J'étais habité, par instant, lors de mon périple au Maroc, de la sensation de la fuite du temps. Mais l'expression est ici une facilité de langage, loin du réel ressenti que j'en avais, où rien de la fluidité qu'évoque pour moi le mot fuite n'avait place. Le rapt du temps ? Le stroboscope du temps ?
Il s'agit en effet beaucoup plus d'un arrêt sur image, d'une opération de flash-back que j'ai vécu à Marrakech.
J'avais déjà mis les pieds à deux reprises dans la ville. Une fois en décembre 1993 — où j'avais accompagné une amie qui participait à une conférence médicale, une autre fois fin janvier 2001, quelques mois après la mort de mon père.
À mon premier séjour j'avais visité peu d'édifices touristiques, principalement les souks et la médina que j'avais véritablement sillonnée de part en part, et les Jardins Majorelle, une agréable parenthèse de calme dans la ville où, alors, les sollicitations des marchands, guides, calèches et autres bénéficiaires du tourisme étaient proprement éreintantes.
De ma deuxième visite, je garde le souvenir des tombeaux saadiens, des cigognes, et de la vie lumineuse dans les rues où les rabatteurs et harceleurs de toutes sortes avaient miraculeusement disparus (ou presque).
C'est en 2003 que la place Jemaa el Fna a été pavée, perdant ainsi son aspect vaguement médieval. Mais plus que les pavés, c'est l'uniformisation des baraques, notamment celle des vendeurs de jus d'orange, qui modifie le visage de la place sans qu'au premier coup d'oeil on sache vraiment ce qui a changé.
J'étais déjà depuis plusieurs jours au Maroc (en fait j'avais quitté Marrakech pour remonter vers Fès, puis étais revenu sur place) quand je découvre un mail de C. (le seigneur des ano-nymes) qui m'exhorte : Un mail en vitesse pour te déconseiller de revoir le jardin Majorelle (Disney Land de cactées)...
Las! C'était trop tard. Accompagné les premiers jours de mon voyage par un ami qui souhaitait voir ces Jardins, nous nous y étions rendus déjà.
Très brefs moment de tranquillité dans les Jardins Majorelle. À éviter. |
Des grappes de touristes déambulent appareil photo à la main dans un lieu qui a perdu tout son charme. Par moment on se croit dans le jardin de cactus de l'aéroport de Singapour. Les bambous sont gravés de prénoms du monde entier. Il faut recadrer son regard (un coin de pot de fleur et un vert végétal) et se boucher les oreilles.
Le jardin accueille maintenant un mémorial dédié à Yves Saint Laurent. Pauvre Yves. La stèle devient une attraction comme une autre devant laquelle se photographier, comme on l'aura fait sans doute préalablement devant la Koutoubia, la Tour de Pise, la Tour Eiffel etc. Pause déhanchée, suggestive, la main appuyée sur la colonne de pierre.
Parfois c'est au contraire juste un support pour poser l'appareil qui, en mode retard, va fixer l'image d'une bande de joyeux ricaneurs en short.
- « C'est n'importe quoi, c'est un parfum Yves Saint Laurent !, » hurle un gamin d'une dizaine d'années.
- « Mais avant d'être un parfum, c'était un monsieur, » explique sa mère qui se paye de sa minute éducative de la journée.
Je n'ose croire, comme on veut bien le dire, que les cendres de Saint Laurent aient été dispersées en ce lieu, mais plutôt dans le jardin de sa propre maison, à quelques mètres de là.
Donc une double coïncidence pendant que nous étions tous les deux au Maroc sans le savoir. Cette impression de la fuite du temps pour moi aussi là-bas... Et cette idée qui m'est venue, en visitant le jardin Majorelle, que ce n'était pas possible qu'Yves (on peut l'appeler par son prénom puisque l'on sait que ce n'est pas qu'un parfum) n'avait certainement pas été dispersé ici.
RépondreSupprimerR. I. P., Yves.
Le Seigneur des Ano.