« En général je ne fais pas de razzias l'hiver, quand la terre est un cadavre. Il serait plus sage de me coucher en rond et dormir comme un ours dans ma caverne. Mon cœur va au ralenti, comme l'eau en train de geler, et je n'arrive plus très bien à me rappeler l'odeur du sang. Et pourtant je ne tiens pas en place. Je me laisserais dégringoler, si je le pouvais, à travers temps et espace, jusqu'à l'antre du dragon. Mais je ne puis. Je marche lentement, essuyant la neige sur mon visage du revers du bras. Pas un bruit sur la terre, que le chuchotement de la neige qui tombe. Je me souviens de quelque chose. Je me souviens de mes tristesses. Un vide sans limites comme un ciel bas. Je suis suspendu aux racines entortillées d'un chêne, le regard plongeant dans l'immensité. Loin, immensément loin, je vois le soleil, noir mais brillant, et autour, qui tournent lentement, des araignées. Si l'on m'avait demandé "qu'est-ce ?...". Je m'arrête sur mes traces, intrigué – quoique sans émotion – par ce que je vois. J'aurais dit " laissez-moi tranquille". Mais voici de nouveau les bois, et la neige qui tombe, et toute la vie qui dort, profondément. Ce n'est rien. Ce n'est qu'une sorte de rêve. Je poursuis mon chemin, mal à l'aise. J'attends. »
Extrait de Grendel, de John Gardner, éditions Denoël, 1974.
Beowulf, écrit probablement au VIIIe siècle, passe en général pour le plus grand poème de la langue anglaise. Le héros éponyme est un tueur de monstres, et il va tuer Grendel, puis la mère de Grendel. Dans ce livre, John Gardner se met à la place de Grendel, raconte l'histoire vécue par le monstre.
Cette série "immensité" présente des extraits de livres lus récemment dans lesquels le mot immensité apparaît.
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