Pendant un temps, ma mère a été sujette à de petites attaques de panique. Ça arrivait comme un orage tropical.
C'est le beau fixe et soudain, patatra, rien ne va plus, elle se sent proche du malaise.
Les crises sont légères, pour impressionnantes qu'elles furent au début, avant qu'on expérimente qu'elles se dissipent rapidement, comme elles sont venues, au gré du vent. Elle a elle-même la bonne stratégie : elle panique = elle téléphone pour qu'on la rassure.
Récemment, quand je suis arrivé chez elle, la gardienne de l'immeuble était là, visiblement impressionnée, elle, par l'état de dinguerie de ma mère qui l'avait prise à parti :
-"Regardez, vous voyez bien que je n'ai plus de téléphone," lui avait-elle dit en la traînant dans sa chambre où se trouve le téléphone bien en évidence, et en ouvrant grand son lit d'un geste large pour le lui prouver.
Nous qui sommes maintenant tellement habitués à sa folie, ce genre d'épisodes ne nous inquiète plus (je dis nous, englobant ainsi le reste de ma fratrie, mais c'est peut-être une liberté que je m'accorde à tord). Ce sont les éléments logiques aujourd'hui qui peuvent nous saisir par leur présence, petits residus brillants, fragments étincellants d'une banquise de raison qui fond à vue d'oeil, plaques dérivantes sur un océan d'absurdité sans limite.
Elle ne met plus de vernis à ongles en ce moment, je ne sais pas pourquoi. Peut-être a-t-elle oublié qu'elle adorait cela, elle arrive à oublier qui elle est et à tenir sur elle des discours inverses de ceux qu'elle tenait auparavant.
-"Jai toujours aimé ces assiettes, depuis toujours", asséne-t-elle à propos d'un service dont elle se plaisait à rappeler, il y a encore quelques mois, qu'elle l'avait au début détesté et s'était mise à l'apprécier sur le tard.
Je continue à lui lire des histoires le soir puisque cela simplifie grandement (pour elle et pour moi) la phase "coucher".
L'autre soir elle se met au lit avec une excitation d'enfant qui anticipe son plaisir : chantonnant en boucle "Si tu vas à Rio", alerte, vive, faisant tout rapidement pour être prête au plus tôt. L'incongruité de la situation doit lui apparaître d'une certaine façon, elle me dit en riant, remontant les couvertures sur elle alors que je m'installe sur son lit le livre en main :
-"Nous sommes tout de même des personnes spéciales..."
-"Qu'est-ce que tu veux dire ?..."
Zappant l'explication : -"Mais je suis très contente d'être comme ça."
C'est le beau fixe et soudain, patatra, rien ne va plus, elle se sent proche du malaise.
Les crises sont légères, pour impressionnantes qu'elles furent au début, avant qu'on expérimente qu'elles se dissipent rapidement, comme elles sont venues, au gré du vent. Elle a elle-même la bonne stratégie : elle panique = elle téléphone pour qu'on la rassure.
Récemment, quand je suis arrivé chez elle, la gardienne de l'immeuble était là, visiblement impressionnée, elle, par l'état de dinguerie de ma mère qui l'avait prise à parti :
-"Regardez, vous voyez bien que je n'ai plus de téléphone," lui avait-elle dit en la traînant dans sa chambre où se trouve le téléphone bien en évidence, et en ouvrant grand son lit d'un geste large pour le lui prouver.
Nous qui sommes maintenant tellement habitués à sa folie, ce genre d'épisodes ne nous inquiète plus (je dis nous, englobant ainsi le reste de ma fratrie, mais c'est peut-être une liberté que je m'accorde à tord). Ce sont les éléments logiques aujourd'hui qui peuvent nous saisir par leur présence, petits residus brillants, fragments étincellants d'une banquise de raison qui fond à vue d'oeil, plaques dérivantes sur un océan d'absurdité sans limite.
Elle ne met plus de vernis à ongles en ce moment, je ne sais pas pourquoi. Peut-être a-t-elle oublié qu'elle adorait cela, elle arrive à oublier qui elle est et à tenir sur elle des discours inverses de ceux qu'elle tenait auparavant.
-"Jai toujours aimé ces assiettes, depuis toujours", asséne-t-elle à propos d'un service dont elle se plaisait à rappeler, il y a encore quelques mois, qu'elle l'avait au début détesté et s'était mise à l'apprécier sur le tard.
Je continue à lui lire des histoires le soir puisque cela simplifie grandement (pour elle et pour moi) la phase "coucher".
L'autre soir elle se met au lit avec une excitation d'enfant qui anticipe son plaisir : chantonnant en boucle "Si tu vas à Rio", alerte, vive, faisant tout rapidement pour être prête au plus tôt. L'incongruité de la situation doit lui apparaître d'une certaine façon, elle me dit en riant, remontant les couvertures sur elle alors que je m'installe sur son lit le livre en main :
-"Nous sommes tout de même des personnes spéciales..."
-"Qu'est-ce que tu veux dire ?..."
Zappant l'explication : -"Mais je suis très contente d'être comme ça."
Ah, ces billets-mother, ils m'ont manqué. L'image de la banquise me prend le coeur : notre raison, notre mémoire attaqués par un dérèglement climatique intime. Quand fais-tu un livre de ces bijoux de sensibilité et de douce-dinguerie poétique ?
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