mardi 5 mai 2015

deux semaines

Cinq fois. Hier soir dimanche, c'est la cinquième fois que je rends visite à ma mère dans cette maison de retraite depuis qu'elle y est entrée le 21 avril.

Visiblement l'adaptation va être plus difficile et plus longue pour moi que pour elle. 
Dimanche nous avons dîné sur place : afin de l'acclimater au lieu nous évitons les sorties du soir, aussi pour ne pas risquer de la confronter aux troubles que je citais à la fin de mon dernier billet la concernant.
Elle est très joyeuse. Elle paraît tout à fait en forme, tout à fait tranquille. Elle s'est prise d'affection pour une serveuse qu'elle s'est persuadée de connaître déjà. Elle lui invente une vie.
- Tu la connais, non ? Elle est très sympa, elle habite le quartier. Avant elle habitait rue Daguerre, elle avait un autre métier.
- Ah bon, elle faisait quoi ?
- Elle faisait des trucs comme ça (elle trace un rectangle invisible sur la nappe, avec son index), on pouvait la voir si on voulait, les gens passaient, comme ça, mais ce n'était pas obligé.

Elle est tout à fait dingue, dans un délire permanent mais léger. J'ai l'impression que si la chambre a un effet contenant bienfaiteur par sa petitesse, l'organisation sociale du lieu pourrait bien la rendre plus dingue encore. Mais c'est difficile à savoir.

De sa chambre, qui donne sur une large cour, sans vis-à-vis, on voit un grand escalier de secours, vaste hélice couleur zinc. Dans un premier temps elle l'a trouvé très moche. Ce soir, depuis la table où nous dînons, nous avons vue sur lui aussi.
- Cet après-midi je suis montée là-haut (elle fait un geste hélicoïdal avec le doigt). Eh bien ce n'était pas facile avec la pluie.
Tout cela n'a bien sûr pas eu lieu. Elle me fait pourtant une description de la pluie tombant au travers des marches qui pourrait m'en faire douter.
- Tu as dû avoir une belle vue de là-haut...
- Oui, c'est très beau.
- Mais je pense que c'est interdit d'aller là, non ?
Elle est radieuse à l'idée d'avoir fait quelque chose d'interdit :
- Oui, mais je le fais quand même. C'est ce qui fait mon charme...

Après on rejoint sa chambre. C'est difficile maintenant ces heures à passer avec elle, sans la distraction du repas à préparer, le couvert à dresser, la vaisselle à faire qui étaient prétextes à lui faire répéter du vocabulaire, écrire le nom des couleurs etc. 
Je suis plus perdu qu'elle ici. On parle, mais c'est difficile de dire de quoi on parle vraiment. On dit juste qu'on est là, ensemble.
- Tu dois en avoir marre de mes élucubrations!, dit-elle soudain.
- Mais non, pas du tout maman.
Je ne sais pas jusqu'à quand cela va durer.

Elle s'endort encore, comme d'habitude, en m'écoutant lire une aride nouvelle de Jerome Charyn.

1 commentaire:

  1. A propos de cet histoire vraie/fausse d'escalier, c'est merveilleux de pouvoir s'échapper vraiment, uniquement avec sa tête comme si cela s'était passé.
    Comme quoi les hallucinations font partie de notre vie, c'est juste une histoire d'intensité....
    Courage pour ton adaptation à cette nouvelle tranche de vie avec elle. Toi aussi tu es créatif...tu as de la ressource?
    Tendres bisettes

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