mardi 26 février 2013

slips flop


Il m'est arrivé une chose désagréable (je minimise, c'était horrible) : je suis allé voir le dernier spectacle d'Angelin Preljocaj.

Ce que j'appelle l'oubli (c'est le titre du truc) est au spectacle vivant ce que Toutes les femmes s'appellent Marie, de Régine Deforges, est à la littérature. C'est dire. 

Quel rapport ? Des œuvres "engagées". Prejlocaj dénonce le meurtre d'un marginal par les vigiles d'un supermarché (tuer, c'est mal) quand Deforges croyait militer en faveur de l'épanouissement sexuel des handicapés (s'épanouir, c'est bien).
Ce que j'appelle l'oubli commence par une scène de coït dans un lieu de drague en plein air, très explicite, plus mimée que chorégraphiée. Ma voisine, moins familière que moi de ce genre de lieux, croit qu'il s'agit d'une scène de viol. Il faut dire que la femme semble malmenée, que les gestuelles et les poses sont crues, plutôt violentes, assez désagréables à regarder, et désignent le spectateur en voyeur, là où il n'y a rien à voir. C'est malheureusement prémonitoire.

Les premières lignes du texte annoné de façon maniériée par Laurent Cazanave nous délivrent de suite le déroulé du fait divers à l'origine du spectacle. Dès lors, plus rien à attendre du texte, aucune dramaturgie, des suites de mots pour ne rien dire d'autre. Donc : spectateur à attendre là où il n'y à rien à espérer.
La jouissance de l'auteur à se répandre dans les détails de la scène imaginée (les os broyés, les pensées des uns et des autres, et blabblabla) est indisposante, comme la scène sexuelle d'ouverture parfaitement gratuite : c'est comme s'il se branlait sur ce fait divers, nous obligeant à le regarder jouir (de fait, en milieu de rang, je ne peux m'éclipser et, à ma droite, mes voisins, comme moi résignés, s'endorment en soupirant l'un sur l'autre).

Malheureusement le texte est une "création" ("Comment est né le geste d'écriture ?" questionne sans rire le petit programme du théâtre...) : il faut donc supporter les trouvailles de l'auteur qui affuble le héros mort d'un père... boucher. Voilà le genre de subtilités auxquelles le spectateur est confronté. 
Et comme tout s'annonce grossier, premier degré, la bande son en rajoute en craquements et suintements, les danseurs arrivent affublés de tabliers sanguinolents, les éclairages rougissent... Aie aie aie.
On ne nous épargne aucune connotation facile puisque le machin se prend pour un chemin de croix (litanie de clichés, donc) : crucifixion, suaire, pieta, descente de croix, sainte vierge... tout y passe, au sein d'une chorégraphie uniquement masculine où, à force de n'exhiber que des hommes en caleçon blanc jusqu'à l'ennui (et la nausée), l'image globale paraît celle d'une publicité pour sauna gay. Esthétique de slip Eminence, commente ma voisine qui n'a décidément pas les mêmes références que moi.

A la fin la salle applaudit. On a envie de sauver les danseurs du désastre, les pauvres. Certains spectateurs ont l'air sensible à la "performance " de l'acteur qui monologua interminablement. C'est sans doute qu'ils n'ont pas eu l'occasion de voir, il y a dix ans, le fabuleux travail de Hervé Pierre, portant  trois pièces de Lagarce à la suite (Le rêve de la veille, aux Abbesses en 2002). Avec des os, de la chair, du sexe et du sang, mais dans le texte, incarné cette fois.

dimanche 17 février 2013

à A.



À la Saint-Valentin, j'ai reçu un bouquet commandé depuis un autre coin de la planète, là où les journées débutent alors qu'ici l'après-midi s'assombrit.

Elles ne sont pas toutes rouges, preuve que notre amour a revêtu parfois des couleurs criardes.
Elles sont toutes belles, preuve que j'ai appris à aimer même ce que je n'aimais pas.

Merci A.

vendredi 15 février 2013

mathématique

Quand j'étais enfant, mon père nous racontait parfois des histoires "drôles" (l'humour des années 60). 
Il y a avait celle de monsieur Glloq qui va acheter un billet d'avion... et une que j'ai toujours gardée en mémoire. La voici.

   Un gourmet entre dans une boucherie-charcuterie et avise un magnifique pâté de grives, qui lui met l'eau à la bouche. 
- Oh, quelle merveille ! C'est vraiment du pâté de grives ?, demande-t-il au charcutier.
- Oui oui, c'est fait maison, avec les grives chassées dans la région, répond celui-ci.
- Ah, bien. Mais qu'est-ce que vous mettez d'autre dans ce pâté ?
- Eh bien c'est une recette à nous.... On met de la viande cheval. 50 % de viande de cheval et 50 % de grive.
- 50 % de grive, c'est pas mal, dis donc.
- Oui, et je peux vous l'assurer puisque c'est nous qui le faisons. 50 %. Un cheval, une grive, un cheval, une grive, un cheval, une grive...

jeudi 14 février 2013

Galvan, maître absolu

C'est toujours une expérience satisfaisante de se rendre à un spectacle sans rien avoir lu,vu ou entendu à son sujet. À peine connaissais-je le titre du spectacle quand je me suis dirigé hier vers le théâtre de la Ville pour découvrir la dernière création de Israel Galvan, dont le spectacle précédent, La curva m'avait laissé un souvenir mitigé.

Dans la salle, quand on prend place, des fumigènes ont légèrement brouillé l'éclairage général, sur la scène à vue on distingue des zones lumineuses et quelques volumes posés ça et là. 
Puis ça commence. Décor brut des murs du théâtre, projecteurs apparents, mise en scène "à cru". Les accessoiristes-techniciens sont eux aussi à vue : au cours du spectacle manipulant, bricolant, vissant, si besoin est, sur le plateau. Au commencement, un simple signe de cette façon-là : un pan du plancher relevé verticalement à la main sert momentanément d'écran de projection. Temps un : on tranche l'air, est-il écrit. Car il n'ya pas de mot dicible, si ce n'est chanté.
Difficile de décrire la danse de Galvan à qui l'ignorerait. Dire qu'il vient du flamenco en donnerait une image fausse. À moins d'imaginer un Zorro-Don Quichotte déconstruisant une fête gypsie. 
Il y a en fond de scène toute une population, à la manière habituelle de Galvan. Il faut de l'autrui, des invités à la fête, un espace incertain entre la bodega et la rue du village où se dresserait, impromptue, une fiesta gitane autour de trois chaises et d'un tonneau.
Sauf que. Sauf que le tragique a monté d'un cran. Galvan, pour être d'ivoire comme un christ maigre, avec son costume de presque clown chaplinesque, nus pieds, n'en est pas moins incandescent : il n'interprète pas la danse, il l'irradie, la livre, cracheur d'un feu qui noircit son regard.

Photo Javier del Real

Temps deux. L'air a été strié, fouetté, découpé. Par une allusion à la chanson de "Anthony and the Johnsons", "Hitler in my heart", le thème est explicité. Deuxième temps, donc : "des cadavres poussent les fleurs". Galvan nous invite a une évocation de l'élimination des Gitans. Il y aura cinq parties, la dernière intitulée : la mort est un maître bienvenu.
Le titre de la pièce revient en surface : Le réel/lo real/the real. Ce n'est évidemment pas de la réalité dont il est question mais bien du réel, cette béance, cet impossible, cet insaisissable. Un envers du monde. Trois langues n'arrivent pas mieux qu'une à le cerner : une pratique artistique non plus.
Dès lors, Galvan propose une sorte de spectacle performance où le corps dansant se mue note de musique, instrument, archet, son, et où tout élément, le moindre élément de décor, le moindre accessoire participe de la partition. Tout fait bruit, sens, mouvement, famille. On retient son souffle.

Israel Galvan, tel une peinture du Greco.
Il sait, Israel Galvan, qu'il ne peut être le couple flamenco à lui seul, l'homme qui se cabre et la femme qui se cambre. Ainsi laisse-t-il de la place, pour d'autres tableaux, à Belen Maya et Isabel Bayon, de la Rom, paysanne, à la danseuse de revue, flamenca tout en second degré.
Le train – ses rails, ses rythmes, ses lignes – fait figure de motif pour dire le dernier voyage des gens du voyage (incroyable projection d'un extrait de film signé Leni Riefenstahl ), sans que l'extrême gravité du propos n'alourdisse l'hispanique capacité au tragi-comique. On rit aussi dans ce spectacle qui se ponctue de publicités chantées : pour un produit désinfectant qui rend le linge noirci plus blanc que blanc, ou pour un insecticide qui fait disparaître ces cafards qui se reproduisent sans cesse, solutions finales à portée de main de la ménagère.

Israel Galvan, corps conducteur qui fait vibrer le métal, corps qui danse contre l'oubli, contre le réel, livre un véritable chef-d'œuvre : intelligence, invention, sens et sensibilité, tout y est. La scène se referme panneau après panneau, laissant les interprètes dos au mur pour les saluts. C'est immensément tragique, immensément beau.


Théâtre de la Ville, Paris, jusqu'au 20 février.

yes we can

Oui, il est toujours temps de visionner en ligne Black Panthers, le documentaire d'Agnès Varda daté de 1968. Sur un site (ici le lien) où d'autres films de la réalisatrice sont disponibles gratuitement jusqu'au 17 février (dépêchez-vous !).

Images saisies du documentaire d'Agnès Varda.

Si tout le monde n'est pas sensible aux pochades cinématographiques d'Agnès vaguement autocentrées, il faut reconnaître au petit doc (30 minutes) sur le BPP sa qualité première : c'est un vrai document d'archives. Il est filmé lors de la première grande mobilisation des Black panthères, à Oakland, pour la libération de Huey Newton, blessé et arrêté par la police deux ans après la création du parti des BPP. C'est de cette campagne que date la fameuse image que l'on connaît tous, visible ci-dessus sur le local des Panthères : Huey Newton assis sur une forme de trône de rotin, un fusil dans une main et une lance africaine dans l'autre.

"Je me souviens qu'un jour, pendant le procès de Huey P. Newton, un avocat m'aborda dans le hall du tribunal du comté d'Alameda. Il était très nerveux et il me dit :
- Ils sont en train de crucifier Huey, là-dedans ; ils en font un autre Jésus.
Et je me rappelle lui avoir répondu presque instinctivement :
- Oui, Huey est notre Jésus, mais nous ne le voulons pas en croix.
Cette tendance à considérer Huey comme étant au-dessus et au delà des autres, à le voir différent de tous, voilà qu'elle est en train de se généraliser, me semble-t-il."
(Eldridge Cleaver, Panthère noire, éd. Seuil, 1970)

Bobby Seale : "Huey m'avait dit plusieurs fois qu'il voulait éviter d'être inculpé pour un meurtre qui risque de le faire condamner à mort. Il décrivait l'attente de l'exécution comme une véritable torture. On attend comme ça trois, quatre ou cinq ans, sans savoir si on va mourir.
(A l'affût, Gallimard, coll. Témoins, 1972)

Accusé de meurtre, Huey Newton sera condamné à quinze ans de prison mais bénéficiera d'une remise de peine au bout de trois ans. Il est libéré en 1970.
"La mobilisation massive pour la libération de l'un des fondateurs du parti a élevé Newton au rang d'icône à part entière, engendrant un culte de la personnalité qui, paradoxalement, contribuera à la désintégration du Black Panther Party", analyse Charles E. Jones (Black panthers, éditions de la Martinière, 2006) éditeur par ailleurs d'une anthologie du Parti.

mardi 12 février 2013

masques

Sur le quai le métro il y a un môme en trottinette qui porte un masque de tête de mort et fixe longtemps les passants pour évaluer l'effet produit. Le graphisme de son sur-visage se situe quelque part entre Scream et le foulard qui a valu 40 jours d'arrêt à un militaire français.
La même semaine on a retrouvé le corps de Richard III sous un parking, on aurait retrouvé la tête de l'Origine du monde, on aurait retrouvé le crâne de Henry IV.
Que d'os, que d'os.
Scream, le soldat français qui donne une mauvaise
image de l'armée..., et le visage de l'Origine du monde
(elle lui ressemble, elle est frisée)

On a aussi perdu la tête du Vatican. Benoît XIV démissionne. C'est la première fois à ma connaissance qu'un travailleur à bout de force suscite de telles louanges : sagesse, exemple, modernité, clairvoyance, geste prophétique...
On se croirait dans un dessin de Jean-Philippe Delhomme.
Jean-Philippe Delhomme sera
exposé à l'excellente galerie Martel
à partir du 9 mai.

mercredi 6 février 2013

tragédie

Elle est vêtue d'un pancho et se dissimule maladroitement le visage derrière un foulard pour préserver son anonymat. Mais comme elle est arrivée l'une des dernières, tous les spectateurs déjà installés la remarquent en bas des gradins et chuchotent : "On dirait Sophie Marceau". Olivier Dubois, lui, a pris place derrière une caméra qui procède ce soir-là, au 104, à la captation vidéo de Tragédie. On me glisse que le personnage n'est pas perçu comme très sympathique par ses danseurs eux-mêmes. Le noir se fait.


Il y a du Muybridge dans la première partie de cette chorégraphie qui a fait parler d'elle à Avignon cet été. Neuf danseurs et neuf danseuses, nus, organisent l'espace et le temps en une marche volontaire, frontale, faussement inexpressive. Un dispositif scénique minimaliste, bande-son et éclairage rudes. C'est long (très long) avant que la marche – de grains de sable en saccades et tremblements – se dérègle en une liberté surveillée de mouvements et de pauses qui évoquent autant les académies d'atelier que les figures physiognomoniques ou les faces de Messerschmidt... La liste serait longue des références qui naissent imperceptiblement, se couvrent et se recouvrent : tableau symboliste, cours d'aérobic, statuaire allégorique, personnages de cire du musée de l'Homme, rave party, Adam et Ève chassés du paradis, la porte de l'Enfer... Hommes et femmes bolides se croisent, parfois en douceur, rarement en couple, jamais érotisés, et s'emmêlent aussi en une vague de chair que la lumière, cette fois réchauffée, tire du côté de La mort de Sardanapale ou d'un Carlos Schwabe.


C'est la performance des danseurs qui m'émeut, incapable que je suis de comprendre sur quels repères ils accrochent leurs mouvement (la musique, répétitive, ne fournissant pas ces balises), et quelle minutie règle de l'intérieur, sans heurts, ce tumulte de dix-huit corps turbulents.
Le spectacle pourrait s'intituler humanité. L'œil, qui pourtant oublie vite la nudité, se nourrit de la diversité des corps et des êtres. Olivier Dubois expliquait dans une interview à Libération en juillet 2012 : "Être homme ne fait pas l'humanité. C'est là qu'est la tragédie". C'est sans doute l'auteur qui parle de lui-même.

À la fin les interprètes saluent, pas nus. Leurs noms, copiés du site du 104 sur lequel on peut voir une petite vidéo du spectacle :
Marie-Laure Caradec, Marianne Descamps, Virginie Garcia, Karine Girard, Carole Gomes-Busnel, Inés Hernández, Isabelle Kürzi, Loren Palmer, Sandra Savin, Benjamin Bertrand, Arnaud Boursain, Jorge More Calderon, Sylvain Decloitre, Sébastien Ledig, Filipe Lourenço, Thierry Micouin, Rafael Pardillo, Sébastien Perrault

samedi 2 février 2013

hip hip hip, Hopper

Depuis hier l'exposition Hopper est ouverte jour et nuit signe, avec sa prolongation jusqu'au 3 février, de l'ampleur de son succès. Les marques Starbucks (les cafés) et Kiehl's (les crèmes) ont même réussi à s'immiscer dans l'événement pour faire parler d'eux.
On pourrait légitimement s'interroger sur l'engouement du public pour les grands-messes culturelles et pour celle-ci en particulier, si rassurante avec ses flopées d'aquarelles réalistes et ses toiles estampillées icônes de la peinture américaine. Un tel regroupement d'œuvres – même les gravures –, pour exceptionnel qu'il soit, me semble pourtant n'avoir d'intérêt que pour les spécialistes de l'artiste et les professionnels de l'image. Le grand public (qui finance en partie cette compilation) goûterait mieux, à mon avis, une sélection plus réduite.
Si vous n'avez pas bénéficié de quelques avant-premières professionnelles pour visiter l'exposition tranquillement, l'émotion sera difficile à convoquer ou à préserver au milieu de la foule de visiteurs l'audio-guide vissé sur l'oreille. Peut-être au cœur d'une prochaine nuit ?


Photo Philip-Lorca diCorcia
À la fin de l'expo, une installation cinématographique de photos de Philip-Lorca diCorcia. Moi j'aime autant les voir en image que dans cet obscur cagibi : à glaner facilement sur Google. Mais c'est déjà ça de pris. Ici, interview video du photographe au sujet de Hopper et quelques vues de l'expo.


vendredi 1 février 2013

unhiver

"C'est fondu maintenant !" affirmait l'un des commentateurs de ce blog à propos de la neige quand un autre, le même jour, avisant la photo de la gare de l'Est blanchie, y voyait une carte de vœux. Manière de souligner, peut-être, que je n'ai pas envoyé mes vœux cette année ?...


Grâce à mon ami JF, qui vit dans un grand pays de neige, je vais pouvoir me racheter. Et ajouter un peu de flocon sur le Web.
Bon, de fait, sa carte que je viens de recevoir, ci-dessus, est plutôt une carte de Noël que de bonne année (le retard est de ma faute, c'est trop long à expliquer ici). Les Canadiens ont ce goût du cocooning à mes yeux très anglosaxon : sapins de Noël, paquets cadeaux, cheminées, ornementations sur les portes, arbres décorés dans les jardins..., tout est chaleureux, confortable, douillet, enrubanné. 

Admirez l'habile travail de pliage. 
Dans l'espace de la boule neige (dont l'aspect verre est rendu par une dizaine de lamelles transparentes s'entrecroisant) le décor (sapin avec un chat qui taquine une décoration) se déploie sur trois plans différents. 
C'est kitsch et admirable à la fois : j'aime beaucoup la vue de profil où la figuration disparaît et ne laisse visible que les flocons suspendus. Je défie quiconque fixe le regard sur l'un des petits points blancs perdus dans le vide de ne pas se mettre à penser à notre planète, à sa place dans l'univers, et aux frontières de celui-ci.

Bien sûr cette féerie en volume se replie en un rien de temps et m'est parvenue toute plate dans une enveloppe. Merci encore JF.