jeudi 25 avril 2019

la Nuit des taupes

Samedi soir, grâce à mon amie F., j'assiste à la dernière de La Nuit des taupes, mise en scène-scénographie de Philippe Quesne, au théâtre des Amandiers (Nanterre).

La fin du spectacle avec le salut des acteurs qui montrent leur visage pour la première fois.
Du théâtre sans texte et sans acteurs, c'est gonflé.
Enfin sans acteurs visibles, car les six "joueurs" sont dissimulés tout du long dans leurs costumes de taupe. Et ils sont l'air de bien s'amuser, même si la vie de taupe génère pas mal de mélancolie. Décor destroy de carton pâte et de vers de terre. Musique en live, forcément underground.
Souvent les tableaux un peu absurdes suscitent le rire d'une partie du public. Moi j'ai trouvé ça plutôt grave.
Reste qu'une fois le parti pris théâtral accepté, j'aurai aimé plus de contenu. A la fin du spectacle, me prend une furieuse envie d'être sur scène dans un costume de taupe à batifoler plutôt que de regarder les acteurs le faire sur scène. Léger ennui.

jeudi 18 avril 2019

impermanence

Je suis souvent décalé, dans l'après-coup (j'ai d'ailleurs un sérieux esprit d'escalier), et je n'ai donc pas suivi en direct l'incendie super star de lundi soir.

Je travaillais, et la personne que je recevais à ce moment-là venait juste d'apercevoir au loin, avant d'arriver chez moi, l'impressionnant panache de fumée. C'est donc elle qui m'a annoncé "Il y a un incendie à Notre-Dame". Je dois avouer que je ne me suis pas inquiété. J'ai pensé : nous sommes dans un monde moderne, tous les matériaux doivent être traités et retraités contre le feu et les charpentes doivent aussi abriter, bien dissimulés, quantité de dispositifs anti-incendie. Le truc va être étouffé en cinq sec.



C'est plus tard sur mon mobile que j'ai découvert les premières images qu'un ami photographiait sur son poste de télévision pour me les envoyer. La lumière violette de l'écran capturé par son téléphone ajoutait encore à l'irréel de la chose. Quand il m'a annoncé "la flèche est tombée", j'ai enfin compris.

Evidemment l'ampleur du sinistre. Mais aussi l'évidence de la vulnérabilité de ces constructions humaines, la limite de la technique face aux éléments naturels, la petitesse des hommes, la compression du temps (quelques heures qui font s'envoler en fumée quelques siècles)..., bref tout ce qui nous est tombé dessus comme des poutres enflammées et qui nourrit depuis nombre d'articles ici ou là.

Ce soir, dans une gare RER, j'ai regretté de ne pas avoir le temps de saisir la scène suivante (j'étais sur un escalier mécanique qui m'en éloignait) : une femme se tenait devant une affiche reproduisant la couverture d'un hebdo, Le Point je crois, figurant Notre-Dame en feu. Je la voyais de dos, au milieu des flammes puisque l'affiche était plus grande qu'elle. Mais surtout j'étais touché de l'attention qu'elle avait à l'image, je voyais qu'elle la détaillait, elle scrutait telle ou telle partie de l'édifice que sûrement sur des photos plus petites elle n'avait pas pu voir avec autant de précision. Une attention douloureuse, c'est ce qui m'a semblé, comme quelqu'un qui regarderait un patient couvert de bandages.

Moi-même auparavant j'avais regardé les pages du Monde réalisées avec des photos où un système de glissière permet sur la même image de comparer avant et après.
J'ai eu un petit pincement au coeur car il me semble que le journal avait fait la même chose pour des villes ou des monuments syriens...

dimanche 14 avril 2019

de la fidélité

Par un drôle de hasard, plongé dans la paperasserie cet après-midi, je tombe, entre deux papiers qui n'ont rien à voir, sur le ticket d'entrée havrais du spectacle Dance With Dinosaurs, que j'évoquais hier.

Evidemment cette découverte m'interroge sur la question de la trace, sur celle de la fidélité aussi, motifs qui m'invitent à évoquer un autre personnage, aperçu au Théâtre de Vanves jeudi soir, que j'ai déjà cité ici dans ce blog, Yves-Noel Genod.

J'ai l'habitude que l'on ne se souvienne pas de moi, et d'une certaine façon, cela me convient parfaitement. Je n'ai pas un physique saisissant, et je suis rarement celui qui se fait remarquer. En revanche, que quelqu'un avec qui j'ai partagé une certaine intimité ne se souvienne pas de moi, cela me surprend. 
C'est ainsi qu'en 2011 ou 12, je ne sais plus trop, j'avais eu plaisir à aller voir un spectacle de Yves-Noel au Théâtre de la Bastille, heureux de sa réussite de metteur en scène, c'était, je crois, la première ou la deuxième fois qu'il était programmé à Paris même. Nous ne nous étions pas vus depuis des lustres, mais ayant quelques amis en communs, j'imagine qu'il avait de mes nouvelles comme j'avais des siennes.
Après la représentation, le hasard nous avait réunis dans le même restaurant, et Yves Noel avait feint de ne pas me reconnaître, ou ne m'avait pas reconnu réellement. J'étais en compagnie de mon amie Fabienne, à laquelle il avait joué un tour pendable peu avant, se désistant au dernier moment d'une pièce qu'elle mettait en scène, et j'avais imaginé alors qu'une forme de gêne pouvait aussi expliquer cette distance et cette amnésie. Bien qu'il puisse être coutumier du fait puisque je l'avais moi-même remplacé dans le passé pour la tournée d'une chorégraphie qu'il n'avait pas souhaité honorer...

Deux Polaroids rephotographiés aujourd'hui. A gauche un autoportrait,
à droite Yves-Noël. On avait fait ces photos chez moi, en 1989, dans un atelier
d'artiste situé le long du bassin de La Villette.
Le revoir au Théâtre de Vanves m'a troublé. Bien sûr son regard s'est posé sur moi sans s'attarder, tandis que je calculais que trente années séparaient ce moment de notre lointaine rencontre. Contrairement à moi, à son habitude il faisait tout pour être remarquable, depuis son attitude jusqu'à son look : ses cheveux facticement blonds, un chapeau brun Yohji Yamamoto et un ensemble vert d'eau - sûrement griffé lui aussi - lui donnaient l'allure d'un personnage de cartoon.
J'étais étonné de voir son visage vieillir ainsi : je l'aurais imaginé se creusant, s'émaciant, je le voyais plutôt plein, rond, comme gonflé de savantes piqures.

Le sachant très très prolixe sur les réseaux sociaux, je suis allé sur son blog voir s'il relatait quelque chose du spectacle de danse regardé ensemble jeudi. Rien.
En revanche, lisant ça et là plusieurs textes, je découvrais dans l'un qu'il se plaignait qu'on l'oublie ("tous mes amis ont maintenant des postes — et, quand un ami accède à un poste, notre amitié disparait de son champ de vision"), puis, dans un autre, qu'il situait sa naissance dans les années soixante-dix, ou quatre-vingt selon comment on comprenait la phrase "nous ne sommes plus dans les années soixante-dix qui ont précédé ma naissance". Assez surpris, j'ai consulté sa fiche Wiki, pour apprendre sa date de naissance "présumée" : 1972. Il aurait donc eu, quand nous nous sommes rencontrés, 17 ans. Fichtre, il ne paraissait pas si jeune...

Des traces et de la fidélité. On peut difficilement vouloir effacer les première sans sacrifier la deuxième.


Un autre Pola pris le même jour,
à la lumière rouge également.


samedi 13 avril 2019

Dance With Dinosaurs

Jeudi soir j'étais au Théâtre de Vanves revoir Dance With Dinosaurs, la chorégraphie de Léonard Rainis et Katell Hartereau.

J'avais déjà vu ce spectacle, au Havre, fin janvier 2017, et je ne sais pas pourquoi ce blog n'en porte pas trace (j'avais dû, j'imagine, en faire "publicité" sur Facebook plutôt qu'ici). Mais il y a tant de choses que je souhaite consigner sur ce blog et pour lesquelles le temps me manque et m'a manqué... Mes rares lecteurs sont au courant...

Je me souviens que je n'avais fait que l'aller-retour, avec une nuit dans un hôtel proche du théâtre Le Phare, et qu'un retard de train avait failli me faire rater le début de la représentation.

Quoi qu'il en soit c'était très agréable de revoir cette pièce de qualité, dont je m'étonne qu'elle ne soit pas programmée plus souvent. Léonard m'avait expliqué, au Havre, que la nudité des danseurs et des danseuses était un frein à cette programmation.

La scène d'ouverture est très belle, découvrant, dans une obscurité trouée de lumière, des fragments de corps qui semblent des roches, tandis qu'un bruit de gouttes d'eau dirige notre imaginaire vers des grottes souterraines. Petit à petit les corps s'animent et on identifie cinq danseurs et danseuses (Philippe Lebhar, Joachim Maudet, Yannick Hugron, Louise Hakim et Marie Rual).
Difficile de décrire la suite du spectacle : l'expérience du spectateur est totale, rendu sensible à la singularité des corps et à leurs mouvement propres, comme à l'ensemble des rencontres proposées sur le plateau.

Selon le fameux adage less is more, ce minimalisme apparent - la danse nue, la bande-son économe d'effets - produit beaucoup.
Et l'on sait le travail qu'il faut fournir pour cette humilité-là.

Ici la bande-annonce sur Vimeo.


jeudi 11 avril 2019

Catherine Daniel

Hier soir je fais la cuisine en utilisant, consciemment, deux bols made in China que m'avait offerts Catherine D., cette amie que j'évoquais dans mon dernier billet, cette amie qui fut si vivante et qui est si terriblement morte depuis le 4 avril.

Je reste un moment interdit en fixant le fond des céramiques, comme si les motifs, avec leur naïveté, leur simplicité, et la répétition qui évoque l'infini, pouvaient me livrer un message, m'enseigner quelque sagesse, me parler de l'insignifiant et de l'éternité.
Ils racontent aussi quelque chose de nos partages en tête-à-tête, loin des fêtes mémorables que Catherine et R., son ancien ami, donnaient dans leur maison de Montreuil : ces moments de pudeur et de brusqueries où l'on se confiait l'un à l'autre par-dessus la table d'un café.

Ce matin je vais à la cérémonie au crématorium, et je reste assez étranger aux discours que prononcent les membres de sa famille, ne retrouvant Catherine que dans les photos qui défilent sur un écran au centre de la salle, pouvant difficilement détacher mon regard de la succession de ces moments figés, puis dans quelques mots par lesquels R. relate sa ou plutôt ses premières rencontres avec Catherine. 

On sait bien que ce qui fait l'autre, c'est aussi la part de lui qu'on a intégré à l'intérieur de soi. Donc je repars avec ma part de Cathoune à l'intérieur de moi, cheminant puis déjeunant avec M., qui vit ce décès, elle aussi, dans sa singularité.

Des heures plus tard, c'est-à-dire ce soir, j'essaye de chasser les idées de justice et d'injustice qui me viennent en tête quand je retrouve ma mère dans sa maison de retraite, ma mère si vieille dont la raison est arrêtée mais dont la vie continue. Je grince un peu à l'entendre déclamer, comme habituellement, "je t'aime je t'aime je t'aime tellement", alors que j'en ai sûrement moins besoin que le jeune C., le fils de Cath, qui est maintenant sans sa maman. Quand je pense que certaines personnes ont inventé le concept de dessein intelligent...

N'ayant aucune honte à mes rituels païens et magiques, une fois rentré chez moi je farfouille dans mon iPhone et j'attribue au profil de Catherine une photo qui date de quelques jours avant son décès, où elle est belle et fière, bien que son numéro ne sonnera plus jamais.
Puis je relis un de nos derniers échanges de sms, et ses phrases qui m'ont donné l'impression de rentrer dans son corps, lorsque je les ai lues : "C'est superbe de t'avoir parlé.
Je le ressens."

Un vrai cadeau. Chacun intègre l'autre.

lundi 8 avril 2019

et mourir aussi

Je me promène rarement dans ce quartier, et c'est il y a maintenant trois semaines que j'ai découvert l'imposant Monument aux morts parisiens boulevard Ménilmontant. Pour ceux qui ne le connaissent pas, c'est, sur le mur du cimetière du Père-Lachaise, une longue plaque de métal de plus de 270 mètres portant le nom de tous les soldats parisiens morts à la guerre de 14-18 : 94 415 exactement, répartis selon les années du décès.

Détail du Monument aux morts parisiens,
le long du cimetière du Père-Lachaise.
J'ai longé le monument en cherchant à chaque année si mon patronyme y apparaissait. Finalement j'ai trouvé un Asselineau en 1917. Sur le site Mémorial 14-18, on peut avoir des informations supplémentaires sur les soldats. La date exacte et le lieu du décès, et pour certains d'autres infos encore. Celles que je tiens sur ce Georges Eugène ne me viennent pas de cette source mais de ma soeur et de sa passion de la généalogie : le pauvre homme est mort une quinzaine de jours avant ses vingt ans, il était mouleur de profession.

Ce jour-là donc, je remonte le boulevard joyeusement car je vais faire des courses, qui me réjouissent d'avance, dans une échoppe qui n'est ouverte que les samedis. C'est d'ailleurs un jour de légèreté où il fait très beau, et ce côté-là du cimetière est pour moi le côté touristique, presque distrayant du lieu.

J'ai quant à moi l'habitude de l'entrée côté Gambetta, proche du crématorium, où je me suis rendu de trop nombreuses fois à mon goût dans ma jeunesse, et que je vais retrouver amèrement mercredi prochain pour célébrer une amie disparue brutalement. Le genre de personne dont on aurait dit "Elle est la vie même", et pourtant.

Exemples de créations du Tampographe Sardon, rue du Repos à Paris.

Mais donc, je viens de l'écrire, ce jour-là je ne sais rien des événements tragiques qui se développent dans l'ombre et je rejoins, rue du Repos, l'atelier-boutique du Tampographe Sardon, découvert je ne sais plus comment au hasard d'Internet. L'artiste, créateur d'images et de tampons, est un as de l'humour noir et du "mauvais esprit" poétique. Il réalise notamment des oeuvres plus ou moins grinçantes ou décalées, en bi ou trichromie, à refaire chez soi avec les tampons ad hoc, dont l'exemple ci-dessus n'est pas le meilleur, mais je souhaitais rester dans mon thème...

lundi 1 avril 2019

vieillir, donc...

... pour répondre au commentaire de SdA, lecteur à l'oeil de lynx.
L'autre jour j'étais chez le coiffeur - à l'endroit même où, environ un mois avant, à l'issue de ma dernière coupe, un homme avait commenté : "Vous avez-gagné cinq ans!" (traduire : vous avez rajeuni de cinq ans) -, et alors que Sélim officiait à la tondeuse, je n'ai pas reconnu immédiatement mes propres cheveux tombant sur mes cuisses. Incrédule, il m'a fallu quelques secondes pour admettre que ces touffes grisâtres, qui me faisaient penser à la bourre qu'un âne aurait laissée à un fil barbelé, étaient bien mes cheveux, les miens, ceux qui poussent maintenant sur ma tête.
En entrant, curieusement, j'avais noté que le coiffeur lui-même présentait une zone argentée sur la tempe.
- C'est incroyable ce que mes cheveux sont gris maintenant, ai-je lancé à Sélim, ils n'étaient pas comme ça quand on s'est connus !
Je ne calcule pas, d'ailleurs, depuis combien d'années je le connais.
Il sourit. J'enchaîne sur le devenir du restaurant en face dans la rue, qui ne cesse de fermer et de changer de propriétaire. A ce propos, Sélim m'annonce que celui de ses nombreux frères qui travaillait à ses côtés dans le salon de coiffure va ouvrir son propre commerce non loin. C'est aussi une marque du temps qui passe, le jeune frère a déjà 37 ans.

Même les presque vieux sont jeunes maintenant par rapport à moi. Il y a encore peu, j'étais pour mon travail en contact avec des gens dont l'âge me faisait dire : "Je pourrais être leur père." Aujourd'hui je suis en contact avec des personnes dont les parents sont plus jeunes que moi.
D'autres rappels me parviennent de façon inattendue : dans le métro, une affiche qui annonce les trente ans de la pyramide du Louvre. Mince, je me souviens de discussion à son sujet avec mon père, au temps du chantier de sa construction. Est-ce si loin ?

Avec Sélim, on continue à parler du quartier. Il a toujours était sensible, de façon positive, à la boboïsation des environs, comme d'une évolution positive pour le commerce. Pour finir, il m'annonce que la boucherie d'à côté va être remplacée par... un restaurant végan.
Symbole des temps révolus.