trompe encore,
c'est Gabriel Matzneff.
J'avais, à l'occasion de cette lecture, découvert Matzneff et son face à face avec Bombardier, mais j'ignorais finalement que cet auteur continuait à avoir le moindre crédit dans le monde littéraire, en tout cas au point d'être invité, encore, sur les plateaux de télévision. 

Ces jours-ci, ce qui est consternant c'est de s'apercevoir qu'apparemment l'éditeur qui l'édite, les donneurs de prix qui lui donnèrent des prix, ainsi que les inviteurs qui l'invitèrent, aucun n'avait donc lu ses livres... On a envie de faire une entorse à la langue française pour écrire un gros LOL.

En tout cas, suite à l'affaire Springora/Matzneff, une amie m'envoie le lien de cette vidéo France Culture où Vanessa Springora s'exprime, et où Pierre Verdrager intervient également. Il est, comme son livre, pertinent.

C'est amusant comme des choses qui nous paraissaient anodines prennent des couleurs autres ou un sens différent des années plus tard. Les vieilleries se patinent parfois mal.
Prenez l'opération Pièces jaunes par exemple. Du vieux temps de Bernadette Chirac, l'initiative me paraissait sympathique. De la futile ferraille qui devenait tout à coup financement de projets en milieu hospitalier, quelle bonne idée. En plus, c'était pour les enfants et les adolescents (décidément les moins de seize ans intéressent tout le monde).

Mais, aujourd'hui, après plus de six mois de grèves des urgentistes, celles des infirmières et l'état général de nos établissements de soins que la femme du président (responsable des désordres que l'on connaît) viennent quémander nos petites pièces pour l'hôpital, de mon côté, ça ne passe plus, je trouve cela carrément indécent.
Je ne veux plus qu'on reluque ma tirelire.


dimanche 5 janvier 2020

les restes de mon père

Le Partage de la tunique du Christ,
copie par le Greco du grand tableau
en petit format.
Je ne sais pas pourquoi je n'ai pas pensé à lui, à mon père, en visitant l'exposition Greco au Grand-Palais.
Pendant mon enfance, j'associais automatiquement Greco et mon père : c'était l'un de ses peintres favoris, le deuxième étant Georges Rouault, ce qui donne une certaine image du bonhomme...
C'est maintenant en écrivant ces lignes que je comprends mieux ce qui s'est passé.

Enfant, le Greco m'apparaissait sombre et inquiétant. Mes parents, peintres du dimanche, prenaient plaisir à reproduire des oeuvres connues, qui "décoraient" ensuite l'appartement familial : ma mère choisissait un Van Gogh, un Cézanne ou un fauve pleins de couleurs, quand mon père charbonnait un saint martyr ou un christ à la Rouault ; de ses multiples créations était exposé un ersatz du saint Jacques de Greco, une toile très noire d'où surgissait le visage blafard et la main déployée de l'apôtre sur un fond de plis maladroits bruns et jaunâtres. Pour couronner le tout, le tableau était accroché dans l'endroit le moins éclairé du logis, un couloir aux murs tendus, me semble-t-il, de papier peint vert olive.

Je crois que cette représentation du Greco - sombre et inquiétant - ne m'a jamais quitté, même après plusieurs visites au Prado, à Madrid, et malgré aussi les réinterprétations baconniennes.

J'ai eu une toute autre expérience de sa peinture à l'exposition du Grand Palais (en ce moment jusqu'au 10 février 2020). Est-ce la simple luminosité des toiles et des couleurs, ou la franche modernité des visages ? Dans les Christ je ne percevais rien d'inquiétant, mais au contraire l'air de jeunes hommes d'aujourd'hui aux allures messianiques (avec une pensée plus particulière pour un ami d'amie, dénommé Marius), et rien d'austère non plus dans tous ces portraits masculins.

Ou alors est-ce simplement que l'étrangeté a cessé de me paraître inquiétante ?...

Je me suis tout de même interrogé, savoir si, cet homme mort à la fin 2000, je l'oubliais tout à fait. C'est pourtant difficile de vraiment faire l'impasse sur lui car, comme dans le roman de Eric Chevillard, il me colle à la peau à mesure que la vieillesse me rattrape. Dans Sans l'ourang-outan (éditions de Minuit, 2007), il y a ces pages qui m'ont beaucoup marqué, celles où le héros raconte comment, avec le temps qui passe et selon ses mimiques et ses humeurs, il se met à ressembler à son père ou à sa mère. Il a cette jolie phrase : "je vieillis selon leur pente."
Et aussi : "Je m'écartèle. Père et mère se partagent ma chair moins consistance que de la mie. Chacun reprend sa mise et repart de son côté. Pendant quelques années, leurs caractéristiques se sont fondues dans la synthèse : Albert Moindre, c'était moi. Mais la synthèse se défait. Tantôt je suis l'un, Charles Moindre, et tantôt l'autre, Eléonore Moindre, née Caquet."

Mon père, fort jeune.
(J'avais dans un premier
temps écrit "Mon frère", car la ressemblance
est en revanche flagrante,
ce que note l'avisé lecteur Sda !)
Par un curieux fait du hasard, je déjeune aujourd'hui avec une cousine éloignée, qui, dans l'après-midi, rentrée chez sa mère, feuillette d'anciens albums de photos et m'envoie par sms cette image de mon père jeune, photo que je connais bien mais qui me fait vivre une expérience tout à fait inverse de celle citée plus haut. L'impression d'être devant un parfait inconnu dont aucun trait ne me serait familier.


mardi 17 décembre 2019

la soupe à la grimace

Le mois dernier j'ai reçu un gros paquet envoyé par une agence de pub, Clm Bbdo. A l'intérieur d'une enveloppe matelassée, une boîte cartonnée, de belle qualité, très costaud : un genre de cartonnage digne d'une maison de mode ou de produits de beauté. Sur le dessus, un joli graphisme sobre affiche "Eat your tweet" et porte le logo de la marque Liebig.

Dans la boîte, une épaisseur de mousse sombre façonnée accueille dans deux compartiments une brique de soupe et un sachet transparent que recouvre un texte explicatif. L'emballage de la soupe montre clairement une étiquette qui proclame "100 % ingrédients naturels, fabriqué en France".

Regardant tout cela d'un oeil distrait, je suis dans un premier temps frappé par le luxe de cet emballage promotionnel, et je regarde si ici ou là une indication rassurante préciserait "réalisé avec des produits recyclés" ou quelque chose d'écolo responsable. Rien.

C'est ensuite que je comprends le sens global de cette affaire. Dans le sachet transparent, se trouvent des petites pâtes alphabet qui reproduisent le tweet d'un consommateur mécontent. Dans le paquet que j'ai reçu (je ne sais pas si plusieurs déclinaisons existent), c'est celui d'Enya qui dit : "Je suis en train d'essayer de convaincre mon estomac (et mon cerveau) que ma soupe industrielle est délicieuse. (c'est pas gagné)"

La marque, Leibig, donc, conseillée par  l'agence Clm Bbdo, affirme crânement "Nos recettes PurSoup' sont maintenant préparées avec 100 % d'ingrédients naturels. Du coup votre tweet n'a plus de raison d'être. Nous vous proposons donc de le déguster..."

Tout ça pour cela : pour que le consommateur s'entente dire, "tes propos, je vais te les faire bouffer". 

Toute cette onéreuse entreprise pour rendre réelle, par un objet, la violence de cette expression que le Larousse en ligne détaille de cette façon : " 

Faire ravaler ses paroles à quelqu'un, 

l'empêcher de tenir certains propos, l'obliger à les rétracter." Mais sans doute que les communicants trop lol qui ont pondu ce potage publicitaire pensent que Larousse est une marque de teinture pour cheveux. Ou que le langage n'a pas de portée symbolique.

Evidemment il y a plus grave dans le domaine de la violence institutionnelle (les élections algériennes, les réformes gouvernementales, les déclarations d'intérêts frauduleuses avec énormément de bonne foi...), mais pitié, qu'on nous laisse au moins le droit de râler !

jeudi 12 décembre 2019

nous sommes Bagarre


Je m'y suis finalement rendu au concert de Bagarre à l'Olympia. Et je n'ai vraiment pas regretté.

La fosse était pleine de jeunes gens entre 20 et 29,99 ans qui avaient fait la queue une heure au vestiaire pour déposer leurs vêtements d'hiver et vivre légèrement l'expérience du hammam clubbing, et qui pour certains étaient arrivés à 18 h 30 déjà. Quand on aime...


En haut, les places assises et réservées n'étant finalement pas toutes occupées, j'ai pu me rapprocher de quelques rangs et être bien placé pour profiter pleinement du spectacle triple : sur scène, dans la fosse et sur la mezzanine où toutes sortes de publics cohabitaient.
C'est émouvant de voir un groupe relativement jeune se retrouver dans cette salle mythique : chacun des cinq membres de Bagarre a commenté ce bonheur-là, notamment Mus, qui a demandé à la salle de faire du bruit pour "sa darone et son daron", son père venait pour la première fois le voir en concert. Trop mignon.

C'est difficile de décrire un concert. C'est un moment de générosité, une énergie particulière et une sensation de partage bizarre avec des inconnus. En tout cas avec Bagarre, ça pulse.

La Bête et Emmaï Dee sur scène
pendant le titre La Bête voit rouge.
Il y a eu des surprises, notamment l'intervention de Giovanna Rincon, une trans activiste que j'adore (de l'association Acceptess-T), et pour finir les Béruriers Noirs, qui avaient fait leurs adieux sur cette même scène trente ans auparavant. "J'étais même pas né", lance La Bête, en les présentant.

Au second plan, Maître Clap à gauche et La Bête à droite.
Devant au centre, Giovanna Rincon.

Il y a les attendus, ou plutôt les espérés, ces moments où La Bête entre en contact physique avec le public qui le porte. Ce soir-là Mus aussi a volé au-dessus de la foule. A la sortie du concert, entendu dans la foule : "Dieu existe !"

Mus porté par le public sur le titre Kabylifornie.

Ils sont vraiment chouettes ces cinq de Bagarre : il y a La Bête (Arthur), Emmaï Dee (Emma), Mus (Moustapha), Maître Clap (Cyril) et Majnoun (Thomas). On trouve plein d'interviews du groupe sur le Net pour ceux qui aimeraient les connaître mieux.

Presque deux ans de tournée, trois albums, un Olympia... J'imagine qu'ils vont se reposer un peu. Hâte de voir la suite.

roulez jeunesse !


J'aime bien cette histoire créée par Tom Gauld, et je l'avais téléchargée depuis le compte Twitter de l'illustrateur il y a déjà plusieurs semaines.
Je pensais la publier à l'occasion d'un billet où je ferais le bilan suivant,"je suis vraiment devenu un vieux con", constatation qui me paraît criante quand je suis en vélo et que je peste contre le monde d'aujourd'hui, à savoir les trottinettes électriques et les passants qui traversent les rues sous vos roues sans regarder autre chose que l'écran de leur Smartphone.

En ces jours de grève et de galère locomotrice, l'histoire de Tom Gauld prend un aspect presque prophétique (et la proposition précédente "je suis vraiment devenu un vieux con" se vérifie, tonitruante plutôt que criante).
C'est évidemment aussi un prétexte à vous inciter à consulter le site de l'artiste, lien en début de texte.

dimanche 17 novembre 2019

le monsieur des fleurs

En face de mon balcon, de l'autre côté de la rue, dans l'immeuble qui fait face au mien (mais assez proche puisque la rue est petite), il y a un appartement qui possède lui aussi un balcon.
Récemment les locataires ont changé. J'ai constaté, sans les observer vraiment, les allées-et-venues des déménageurs, puis celles des nouveaux habitants, un couple (hétérosexuel) de quadragénaires, pour autant que je puisse en juger.

Un jour, cet été, l'homme du couple est sur son balcon en même temps que je suis sur le mien, et il me lance : "Il est joli votre jardin." Je ne sais pas trop quoi répondre, sinon un "Merci " sonore, car l'organisation de mes plantes me paraît plutôt anarchique, et mon côté de la rue étant plongé dans l'ombre (alors que ce voisin bénéficie d'un plein sud ensoleillé que je jalouse) j'ai plutôt l'impression que la végétation languie chez moi alors qu'elle sera bientôt luxuriante chez lui.
Il est, au moment où il me parle, en train de manipuler quelques maigres tiges censées bientôt grimper sur un fil de fer tiré devant ses fenêtres. "Je commence juste", commente-t-il.

Les semaines passent. Il y a quinze jours je prends conscience que jamais mon balcon n'a été aussi fleuri. L'althéa a déjà perdu fleurs et feuilles, mais le jasmin est encore en forme, ainsi que le sont les géraniums. Poussent ça et là quelques cosmos, des marguerites de toutes sortes, un fuchsia, deux anisodontéas (plante que j'avais découverte grâce à d'autres voisins, dans un autre immeuble)... Les roses des neiges ont déjà éclos et nombre de chrysanthèmes, laissés à l'état sauvage et jamais taillés, ont lancé de longues tiges ployantes à peine capables de supporter le poids de leurs fleurs. Si la liste peut faire impression, l'allure générale est plutôt désolante, à mon sens.

Dans la rue, une fin d'après midi alors que je gare mon vélo, j'entends un petit garçon qui annonce d'un ton sérieux à un adulte à ses côtés : "Je me demande quel cadeau je vais ouvrir en premier..." Amusé, je me tourne vers lui, quand l'homme passant devant moi dit au gamin : "Dis bonjour, c'est le monsieur des fleurs." Je me fige bouche bée.
"Vous avez un joli balcon", ajoute-t-il. Un court instant je l'associe au voisin d'en face, avant de me rendre compte que ce n'est pas lui, mais un locataire d'un étage inférieur. "Il est très beau parce qu'il n'est pas frimeur, il est naturel, explique-t-il encore. Il y en a d'autres qui sont jolis, mais (et il les pointe du doigt et fait une mine de désapprobation en secouant la tête), ils sont frimeurs. Vous comprenez ?" Je rigole et je confirme : "Oui oui, je comprends. Le mien, pour être naturel, il est vraiment naturel !"
Quel plaisir d'être ainsi associé à des fleurs !