lundi 30 mars 2020

covid à l'ehpad

Une photo qui date de février.
Cet après-midi, j'ai eu un rendez-vous Skype avec ma mère. Je ne sais plus depuis combien de semaines je ne l'avais pas vue. 

L'Agence Régionale de Santé avait décidé l'interdiction des visites dans les maisons de retraite plus d'une semaine avant le confinement, et, encore avant, l'établissement dans lequel est "incarcérée" ma mère avait établi des règles sévères sur le nombre de visiteurs par jour, la durée des visites, que je n'ai pas vraiment respectées. 
Rapidement, comme l'ont fait je pense la plupart des Ehpad, la maison a mis en place des possibilités de prises de contact numériques, une application avec laquelle je crois que l'on peut envoyer des photos et des messages, et la possibilité d'une entrevue via Skype.

Cet empêchement d'aller lui rendre visite a été l'élément qui a le plus bouleversé mon agenda perso, plus que le confinement en réalité. D'un coup je me retrouvais avec deux soirées libérées, alors que d'habitude mes visites me faisaient rentrer chez moi vers 21h30, 22h00. Sentiment d'un gain de temps tellement énorme !

Je ne me suis pas du tout mobilisé pour la contacter par Skype pour une raison technique (je ne sais pourquoi ma nouvelle connexion Internet refusait Skype avec ma tablette et mon ordi) et parce que l'état de folie de de ma mère rendait peu plausible sa capacité a interagir avec un écran, et à même comprendre la situation d'une communication virtuelle.

Finalement il y a eu un élément nouveau : un pensionnaire est infecté par le covid-19 dans cette soi-disant forteresse dont nous sommes exclus depuis des semaines. Cataplum ! L'information m'a été livrée par ma soeur, qui n'a pas eu la présence d'esprit de demander à l'établissement si la cause de l'infection avait été identifiée (comment est entré le virus ?). On n'a vraiment pas les mêmes préoccupations.

Ni une ni deux, j'ai donc fait un essai technique avec ma nouvelle tablette pour voir si tout fonctionnait, et j'ai pris rendez-vous pour une entrevue Skype avec ma mère. Maintenant, à cause du pensionnaire infecté, tout le monde est cloîtré dans sa chambre. Je me demande si cela ne va pas favoriser le décrochage complet de ma mère, dont la seule distraction était l'activité qu'elle voyait autour d'elle.

Une soignante, la tablette sous le bras, entre donc dans la chambre de maman. Celle-ci est couchée sur son lit, à moitié ou complètement endormie. La tablette lui est mise sous le nez, elle regarde un peu, commente en disant n'importe quoi comme d'habitude, un peu comateuse puis repart la tête en arrière. Forcément elle est allongée, ce n'est pas très pratique. Je demande à la soignante si on peut la redresser. Oui, les voilà toutes les deux assises sur le lit. Du coup, maman regarde vraiment. Je lui explique qu'on a pas le droit de venir mais que toute la famille l'aime très fort, et qu'on va revenir très vite. Elle a l'air en forme. Elle me regarde en souriant mais je n'ai aucune idée de si elle me reconnaît. "Elle caresse votre visage sur la tablette" me dit la soignante, ce qui me semble une interprétation d'un geste plus mécanique que cela, mais pourquoi pas. C'est pas grand chose, mais ça me fait plaisir de la voir.

L'anecdote amusante (ou pas du tout) est celle-ci. Pour des raisons que je vous passe ici, j'ai donc été mis en communication Skype avec la jeune soignante alors qu'elle était au rez-de-chaussée, et devait donc rejoindre le premier où loge ma mère. C'est une jeune femme que je ne connais pas, et, c'est rassurant, elle porte un masque de papier bleu ciel. Elle prend l'ascenseur qui, chose courante, descend au -1 au lieu de monter à l'étage choisi. Elle me l'explique, et s'excuse de la lenteur de l'ascenseur. À ce moment j'entends une autre voix, c'est la voix d'une pensionnaire que je reconnais, qui ne comprend pas où arrive l'ascenseur. "C'est qu'il est descendu au -1", lui précise aussi la soignante. Mais l'autre est sourde : "Hein ?" Alors pour être entendue, la jeune femme se penche vers la pensionnaire que je ne vois pas, et descend son masque jusqu'au menton pour découvrir sa bouche et répéter plus fort...

J'espère que ce n'était pas la dernière fois où j'aurais vu ma mère en vie.

vendredi 27 mars 2020

le temps qu'il fait, le temps qui fuit


Oui, comme chez Leïla Slimani, chez moi aussi les camélias sont en fleur. Mais je ne vais pas vous faire le coup du journal de confinement, ni de l'anti-journal de confinement.

Ça m'a fait sourire cette polémique sur le quotidien des écrivains et écrivaines reclus, car le vendredi précédant le début du confinement, une jeune femme me disait à propos du coronavirus (on venait d'apprendre que le ministre de la Culture avait été testé positif) : "Avec cette maladie tout le monde est touché.  Il n'y a pas de barrières sociales, il n'y a plus de classes sociales..."
Je m'étais permis de tempérer son ardeur, lui signalant par ailleurs que je doutais que les employeurs payent longtemps leurs employés à ne rien faire, et la tentative récente de Pénicaud d'utiliser une semaine de congés payés à ces fins m'a ravi : on peut toujours compter sur l'opportunisme de Mumu.

Je préfère mes fleurs aux ministres, vraiment. Je m'aperçois que de toutes les espèces qui croissent sur le balcon (et avec cet hiver si doux c'est la folie), il y en a beaucoup dont je ne connais pas le nom. Une lacune à combler, ce qui pourrait être une parfaite activité de confinement. Chez nous (comprendre en Creuse), auparavant, on disait :
"Taille tôt, taille tard
Rien ne vaut la taille de mars." Évidemment cette année c'est impossible.
Je me demande si avec le réchauffement climatique tous ces dictons ne vont pas devenir complètement out.

À dire vrai, je ne me souhaite aucune activité de confinement. Le seul élément que je trouve vraiment changé, c'est que j'ai du mal à savoir quel jour nous sommes aujourd'hui. Et pour que ça m'arrive, ça, ça veut vraiment dire qu'il y a un truc qui a craqué !

vendredi 20 mars 2020

no man is an island

Le premier plaisir, je n'en ai pas parlé dans le billet d'hier, ça a été d'être réveillé le mardi matin, à cinq heures, par un chant d'oiseau inconnu.
Je suis resté un moment incrédule, goûtant ce moment d''entre le sommeil et le réveil, la conscience du poids du corps sur le matelas, une vision un peu réduite, simplifiée, à cause de l'obscurité et des facultés perceptives encore endormies : et puis là-bas, dans cette pochade à la fois lumineuse et sombre du ciel matinal au-dessus des toits, loin derrière la fenêtre sans rideaux, ce chant d'oiseau transparent, tendu comme un ruban, qui semble pourtant se déployer dans tout l'espace, être partout et nulle part. Le confinement n'était annoncé que depuis la veille, mais les rumeurs persistances avaient déjà chassé nombre de citadins au loin. Avant de me rendormir j'ai pensé simplement : "Déjà !"
J'ai dit tout de même mon incrédulité. J'imagine que chacun d'entre nous a vécu de semblables instants, où un tout petit rien nous sommes gorgé de sens, d'esthétique, de plaisir. J'ai le souvenir de la surprise d'être sorti du sommeil par ce chant si léger, l'impression que ce chant m'est destiné tout en sachant qu'il n'en est rien. La conscience de moi dans ce lit et d'un petit quelque chose de vivant, très éloigné, qui me rejoint en me restant inaccessible.

Delphine Horvilleur. Photo Philippe Dobrowolska,
prise sur le site du Républicain Lorrain
J'aime bien les paradoxes, les polarités opposées qui cohabitent. Voilà pourquoi sans doute j'ai été sensible à cette vidéo découverte sur les réseaux sociaux, dont je parlais dans mon post précédent. C'est Delphine Horvilleur qui s'exprime sur la crise d'aujourd'hui. Elle donne une définition de la santé que ceux qui me connaissent savent que je partage : en hébreu, la santé n'est pas un état stable, mais c'est une capacité, celle de faire surgir du neuf. 
Plus loin elle cite Hillel l'ancien ("Si je ne suis pas pour moi, qui est pour moi ? Mais quand je ne suis que pour moi, que suis-je ?"), passe par John Donne ("Aucun homme n'est une île") pour terminer avec Amos Oz ("Chacun d'entre nous est une presqu'île"). Il s'agit, on l'aura compris, d'illustrer le titre de la vidéo qui fait référence au confinement : "Séparés mais ensemble". Le lien de la vidéo est ci-dessous (sinon on peut la trouver sur le site tenoua.org).

jeudi 19 mars 2020

confinement et conneries fines


Voilà, on y est, depuis hier midi. Pour l'instant, à dire vrai, l'effet confinement ne se fait pas sentir de mon côté : je n'ai tout simplement pas arrêté de m'activer. Le plus bizarre pour moi c'est de ne plus avoir mes rendez-vous hebdomadaires avec ma gentille folle dans sa maison de retraite. L'interdiction des visites a été mise en place depuis un moment déjà. C'est vraiment ça qui me donne l'impression d'avoir soudain beaucoup beaucoup de temps de libre. Et j'avoue que c'est plutôt agréable.

Les autres faits marquants, pour moi, ça a commencé par la lecture d'un tweet au sujet du gel hydroalcoolique. Je ne sais plus par quel mystère il m'est passé sous le nez, il disait en substance, avec humour : "Comment, comment, le marché ne se régule pas tout seul ? l'Etat intervient pour le prix du gel hydroalcoolique... Mais c'est du communisme !" Cette petite blague m'a parue très signifiante. Elle m'a mise en alerte et m'a semblé de suite prémonitoire.
Depuis, on a vu le sieur Macron faire avec emphase l'éloge du service public devant la nation ébahie, puis valoriser tous ces salariés qui allaient se mettre en télétravail. Des sala quoi ? Des salariés ? Ces gens de l'ancien monde d'avant les start-up, qui voudraient un droit du travail, des prudhommes et des droits au chômage ? Finalement quand quelqu'un tousse dans la cordée, tout le monde se sent subitement concerné : ça tempère ou diffère les réformes imbéciles et injustes et on a même entendu Bruno Le Maire parler de nationalisation. 

J'aimerais en déduire que, vrai !, le "chacun pour sa gueule", on voit bien que ça ne marche pas. Mais mes quelques passages dans des épiceries aux rayons vides ont fait vaciller cette bisounoursienne hypothèse. Il va encore falloir accepter cette perpétuelle ambivalence de l'être humain, et savourer les surprises que nous réserve cette crise sanitaire. 

Et à propos du mot crise, il faut que je publie ici dans la foulée une intervention de Delphine Horvilleur qui évoque la racine de ce mot et son rapport avec la salle d'accouchement : bref, ça fait mal mais ça fait du nouveau...



mardi 10 mars 2020

Vessel, de Damien Jalet

A la fin du spectacle, on découvre, surpris, les corps des danseurs
et des danseuses que l'on a vus pliés en deux et sans tête pendant une heure.
Vu Vessel, samedi soir, au Palais de Chaillot. Un spectacle de danse tout à fait fascinant, signé de Damien Jalet, danseur chorégraphe qui a collaboré avec Sidi Larbi Cherkaoui, Marina Abramovic ou Madonna, c'est dire...


J'ai cherché une vidéo qui restituerait ce qui m'a impressionné, mais je n'ai pas trouvé. J'ai été saisi d'émotion pendant l'heure entière du spectacle. Certains commentateurs vous diront : on ne voit jamais le visage des danseurs.
C'est plus fort que cela en réalité, on ne voit jamais leur tête, dissimulée derrière leurs bras. Si bien que l'on perd la notion du corps en lui-même, de son orientation, et que, lorsque deux danseurs sont enchevêtrés ou positionnés l'un derrière l'autre, on ne sait plus à qui appartiennent les jambes ou les bras. Les duos deviennent d'inquiétantes compositions de chair mouvante, souvent symétriques, comme de gros insectes ou de gros organes avec appendices s'agitant ça et là. Et c'est malheureusement ce que ne montre pas la bande-annonce officielle (ci-dessus).

La scénographie évoque quelque chose d'avant l'apparition de l'homme. Une étendue d'eau, au milieu de laquelle flotte une sorte d'iceberg, qui bouillonne en son centre. Autour, ces formes vivantes et indéchiffrables, bactéries géantes ou amibes copulant, qui parfois se figent semblant figurer un masque fétiche ou une idole païenne.

C'est troublant et corporellement engagé comme un spectacle de butoh, et d'une beauté délicieusement dérangeante. Dans la troupe presque exclusivement japonaise, on reconnait Aimilios Arapoglou, l'un des danseurs fétiches de Damien Jalet.

Vessel, de Damien Jalet et Kohei Nawa, avec Aimilios Arapoglou, Nobuyoshi Asai, Nicola Leahey, Ruri Mitoh, Jun Morii, Mirai Moriyama et Naoko Tozawa.
Jusqu'au 13 mars.