Il m'est arrivé une chose désagréable (je minimise, c'était horrible) : je suis allé voir le dernier spectacle d'Angelin Preljocaj.
Ce que j'appelle l'oubli (c'est le titre du truc) est au spectacle vivant ce que Toutes les femmes s'appellent Marie, de Régine Deforges, est à la littérature. C'est dire.
Quel rapport ? Des œuvres "engagées". Prejlocaj dénonce le meurtre d'un marginal par les vigiles d'un supermarché (tuer, c'est mal) quand Deforges croyait militer en faveur de l'épanouissement sexuel des handicapés (s'épanouir, c'est bien).
Ce que j'appelle l'oubli commence par une scène de coït dans un lieu de drague en plein air, très explicite, plus mimée que chorégraphiée. Ma voisine, moins familière que moi de ce genre de lieux, croit qu'il s'agit d'une scène de viol. Il faut dire que la femme semble malmenée, que les gestuelles et les poses sont crues, plutôt violentes, assez désagréables à regarder, et désignent le spectateur en voyeur, là où il n'y a rien à voir. C'est malheureusement prémonitoire.
Les premières lignes du texte annoné de façon maniériée par Laurent Cazanave nous délivrent de suite le déroulé du fait divers à l'origine du spectacle. Dès lors, plus rien à attendre du texte, aucune dramaturgie, des suites de mots pour ne rien dire d'autre. Donc : spectateur à attendre là où il n'y à rien à espérer.
La jouissance de l'auteur à se répandre dans les détails de la scène imaginée (les os broyés, les pensées des uns et des autres, et blabblabla) est indisposante, comme la scène sexuelle d'ouverture parfaitement gratuite : c'est comme s'il se branlait sur ce fait divers, nous obligeant à le regarder jouir (de fait, en milieu de rang, je ne peux m'éclipser et, à ma droite, mes voisins, comme moi résignés, s'endorment en soupirant l'un sur l'autre).
Malheureusement le texte est une "création" ("Comment est né le geste d'écriture ?" questionne sans rire le petit programme du théâtre...) : il faut donc supporter les trouvailles de l'auteur qui affuble le héros mort d'un père... boucher. Voilà le genre de subtilités auxquelles le spectateur est confronté.
Et comme tout s'annonce grossier, premier degré, la bande son en rajoute en craquements et suintements, les danseurs arrivent affublés de tabliers sanguinolents, les éclairages rougissent... Aie aie aie.
On ne nous épargne aucune connotation facile puisque le machin se prend pour un chemin de croix (litanie de clichés, donc) : crucifixion, suaire, pieta, descente de croix, sainte vierge... tout y passe, au sein d'une chorégraphie uniquement masculine où, à force de n'exhiber que des hommes en caleçon blanc jusqu'à l'ennui (et la nausée), l'image globale paraît celle d'une publicité pour sauna gay. Esthétique de slip Eminence, commente ma voisine qui n'a décidément pas les mêmes références que moi.
A la fin la salle applaudit. On a envie de sauver les danseurs du désastre, les pauvres. Certains spectateurs ont l'air sensible à la "performance " de l'acteur qui monologua interminablement. C'est sans doute qu'ils n'ont pas eu l'occasion de voir, il y a dix ans, le fabuleux travail de Hervé Pierre, portant trois pièces de Lagarce à la suite (Le rêve de la veille, aux Abbesses en 2002). Avec des os, de la chair, du sexe et du sang, mais dans le texte, incarné cette fois.
J'ai été voir le même texte, "Ce que j'appelle oubli", dit, interprété et diablement bien incarné par Denis Podalydès à La Comédie française, en solo =un miracle. Je te le conseille.
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