Récemment une amie avait remarqué l'usage du libellé folie, et m'avait interrogé : "mais depuis quand ?" Mais depuis quand osais-je utiliser ce mot là ?
Aussi naïf que cela va apparaître, je dois avouer que je ne m'étais pas posé beaucoup de questions au sujet de la maladie d'Alzheimer et que la perte de mémoire me semblait la grande affaire de cette affection. Un ami, dont la mère était atteinte aussi, me relatait souvent des anecdotes autour de cela : ce dont elle se souvenait, ce qui du passé revenait etc.
C'est presque par surprise donc, que j'ai découvert que ma mère devenait folle. Gentiment folle. J'insiste sur le gentil : ma mère est plutôt agréable d'une part, et d'autre part sa folie ressemble pour aujourd'hui à une dinguerie presque sympathique, qui ne la met pas, ni ne met autrui, en péril.Sa folie n'est pas nourrie d'imaginaire ou d'hallucination. C'est pour l'instant une simple perte de faculté logique.
Je me souviens très bien du jour où cela m'est apparu pour la première fois. Maman avait peur d'un arbre qu'elle soupçonnait d'avoir énormément grandi, et elle craignait que les branches ne viennent heurter sa fenêtre. L'arbre était si loin que même couché par une tempête il n'aurait pas atteint ses carreaux. Malgré l'évidence et les arguments fournis, elle a baissé ses volets.
Parfois les conversations en deviennent difficiles. Elle tente de se rappeler d'une personne dont elle connaît le nom mais qu'elle n'a jamais rencontrée. Je tente de la rassurer :
- "C'est normal que tu ne saches pas à quoi elle ressemble, tu ne l'as jamais vue."
-"Oui j'ai bien compris, mais tout de même, ça m'agace de ne pas me souvenir au moins de son visage."
La Cantatrice Chauve n'est jamais très loin.
De jour en jour dans son appartement les petites bizarreries s'accumulent. Des petits riens. Une brosse à cheveux qui a subitement trouvée sa place dans un pot où sont rangés louches, spatules, cuillère en bois dans la cuisine. Des photos réparties sur le dessus d'un meuble et qui sont maintenant immuables car elle ne se souvient plus qui les a mises là et ne veut pas prendre la responsabilité de déranger cette exposition. Un lave-vaisselle qui a été transformé en espace de rangement et accueille un étrange bric à brac...
Ce soir je l'ai amenée chez mon frère où nous avons dîné, et je l'ai ramenée chez elle. Sur le chemin du retour, croyant m'avoir entendu renifler, elle me tend deux cigarettes en disant :
-"Tiens, j'ai des mouchoirs, prends-en!"
Je sais qu'il lui est arrivé déjà deux fois de vouloir payer dans un magasin avec des cigarettes, elle s'était vexée du refus de la caissière. Là, entre nous, il était facile de faire comme si de rien n'était, mais ça fait un petit choc tout de même.
C'est en relisant l'extrait publié ici de Marie Depussé que le mot folie s'était imposé.
Pour l'instant maman est gentiment folle.
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