mardi 12 mai 2015

le temps, l'âge

- Tu as encore grandi!
- Ah bon ?
- Ah, oui, c'est sûr!

Cela fait quelques mois que ma présence lui est importante d'une façon très significative.

Quand ma mère ouvrait la porte de son appartement, ma présence provoquait chez elle un petit éclat de rire, elle criait mon prénom comme si c'était incroyable qu'on se trouve en présence l'un de l'autre, puis elle commentait :
- Je suis tellement contente de te voir, tu m'as tellement manqué.
- Mais maman on se voit deux fois par semaine! On s'est vus il y a trois jours.
- Oui je sais, mais tout de même...

Ce processus s'est amplifié de mois en mois. L'éclat de rire se mêle aux pleurs de joie, parfois à un léger trépignement, elle vient vers moi et pose sa tête sur mon torse :
- J'avais peur qu'on ne se revoit plus jamais !
- Mais enfin maman, on se voit toujours plusieurs fois par semaine, il ne faut pas avoir peur de ça, on se voit toujours.
- Oui je sais je sais, c'est idiot, c'est comme ça.

Aujourd'hui cela s'est encore accru. Quand je la rejoins dans sa maison de retraite, parfois elle crie mon prénom en levant les bras au ciel, court vers moi et se précipite dans mes bras. Spectacle plutôt embarrassant : un badaud croirait des retrouvailles après des années de séparation.
- Comment ça va maman ? Est-ce que tu es heureuse en ce moment ?
- Oh oui, quand je te vois, ça va.
- Oui mais quand tu ne me vois pas, comment ça se passe dans la journée ?
- Oui, ça va.
Elle me parle en me touchant le bras, la main. Elle m'observe beaucoup, commente souvent mes cheveux, mes chaussures, et le fait que j'ai l'air fatigué. Elle pense fréquemment que je grandis. Sa folie me transforme.
- Tu es formidable.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Tu as encore rajeuni...
- Moi ? Mais non maman, je suis un vieux monsieur maintenant...
Elle, estomaquée :
- Pas du tout. Là c'est bien, là aussi c'est bien... (Tout en disant cela, elle se touche le visage, le front, les tempes, les pommettes, le menton, en tirant légèrement, comme lorsque l'on se fait un faux lifting devant le miroir).
- Bon, si tu veux. Mais j'ai 54 ans maintenant.
- Ce n'est pas possible. Tu dois te tromper.
- Non, je t'assure. Et on ne peut rien y faire.
- Tu crois ? Si on peut y faire quelque chose, je te le donnerais.



 

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