vendredi 30 septembre 2011

chambre noire

Aujourd'hui je vous propose un voyage en Afrique.
Au Ghana d'abord, avec Denis Dailleux, photographe qui expose en ce moment à la galerie Camera Obscura, dans le 14e. 

La voile, James Town, Accra, Ghana, 2009. Denis Dailleux.

J'ai connu son travail par ses photos sur l'Egypte : des scènes posées, plutôt centrées autour de portraits de gens de la rue, aux couleurs orientalistes (je simplifie). Depuis quelques années il travaille sur un espace ouvert, la mer, et d'autres petits métiers, ceux de la pêche. Les corps sont libres, presque ou parfois nus, des flous, des bougés trouvent leur place dans des œuvres qui n'ont pas perdu leurs références picturales.
Moi je n'ai pas encore vu l'exposition ; on retrouve aussi ses photos dans le deuxième numéro de la revue 6 mois qui, on l'aura compris, est un peu l'inverse du journal 20 minutes. 6 mois est consacrée au photo journalisme et pour tout savoir sur cette petite sœur de la revue XXI, cliquez par ici.


Photo d'Andrew Esiebo, extraite de la série Femi Kuti and the Afrika Shrine.

Ce sera l'occasion aussi de rencontrer un autre photographe, africain celui-là (du Niger), Andrew Esiebo, autodidacte de talent et sensible raconteur d'histoires. Son site nous offre de nombreux portfolios et trois vidéos (en réalité des œuvres multimédia puisque les images sont fixes) qui disent beaucoup en quelques minutes. Ne pas rater la série soccer worlds, et celle sur les grands-mères footballeuses, alter gogo.


Galerie Camera Obscura, 268, boulevard Raspail, 75014. L'exposition est programmée jusqu'au 22 octobre.

jeudi 29 septembre 2011

body buildings

Parfois le beau temps hors saison me fait un peu peur, comme une menace de fin du monde : ce n'est pas le récent discours alarmiste sur le réchauffement climatique mais le souvenir des images d'Hergé, dans L'Étoile mystérieuse, lorsque le macadam fond dans les rues à l'approche de l'énorme boule de feu qui se dirige vers la Terre (on n'est pas loin alors du film Melancholia, de Lars von Trier, que j'ai regardé avec distraction – comme on feuillette un magazine dans un aéroport – et dont les seuls passages enchanteurs me parurent ceux où la planète annonciatrice de la catastrophe emplit petit à petit le ciel).



Hier il faisait donc très chaud sur Paris mais j'étais depuis tôt le matin, donc à la fraîche, à l'hôpital Georges Pompidou pour une journée de bilan.
On connaît ma méfiance du monde médical que certains observateurs dubitatifs traduisent comme une marque d'exigence excessive ou de ronchonnerie maladive... Qu'ils en soient pour leurs frais ! 
J'ai trouvé ici une équipe très attentive, souriante, hyper pro, de l'infirmier qui m'a accueilli à l'infirmière qui opérait les prélévements, en passant par la doc du service.


Après une première série d'examens (j'étais à jeun et on m'a prélévé plus de sang qu'il n'en faudrait pour une douzaine de boudins), j'ai eu droit à un petit déjeuner dans une "salle de détente" d'où j'avais vue, de loin, sur les serres et les jets d'eau du parc André Citroën (ci-dessus). La matinée n'était pas très avancée mais le soleil chauffait déjà tout.
La pièce était petite et chaque nouvel arrivant obligeait à un réarrangement des sièges dans l'espace car plusieurs patients se déplaçaient en fauteuil roulant. Depuis mon arrivée, j'avais déjà noté deux hommes amputés d'une jambe : des hommes d'un certain âge que j'imaginais atteints d'artérite puisque nous n'étions pas loin du service de cardio vasculaire. Moi-même je devais me soumettre à une échographie artérielle. Je pensais bien entendu à mon neveu récemment amputé d'un bras, et à mon père qui subit plusieurs pontages après la cinquantaine.


Photos saisie sur http://lixow.com/kevin_boilow/divers
Plus tard, d'un autre service situé à un étage élevé, je regardais les bâtiments modernes autour de l'hôpital. J'étais surpris de ne pas voir de fenêtres animées d'images en post it, façon graphisme en 8 bit, car la plupart possèdent des surfaces de baies vitrées importantes. J'aime beaucoup cette petite "mode" qui s'est emparé des bureaux ici et là et je me demande pourquoi dans la presse et sur Internet cela se traduit-il par l'appellation "guerre" : la guerre des post it, post it war etc. L'expression de soi est-elle toujours vécue comme une rivalité agressante ?

L'expérience de l'imagerie médicale est toujours toublante pour moi. Ici, entouré de transparence et d'immeubles de verre, je voyais, selon les examens proposés, l'intérieur de mon abdomen, l'opalescence de mes poumons, le paysage incompréhensible de mon aorte... Tant de plis et replis, tant de formes, de volumes, de chair en moi. Plusieurs fois, l'un des opérateurs échographe écoute les bruits de cet intérieur : bruits métalliques de salle de machine, de tuyauteries géantes bridant des geysers intermittents, réverbération de pulsations, saccades, chuintements... Une autre ville ici.

Détail d'une devanture de pharmacie (eczane)
photographiée à Istanbul.

Quand pour finir je quitte l'hôpital, la chaleur m'impressionne. Dans le ciel pas de planète menaçante mais le ballon Air de Paris flottant comme toujours au-dessus du parc André Citroën.

lundi 26 septembre 2011

les petites choses

"[...] Mme de B. possédait au suprême degré ce qui fait le charme de la vie intérieure : indulgente et facile, on pouvait tout dire devant elle ; elle savait deviner ce que voulait dire ce qu'on avait dit. Jamais une interprétation sévère ou infidèle ne venait glacer la confiance ; les pensées passaient pour ce qu'elles valaient ; on n'était responsable de rien. Cette qualité eût fait le bonheur des amis de Mme de B. quand bien même elle n'eût possédé que celle-là. Mais combien d'autres grâces n'avait-elle pas encore ! Jamais on ne sentait de vide ni d'ennui dans sa conversation; tout lui servait d'aliment : l'intérêt qu'on prend aux petites choses, qui est de la futilité dans les personnes communes, est la source de mille plaisirs avec une personne distinguée ; car c'est le propre des esprits supérieurs de faire quelque chose de rien.[...]"

Ourika, de Madame de Duras, disponible en ligne sur Gallica.

en marchant

J'ai le sentiment souvent que ma vie n'est rien d'autre que cela, une immense balade : passer d'une rencontre à l'autre, d'une surprise à l'autre et parfois, comme je l'indiquais dans les billets précédents, revenir sur des chemins déjà foulés. Je dois décrire des cercles ou des boucles qui s'entrecroisent.

Ce week-end en passant rue Martel devant une cour qui abrite une galerie d'art à laquelle je n'ai jamais prêté attention, j'aperçois de loin une grande peinture qui figure un volatile blanc sur fond noir mais surtout une affiche qui porte le nom de l'artiste, Dominique Digeon.
Je m'approche car j'ai exposé, il y a une vingtaine d'années, aux côtés d'un peintre de ce nom et je ne demande s'il s'agit du même homme ou bien d'un homonyme. 
Sur place je ne sais trop que penser des toiles exposées car je suis distrait : je tente de me remémorer le jeune homme de l'époque et ses peintures, et le propriétaire de la galerie, dans son enthousiasme pour faire apprécier les œuvres, donnent des explications encombrantes. Je l'entends dire à d'autres visiteurs "c'est un peintre d'une cinquantaine d'années", ce qui rendrait vraisemblable notre exposition commune.

La galerie possède une deuxième pièce où sont montrées, dans un esprit cabinet de curiosités (soit un vrai bric-à-brac), une manière de collection permanente et quelques propositions des artistes qui vont se produire prochainement dans le lieu.
Parmi les "permanents", se trouvent des photos de Molinier et quelques images que, sans mes lunettes, je ne sais identifier comme peintures originales ou reproductions. Pensant que l'anecdote amusera Alain, je lui compte l'histoire de l'escarpin agrémenté d'un godemiché mais, à nouveau, le galériste, qui nous écoute, vient commenter ces photos et se rend, involontairement et malgré son intérêt, gênant. 

Photo collage de Pierre Molinier.


Le soir je surfe sur le site de la galerie (Alain Oudin) et je consulte la bio complète de Dominique Digeon. Oui, c'est bien avec lui et quelques autres que j'avais exposé des peintures. J'hésite à lui envoyer un mail. Pour dire quoi ? Je ne sais, et j'hésite encore.  
Je montre à Alain un livre de photos de Molinier, mais comme je m'en doutais, et malgré la possibilité de les regarder au calme, les images ne l'intéressent guère.

mercredi 21 septembre 2011

encore, encore!

Ça m'a fait plaisir d'écrire encore le nom de Marie-Dominique Arrighi, comme un rituel contre l'oubli. J'étais troublé hier de ne pas retrouver trace ici, sur ce blog, de ses émissions radiophoniques rediffusées : j'étais persuadé d'avoir écrit au moins un billet à ce sujet quand je les ai découvertes, avec un lien vers le site de France Culture. Mais j'en ai tellement parlé autour de moi à cette époque que j'ai cru le faire certainement.


Un autre retour amusant au début de ce blog est le fait d'Alain. Le bougre m'a envoyé des fleurs pour fêter les dix ans de notre rencontre, et opérant par le biais d'une boutique sur le Net qui propose des bouquets d'après un catalogue d'images je présume, il a choisi le même que celui qu'il m'avait fait livrer en septembre dernier. Avec des roses si rouges. Je l'avais photographié et mis en ligne le 6 septembre 2010.


Vous vous souvenez ? Cette fois je fais le point
sur les petits bourgeons verts, pour produire un autre type d'image...

Autre manifestation affectueuse dont je me nourris : les gâteaux que Malika m'offre l'autre jour, apportés du bled par sa mère. Il y en a juste quelques uns, ce qui leur confère un caractère de rareté supplémentaire, ambrés comme des trésors que l'on aurait extraits d'un conte oriental.



tour et détour

Ce soir je suis allé visiter un appartement dans un quartier que je connais peu. Il s'agissait selon l'annonce d'un appartement dans un immeuble moderne, avec une loggia de 11, 60 mètres carrés et vue sur le Sacré coeur. Au regard de l'emplacement de la rue, il était sûr que ce cher Sacré Cœur allait apparaître bien petit, mais passons.


Ce qui est amusant c'est de constater une fois sur place que l'appartement se situait dans la Tour Boucry. La Tour Boucry est un immeuble de trente étages, assez vétuste puisque construit au début des années soixante dix, dont j'ai fait la connaissance grâce à Marie-Dominique Arrighi. 

Les lecteurs qui suivent asselineau immensité depuis les premiers jours se souviennent sans doute que j'ai débuté cette aventure avec le bouquin de MDA dans les mains, qui me donnait matière à réflexion sur l'écriture d'un blog et qui devait m'offrir aussi de curieuses coincidences entre son cancer décrit et la découverte dans mon poumon droit d'une framboise imprévue.
Pour rendre hommage à Marie-Dominique Arrighi, finalement terrassée par ce Krabe, France Culture avait rediffusé quatre de ses reportages radiophoniques dont l'un, l'immeuble, marche à suivre, daté du 18 février 1992, sur les habitants de la Tour Boucry (peut-être sont-ils toujours disponibles à l'écoute sur le site de la radio...). Extra.

Moi j'étais évidemment ravi de pénétrer dans ce lieu qui, vu sa taille, possède une équipe de sécurité incendie à demeure (oui, des pompiers en pull bicolore), et qui aligne un nombre considérable de boîte aux lettres, à coup sûr une par appartement, soit 500.
Une fois arrivé là-haut, au douzième étage, la vue était effectivement large (oui, là-bas le petit machin, c'est bien lui, sacré Sacré Coeur, va!) et la loggia, c'est-à-dire le balcon (??!!), aussi décrépie que l'appartement. Tout à fait 1974.




En sortant, difficile de résister à la photo prise de dessous (architecte Jean-Robert Delb, mais je ne sais pas ce qu'il a fait d'autre), et coup d'œil sur le boulodrome qui jouxte l'entrée de la résidence (on ne dit pas la tour Boucry on dit la résidence, il y a interphone et escalier mécanique avant d'arriver au pied du colosse). Car si il a son allure de banlieue (conciliabules d'adolescents en bas des immeubles moches), le quartier a aussi son côté province sympathique (Untel et Intel qui s'interpellent et se saluent d'un trottoir à l'autre).


En passant j'ai eu une pensée émue pour deux anciens amis, Levon B. qui acheta non loin un appartement dont il ne devait pas profiter, et Pierre K., qui habitait dans ce coin quand je l'ai rencontré.

mardi 20 septembre 2011

renouveau

Je reçois tout à l'heure un mail de mon amie C. qui m'incite à me livrer davantage, et à donner ici quelques informations que les plus proches de moi connaissent déjà. 

De retour de vacances, j'ai eu l'occasion de voir mon neveu accidenté, ainsi que sa famille, et ce furent de doux moments. 
La vivacité et l'obstination de l'adolescence rendent indécentes toutes tentations de tristesse : devant mon neveu, la joie de le voir en vie, le plaisir de constater son énergie, le bonheur au spectacle de son être en mouvement qui apprend déjà à vivre avec son corps différent, tout cela balayait les journées d'attentes et les moments sombres passés. Le voici, fier, beau et en devenir, et c'est tout cela qui importe.



C'est en quelque sorte en son honneur que je glisse ici la photo de cette statue mutilée sortant du noir, d'assez mauvaise qualité, prise au musée du Keramikos que je citais précédemment, que je trouve fort belle.

lundi 19 septembre 2011

cartes postales

Bien évidemment Athènes ne ressemble pas aux images que les journaux télévisés diffusaient à mon retour en France et qui laissaient supposer une ville en état d'insurrection. L'ambiance y est plutôt paisible et les quelques manifestations entr'aperçues plutôt bon enfant, bien que partout la présence policière et militaire s'affiche, et parfois, en proximité de Syntagma, en grande tenue anti-émeute.

Impossible dans le petit centre de la ville dévolu au tourisme de sentir la morosité financière : l'afflux d'argent liquide y paraît perpétuel (les paiements par carte bleue sont peu appréciés). J'imagine cependant que si l'on exerce un métier éloigné de cette manne étrangère, cela ne doit pas être très facile car la vie au quotidien semble plutôt chère. En une semaine, nous avons également observé pas moins de deux grèves de taxi : à Athènes ils sont jaunes et colorent le traffic de leur abondance.




Ci-dessus, façon dépliant touristique, quelques photos de mon séjour. 
En haut, le célèbre musée national archéologique. Il faut dire que les musées de la ville sont nombreux et recèlent tous une quantité impressionnante de merveilles (c'en est presque trop).
Moi j'ai été plutôt sensible à la statuaire la plus archaïque (celle que l'on voit dans cette salle du musée) dont de magnifiques pièces sont également exposées au musée de l'Acropole (au premier étage) et au tout petit musée de Kéramikos qu'il ne faut pas négliger d'aller voir.
L'acropole est un site plutôt décevant, que j'ai eu la chance d'arpenter tôt le matin, avant l'affluence des hordes de touristes : on a plutôt le sentiment d'accéder à un chantier. Bruit des machines-outil, échafaudages, grues, monte-charge, cris des ouvriers, baraquements, bâches..., l'émotion n'est pas vraiment au rendez-vous, d'autant qu'il n'est pas possible de circuler à l'intérieur même des temples et donc, de faire l'expérience physique de leur taille imposante. On reste extérieur, décidément étranger.
Plus émouvant à mon sens est le site de l'Agora hellène où les vestiges sont moindres et parfois allusifs, mais où, cette fois, on peut fouler du pied d'anciens lieux publics. Ce joli buste féminin (qui par faute d'être signalé dans les guides comme digne d'attention est donc ignoré des visiteurs) y est dressé sous la colonnade de la stoa d'Attale.
L'incroyable fresque colorée vient du "Pompeï grec", Akrotiri, un site des Cyclades parfaitement conservé à la faveur d'une éruption volcanique. Elle a été déposée au musée national aussi, avec d'autres tout aussi remarquables, représentant des antilopes et un couple de boxeurs (taper fresque Akrotiri dans Google images, vous verrez tout cela). C'est d'une modernité confondante, comme le sont souvent les productions artistiques anciennes.

Et bientôt, une sélection de vraies cartes postales grecques...

jeudi 15 septembre 2011

restauration

Je cherche quelques images qui rendraient justice à la beauté que j'évoquais dans le billet précédent mais au milieu des statues et des paysages photographiés et stockés sur la carte mémoire de mon appareil ce sont des vues plus quotidiennes qui me sautent aux yeux. Celles du petit kiosque à journaux de la place Syntagma qui portait, à mon arrivée, les stigmates des mouvements protestataires et qui, une semaine après, renaissait de ses cendres à la gloire de Coca-Cola ; et celle de ce petit graphisme au pochoir dénonçant visiblement la société de consommation. 

Sur d'autres versions de ce dessin à la bombe, on découvre un deuxième enfant enseveli sous le flot de vomi. C'est bête mais cela m'amuse, et la photo évoque pour moi ce séjour en Grèce : de la pierre endommagée sur fond de nature, un ciel indéfectiblement bleu, un passé qui laisse ses traces et des ombres noires.





mardi 13 septembre 2011

atmosphère


Je suis rentré hier soir de Grèce, après une semaine passée exclusivement à Athènes, ville engorgée de touristes en ce mois aux températures idéales. J'ai peiné, comme on l'imagine, à m'émerveiller de ci et de ça, l'esprit assombri par l'accident récent de mon neveu, dont je recevais heureusement régulièrement des nouvelles par sms. Cependant, la beauté est parfois insolente et la présence précieuse d'Alain rendait tout plus facile.
Dans l'avion au retour, le soleil éclairait des nuages de meringue puis laissait place à une lune presque aussi brillante qui, elle, bleuissait l'horizon suisse, laissant penser que le pays sortait de l'imagination de Joachim Patinir, peintre flamand dont les paysages, en arrière-plan des sujets religieux qu'il traite, sont des splendeurs baignées de bleu et de vert émeraude.




vendredi 2 septembre 2011

pleurir

Hier soir je dîne avec ma mère, dont c'est aussi l'anniversaire dans quelques jours. J'ai acheté un bouquet de fleurs et, dans la rue dont la plupart des commerces sont encore fermés à cause des vacances d'été, je regarde à droite et à gauche, indécis, si j'aperçois une boulangerie où quérir un gâteau.
- Ne cherchez pas pour les fleurs, je suis là ! me lance malicieusement une jeune femme en robe légère qui passe sur le trottoir et a noté mon hésitation. Puis partant d'un petit rire elle ajoute en s'éloignant : elles sont très jolies.


Je trouve ma mère dans un état finalement assez proche du mien, dans une alternance de moments de tristesse quasi organique, qui donne la nausée et pousse les larmes à la surface du visage, et de moments qui s'enivrent de leur propre mobilité, de leur capacité soudaine à ne plus se figer dans ce drame qui nous a comme immobilisés tous. Ne plus penser à l'incompréhensible fracas des jours passés, mais s'éveiller lentement à la vie, comme l'enfant blessé qui lui aussi sort progressivement du coma depuis hier et découvre son corps mutilé. Différent. Rendu asymétrique. 
Penser aux possibles, penser à la force de l'enfant qui saura faire pousser en lui un titan aux cent bras.

Ce matin une amie du journal enterrait son père et j'étais convié par elle à un cocktail post funérailles au centre militaire de Saint-Augustin. Arrivé un peu en avance, et pas très sûr de mon geste, j'entre dans l'église du même nom, sur la place, qui a une silhouette étrange, presque celle d'une grange sur-dimensionnée. Je ne sais pas très bien ce que je viens y chercher : je crois que j'aimerais tomber nez à nez devant mister Dieu et lui dire ma façon de penser. 
À l'intérieur ce qui est prédominant pour moi, ce sont les volutes d'encens et les références byzantines qui imprègnent la décoration. Je me chuchote : "c'est avant l'accident qu'il aurait fallu prier, pas maintenant", et je finis par envier cet homme d'affaire en costume, immobile devant une vierge, avant de m'énerver plus loin, remarquant une représentation de saint Jean-Baptiste : qu'attendre de ce lieu où l'on voit des martyrs présenter leur tête sur un plateau ?!

"Buvons à la vie qui nous reste et à l'exigence de la rendre belle", chuchotai-je à P. quelques instants plus tard. Dieu est peut-être caché dans les fleurs, ou bien dans les bulles de champagne.