dimanche 8 novembre 2020

ma mère lointaine

Ma mère n’est pas morte, elle n’est pas malade (je veux dire elle n’est pas malade du Covid) et elle est toujours bien folle. 
Évidemment, depuis le premier confinement, le rythme de nos rencontres hebdomadaires a été plus que bouleversé : pulverisé! Sans compter les périodes où, le virus réussissant malgré toutes les précautions à pénétrer dans l’établissement, toutes les visites dans la maison de retraite sont provisoirement suspendues. C’est le cas encore cette semaine. 
La dernière fois que je l’ai vue, samedi dernier, elle avait l’air plus perchée que jamais : j’ai pris une photo d’elle où elle regarde le plafond avec béatitude, comme si la Vierge Marie descendait sur elle à parapente, joyeuse et apparemment heureuse comme à son habitude. Moi je n’avais pas pu lui rendre visite depuis plusieurs semaines, les seuls horaires autorisés ne me laissant que le week-end pour cela et j’anime parfois des groupes le samedi et le dimanche, et puis j’ai pris quelques vacances. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai eu le sentiment d’être un parfait inconnu pour elle, bien qu’elle m’ait prodigué toutes sortes de grâces assorties de compliments. Ne pas s’en formaliser, passer outre et s’intéresser à ce qu’on peut faire ensemble, dans ce temps imparti... Les visites sont, en plus, limitées à une demi-heure, chacun d’un côté d’un bureau surmonté d’une paroi de Plexiglas (le correcteur automatique de l’ordinateur avait proposé paranoïa de Plexiglas, ce qui me paraît approprié). Bref, on tient une longue discussion insensée, sans queue ni tête, toute pleine de phrases absurdes et tendres.
Je n’ai pas non plus le droit de m’approcher d’elle depuis le printemps et donc de lui prodiguer les soins dont nous avions l’habitude. Mon frère prétend qu’elle a beaucoup diminué physiquement, mais je n’ai plus du tout l’occasion d’évaluer cela.


Au mois de septembre, j’ai participé à une formation de quelques jours et, cherchant un cahier qui pourrait me servir à prendre des notes, j’en avais trouvé un que j’utilisais lors de mes visites à ma mère quand elle était encore chez elle (j’y avais dessiné des fruits et des légumes et j’essayais de lui en faire retrouver le nom, et je notais aussi les phrases amusantes qu’elle disait quelquefois) et, ensuite, les premiers temps dans la maison de retraite. Comme il était peu rempli, je m’en suis servi lors de cette formation, et c’était étrange par moment de feuilleter ce calepin et de trouver, datant de fin 2016 début 2017, des sentences délirantes mais différentes encore de ce qu’elle est capable de dire aujourd’hui. Il y a notamment celle-ci, qui me touche beaucoup et représente un temps déjà accompli : « Des fois j’ai envie de te voir mais je ne le fais pas exprès. »
J’ai le sentiment que le coronavirus et les confinements me volent de précieux instants.

1 commentaire:

  1. "Ta mère lointaine" mais cependant là différemment. Tu as l'air de vivre un remaniement relationnel pas très "facile". C'est du zoom sans zoom...Un rapport au corps de l'autre finalement étrange et éthéré comme dans les "apparitions"

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